Paris tiraillé entre les frères ennemis du Maghreb

Hollande, lors de la commémoration de la répression du 17 octobre 1961 à Paris.
Hollande, lors de la commémoration de la répression du 17 octobre 1961 à Paris.

Pour avoir dérogé à la règle tacite, et jusqu'ici respectée, qui veut qu'un président français fraîchement élu se rende au Maroc avant d'aller en Algérie, Paris a dû prendre des précautions.

Attendu à Alger en visite d'Etat les 19 et 20 décembre à la tête d'une importante délégation, François Hollande a envoyé en éclaireur à Rabat, les 12 et 13 décembre, son premier ministre, Jean-Marc Ayrault, à la tête d'une non moins imposante délégation ministérielle. La rivalité aiguë entre ces deux pays du Maghreb, qui se manifeste aussi dans les relations avec l'ancienne puissance coloniale, nécessite du doigté. Et cette liaison impossible à trois est la source de bien des tracas diplomatiques.

"Hollande l'Algérien" ? Dès l'élection du candidat socialiste, au soir du 6 mai, le Maroc, nettement favori durant le mandat de Nicolas Sarkozy, s'inquiète. On scrute les signes. On épluche la liste des amis du Maroc dans l'entourage du nouveau président. Pourquoi la socialiste Elisabeth Guigou, née à Marrakech et considérée comme une amie, n'est-elle pas au gouvernement ? On se rassure avec la présence de la porte-parole d'origine marocaine, Najat Vallaud-Belkacem, membre du puissant Conseil de la communauté marocaine à l'étranger jusqu'en décembre 2011. Mais Rabat détecte aussi à l'Elysée un "lobby proalgérien", avec Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, Kader Arif, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, ou Faouzi Lamdaoui, un fidèle de l'équipe Hollande au PS, nommé conseiller à la diversité. Tous trois faisaient partie des deux voyages que l'ex-premier secrétaire du PS a effectués en Algérie en 2006 et en 2010. Il n'en fallait pas plus pour que la formule "Hollande l'Algérien" coure dans les salons marocains.

Cette inquiétude se manifestera d'une façon tangible. Le 24 mai, moins de dix jours après l'investiture de François Hollande, Mohammed VI, en visite privée en France, sera le premier chef d'Etat étranger reçu à l'Elysée. Peu de chose filtre de cet entretien, mais l'important est ailleurs, dans cette poignée de main initiale. Avantage, Maroc.

Les Algériens ne sont pourtant pas en reste. La réaction de la presse algérienne, qui avait salué l'élection de François Hollande en précisant qu'il disposait d'un "atout", car, "contrairement à ses prédécesseurs de droite, il entretient une relation distante avec le Maroc", est féroce pour le roi. La veille, le 23 mai, François Hollande et le chef de l'Etat algérien se sont en effet entretenus par téléphone et, dans un communiqué, l'Elysée soulignait la "volonté de développer (...) et de renforcer le partenariat entre les deux pays dans tous les domaines". Les deux présidents, ajoutait le texte, "sont convenus de se rencontrer dans les meilleurs délais". Dont acte. Pour la première fois, un chef d'Etat français se rendra d'abord à Alger.

Avantage, Algérie

Comment la France tente-t-elle de ménager les deux pays ? S'exprimant le 29 novembre devant un parterre de chefs d'entreprise réunis à la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc, l'ambassadeur de France, Charles Fries, a rassuré du mieux qu'il a pu ses interlocuteurs : "Le souhait des nouvelles autorités françaises d'améliorer notre relation avec l'Algérie (...) a pu en inquiéter certains au Maroc. Il faut toutefois bien comprendre que ce renforcement des liens voulu par Paris avec l'Algérie ne se traduira en aucun cas par un rééquilibrage au détriment du Maroc." Pour appuyer ses dires, un communiqué de l'Elysée publié la veille, à l'issue d'un entretien téléphonique entre François Hollande et Mohammed VI, annonçait la venue du chef de l'Etat français au royaume chérifien "au début de l'année 2013". Il soulignait aussi "la convergence de leurs vues", notamment sur le Sahel, et rappelait que le séminaire gouvernemental prévu avec Jean-Marc Ayrault mi-décembre "illustre le caractère exceptionnel de nos relations et la densité du dialogue politique bilatéral".

Cette relation privilégiée agace Alger, qui réclame ouvertement, désormais, un "rééquilibrage", selon l'expression utilisée avec insistance par un proche du président Bouteflika. Un appel entendu par François Hollande, désireux de se démarquer de son prédécesseur et de ménager les deux frères ennemis. En déplacement à Malte début octobre pour une réunion des chefs d'Etat de la rive nord de la Méditerranée et du Maghreb, le président français a pris soin de s'entretenir avec le premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, comme avec le chef du gouvernement marocain, Abdelillah Benkirane. Ce dernier aurait alors lancé cette boutade rapportée au Monde par un témoin : "Entre nous, ça va tellement bien qu'on n'a rien à se dire !"

La France entretient avec le Maroc, il est vrai, des relations sans équivalent dans le reste du Maghreb. L'indépendance du Maroc, acquise en 1956, a été bien moins douloureuse qu'avec l'Algérie. Les relations économiques, culturelles (le réseau scolaire français au Maroc est le premier du monde), sans parler du tourisme, y sont plus développées. De droite comme de gauche, les responsables politiques français ne vont-ils pas y passer leurs vacances ? Sitôt après sa défaite à l'élection présidentielle, c'est au Maroc que Nicolas Sarkozy ira se ressourcer en compagnie de son épouse, Carla Bruni, dans un palais prêté par le roi.

