Yves Lacoste ou la géographie au service de la géopolitique

Yves Lacoste
Yves Lacoste

A sa sortie en 1976, "La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre", écrit par Yves Lacoste, avait fait sensation. L'ouvrage vient de sortir chez la Découverte dans une nouvelle édition augmentée et revue à la lumière des nouveaux événements.

Dans cet essai pointu, Yves Lacoste propose une lecture iconoclaste de la géographie. D'emblée, le titre choque, interpelle. Mais rappelle surtout que la connaissance de la géographie n'est jamais loin de la conduite de la guerre. L'ouvrage constitue une analyse particulièrement savante confrontée ou adossée à un ensemble d'expériences de terrain que l'auteur a mené dans les années 1960. La nouvelle version est enrichie d'une longue préface dans laquelle Yves Lacoste revient sur son parcours et comment il en est arrivé à la géographie d'abord et à la géopolitique par la suite en créant notamment la célèbre revue Hérodote. C'est pendant le conflit sanglant, en décembre 1978, entre le Viêt-nam et le Combodge des Khmers rouge qu'est né le mot géopolitique, selon l'auteur. C'est André Fontaine, directeur du quotidien Le Monde et auteur de plusieurs ouvrages sur la guerre froide qui avait conclu un éditorial particulièrement indigné sur cette terrible guerre : "C'est de la géopolitique". 

Tout est parti selon l'auteur de son enquête sur le bombardement américain du fleuve Rouge en 1972 au Viêt-nam. L'événement a bouleversé l'auteur et lui a fait vite comprendre que la maîtrise de la géographie peut s'avérer redouble en pleine guerre. Une observation des dégâts causés par ces bombardements renseigne que le choix des cibles américaines n'est pas anodin, mais le fruit d'une connaissance approfondie  de l'hydrologie; de la topographie et des populations. Dans La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre, Yves Lacoste explique que contrairement à sa variante scolaire, que certains estiment secondaire, il y a une géographie des états-majors militaires. Celle de l'étude de l'espace qui constitue en lui-même une connaissance stratégique dans le domaine militaire. "L'empereur doit avoir une représentation globale et précise de l'empire, de ses structures spatiales internes (provinces) et des Etats qui l'entourent. (...) ". Le géographe observe que "la géographie, en tant que description méthodologique des espaces, tant sous les aspects qu'il est convenu d'appeler "physiques" que sous les caractéristiques économiques, sociales, démographiques, politiques (pour se référer à un certain découpage du savoir), doit être absolument replacée, en tant que pratique et en tant que pouvoir, dans le cadre des fonctions qu'exerce l'appareil de l'Etat, pour le contrôle et l'organisation des hommes qui peuplent son territoire et pour la guerre". Connaître l'espace c'est savoir se battre et vaincre, c'est avancer dans la connaissance des autres. Donc de l'ethnographie. La maîtrise de l'espace en lui-même sans la culture et la sociologie ne suffit pas, analyse Yves Lacoste.

Ici on retrouve le géographe des échelles, celui qui lit les cartes, le militant d'une géographie mêlant réflexion et observation physique, l'éloge à l'étude de l'espace et le comportement des espèces. L'auteur prône l'action, agir et ne pas attendre de surfer sur la vague, même s'il faut affronter les vents contraires. "Pour certains, se poser le problème du savoir et du pouvoir les conduit à invoquer la nécessité d'un changement radical et absolu de la société tou entière et, plus particulièrement, la suppression d'une des formes premières de l'organisation sociale, la division du travail. Cela dit, comme ce n'est pas pour demain, ils n'en font guère plus... Mais il importe de ne pas tellement attendre les conditions d'un changement total, et d'essayer de faire dès à présent un premier pas", écrit Yves Lacoste dans le chapitre Pour une géographie de la crise. 

L'ouvrage recèle une critique acérée de ce que Lacoste appelle "la géographie des professeurs", réductrice au relief et climat. Chaque chapitre est augmenté d'une analyse écrite à la lumière de l'actualité. On y découvre tout ou partie des expériences accumulées par le géographe pendant presque les cinquante dernières années. Riche et dense, ce livre est à lire absolument.

Kassia G.-A.

La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre d'Yves Lacoste, édition augmentée, parue chez la Découverte.

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Atala Atlale

Étudier la géographie pour faire la guerre oui mais... Oui si l'on est contraint de la faire mais je dois dire qu'à l'ère du nucléaire, il serait judicieux de préparer nos potaches à construire un monde pacifique, en commençant d'abord par s'attaquer aux problèmes de la faim, de la santé, de l'instruction dans certains continents comme l'Afrique ou l'Asie.

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Abdellaziz DJEFFAL

Tout espace est potentiellement un champs de bataille. Connaître les terrains qui serviront un jour au théâtre des opérations est pour le Général aussi nécessaire que le maniement des armes. Cette connaissance ne peut se contenter, pour être parfaite, de la cartographie ni même des photos ou images satellitaires. Pour être parfaite, elle doit être directe. Raison pour laquelle les militaires font des mouvements de mutation durant leur carrière. C'est pour mieux connaître le pays et sa sociologie.