"Le génie marocain de l'accueil, ça, on ne sait pas faire !", s'exclamait récemment un diplomate algérien. L'ambassadeur d'Algérie en France, Missoum Sbih, s'y emploie cependant. Fin novembre, il a ainsi convié dans sa résidence de Neuilly Elisabeth Guigou et son époux Jean-Louis, invités d'honneur d'un dîner et décidément très courtisés. Mais, surtout, Paris appuie sans condition la position de Rabat en faveur d'un plan d'autonomie du Sahara occidental sous domination marocaine, pomme de discorde avec l'Algérie qui soutient pour sa part l'idée d'un référendum d'autodétermination et apporte son aide au Polisario.

Une rivalité durable entre Alger et Rabat ? La tentative de rapprochement ébauchée entre l'Algérie et le Maroc à travers la visite, en janvier, du ministre des affaires étrangères marocain, Saad Eddine El Othmani - la première d'un chef de la diplomatie marocaine depuis 2003 -, a vite tourné court. "Les relations algéro-marocaines au plus bas", titrait le 12 novembre le site Internet d'information algérien Maghreb Emergent, en notant la brusque détérioration des relations après le discours prononcé le 6 novembre par Mohammed VI à l'occasion du 37e anniversaire de la "marche verte" de 1975 (au moment où le Maroc a annexé les territoires du Sahara). Le roi avait alors fustigé l'absence de "volonté sincère chez les autres parties, qui persistent dans leurs manigances et leurs stratagèmes obstructionnistes". Ce fut, en retour, une volée de bois vert, l'Algérie accusant le Maroc de favoriser une "infiltration massive" de la drogue sur son territoire et de vouloir privilégier, sur le Sahara, le statu quo.

Depuis plus de trente-cinq ans, l'ancienne colonie espagnole continue de nourrir les antagonismes entre les deux pays. Un mur a même été érigé. "Le nationalisme d'Etat l'a emporté sur la solidarité des peuples qui était très forte. Maintenant, ils ne se connaissent même plus", constate l'historien Benjamin Stora. "Rien, historiquement, ne laissait prévoir une telle opposition", précise-t-il dans son livre Voyages en postcolonies (Stock, 2012), en citant notamment la conférence de Tanger de 1958 qui avait réuni l'Istiqlal marocain et le FLN algérien, les deux partis historiques nationaux. Mais très tôt après l'indépendance du Maroc, les incidents ont éclaté à propos du tracé des frontières coloniales. Ils aboutiront, en 1963, à la "guerre des sables" entre les deux pays. Vingt ans plus tard, en 1994, la frontière terrestre algéro-marocaine se ferme, après un attentat à Marrakech et la décision des autorités marocaines d'imposer un visa aux ressortissants d'Algérie, alors plongée en pleine guerre civile. Une frontière aujourd'hui toujours close et qui empêche l'Union du Maghreb arabe, futur marché commun régional, de se concrétiser.

Isabelle Mandraud

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Jacques Demenetou

L'usage que vous évoquez est tacite et effectivement constant. Il en est un autre tout aussi tacite, quand la majoritéen France est à droite, président en tête, l'amitié franco Marocaine a la primauté, Quand la majorité et la tête de la Présidence française sont de gauche, le balancier penche à Alger et non à Rabat. Le prochain tour nous le confirmera une nouvelle fois, avec il est vrai un" turn over" plus rapide, présidence francaise réduite à 5 ans au lieu de 7 ans oblige.

Il est aussi une autre raison, entre le "rebelle" algérien, et le "petit frère " marocain... Toute autre interprétation serait bien sur purement à usage interne algérien.

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Ali Mansouri

Si l'Algérie était gouvernée par de vrais hommes et de vrais algériens, elle aurait pris depuis longtemps ses distances avec cet ancien colonisateur abjecte d'autant plus qu'il refuse d'assumer ses crimes contre l'humanité envers le peuple algérien. Le Maroc nous le savons est un territoire crée par la France, le Maroc naturellement demeure sous protectorat français, et cela le régime illégitime d'Alger ne semble pas le comprendre, il fait la concurrence à régime féodale marocain qui est un souffrire de la France, et cela ouvertement, c'est la France qui dirige encore le Maroc, c'est un secret de polichinelle tout le monde le sait, sans la France le Maroc n'existerait pas. La manière de donner une bonne gifle à la France que le peuple algérien a chassée de son territoire, qui de toute les façons ne laissera jamais tomber le Maroc qui est sa création, son bébé, son protégé, soit que l'Algérie cesse toute relation commerciale, économique, politique avec la France, et se limite à garder avec la France des relations très limitées qui consisteront à des relations diplomatiques d'usage normale sans plus. La France ruinée économiquement qui a besoin de l'Algérie, pour faire travailler ses millions de chômeurs, se mettra à genoux face à l'Algérie et la respectera plus. Que la France continue d'exercer sa tutelle sur le Maroc là n'est pas le problème, ce qui cause problème c'est que ce pays qui nous a écrasé durant 132 ans se comporte encore en colonisateur avec arrogance démesurée envers l'Algérie dirigée par des traitres d'origine marocaine le clan d'Oujda placés par la France à son départ en 1962, ces traites rabaissent l'Algérie en se collant au cul de la France avec une indécence humiliante et scandaleuse. Le régime d'Alger fait l'affaire de la France, puisqu'elle agit avec lui en maitre, la France joue avec nous, elle crée des rivalités entre le Maroc qui est sa création et l'Algérie supposée être indépendante, elle s'amuse de nous et se moque de nous à cause des traitres marocains du clan d'Oujda qui ont pris le pouvoir avec violence en Algérie en 1962.

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