Mali : le MNLA entre dialoguistes et interventionnistes

Une délégation du MNLA au Quai d'Orsay ce jeudi.
Une délégation du MNLA au Quai d'Orsay ce jeudi.

Le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) est-il l'écueil du dialogue d'Alger et de l'intervention défendue par Paris. Tant pour les dialoguistes que pour les interventionnistes, le MNLA doit abandonner les revendications autonomistes de l'Azawad pour être un partenaire crédible dans les négociations avec les "groupes rebelles non terroristes" et la lutte armée contre Al Qaïda au Maghreb islamique.

L’unité du Mali, pierre angulaire du dialogue et de l'intervention, n’est pas seulement l’objectif recherché par Alger dans sa démarche de solution politique négociée au Nord occupé par Al Qaïda au Maghreb islamique. Cette revendication est également celle de Bamako, de la Cedeao qui ont décidé l'intervention armée pour rétablir l’unité territoriale du pays mais aussi des puissances occidentales, la France en première ligne, favorables à cette option militaire. Ainsi, dialoguistes et interventionnistes clament le rétablissement de l’unité territoriale (et politique) du Mali, les premiers en composant avec deux entités apparemment opposées : Ansar Eddine, groupe terroriste touareg et le MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawad). Pour les groupes terroristes d’Al Qaïda au Maghreb islamique et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (Mujao), cette unité réclamée par eux aussi, passe par l’application de la chari’a, autrement dit par l’annexion politique des territoires du sud et par la chute du pouvoir en place de Bamako qui est toujours en crise constitutionnelle.

Les dialoguistes, dans leur déclaration officielle justifient leur démarche en affirmant que celle-ci n’exclut pas une "lutte farouche" contre les groupes terroristes d’Aqmi et du Mujao, à l’exclusion d’Ansar Eddine qui n’est plus considéré comme groupe terroriste mais confondu avec le MNLA, qualifiés, tous deux, de "mouvements touaregs". Pour les interventionnistes, qui soutiennent donc la résolution de Bamako et de la Cedeao dans l’envoi de troupes africaines libérer le Nord-Mali de l’islamisme armé, Ansar Eddine, bien que partenaire d’Alger et de Ouagadougou, est toujours dans leur organigramme des groupes terroristes d’Al Qaïda et du Mujao avec lesquels la France – et François Hollande l’a réaffirmé maintes fois – écarte tout dialogue.

De cet échiquier, tant pour les dialoguistes que pour les interventionnistes, seul le MNLA pose problème au Nord-Mali qui est le territoire de l'Azawad. Il y a ses racines et surtout une longue histoire dans ses luttes pour l’indépendance de ce territoire ancestral. Et, comme tel, les dialoguistes, Alger en ligne, cherchent à le neutraliser par un dialogue qui, par le prétexte du danger terroriste, cherche à en étouffer les revendications autonomistes en le plaçant au même pied d’égalité et de partenaire légitime qu’Ansar Eddine. Alger, qui, après avoir longtemps clamé le dialogue au Nord-Mali avec "toutes les parties", n’a identifié ses interlocuteurs que récemment, après la décision de l’intervention militaire par la Cedeao, déclarant, à la suite des conseils des Etats-Unis, distinguer les groupes terroristes et ceux qui ne le sont pas. Ansar Eddine et le MNLA sont ainsi pour Alger "des groupes touaregs" expurgés de la revendication de la chari’a pour l’un et de celle de autonomie, pour l’autre.

Dès lors, se dessine un rapprochement tactique, malgré leur divergence d’option dans la crise malienne, entre les dialoguistes et les interventionnistes : le MNLA doit abandonner ses revendications pour l’autonomie et l’autodétermination de l’Azawad mais aussi livrer bataille aux groupes d’Al Qaîda par ce reniement pour être un partenaire "légitime" du dialogue et contribuer ainsi au rétablissement de l’unité nationale du Mali. Autrement dit, le MNLA est invité à disparaître en se mettant au service des négociations et de la lutte contre Al Qaïda qui est, moins pour les dialoguistes, plus pour les interventionnistes, une condition sine et qua non de sa survie politique qui dépendra de l’unité retrouvée après la victoire sur l’islamisme armé. Si pour Alger, cette neutralisation du mouvement indépendantiste touareg date de bien avant l’occupation de l’Azawad par Al Qaïda au Maghreb islamique, sur son propre sol et dans l’Azawad, avec le soutien des forces politiques et militaires des années 1980, en revanche, pour les puissances occidentales, dont la France, qui ont fermé les yeux sur cette lutte acharnée contre le MPLA d’alors au nom d’intérêts de stratégie économique et militaire dans la région, l’ultimatum signifié au MNLA d’abandonner ses revendications autonomistes confère à l’intervention armée au Nord-Mali et à la démarche dialoguiste d’Alger, un brouillage dans leur objectif respectif : les uns et les autres entendent que ni le dialogue ni l’intervention ne sauraient être brouillés par un MNLA indépendantiste, laïc et nationaliste, légitime face à un gouvernement illégitime et une armée qui a mené une répression sanglante contre son mouvement. Autrement dit, le dialogue et l’intervention cherchent à se débarrasser du MNLA si d’aventure ce mouvement touareg ne se met pas dans les rangs en désavouant son existence et son âme dans sa lutte pour conquérir la libération de l’Azawad bloquée et remise en cause par l’occupation d’Al Qaïda au Maghreb islamique qui s’y est engouffré à la faveur du coup d’Etat de Bamako ayant renversé l’ancien président malien.

La France qui a reçu à l’Elysée une délégation du MNLA ce jeudi aurait-elle exigé de ses représentants de renoncer de manière explicite à leurs revendications à l’indépendance et à l’ autodétermination de l’Azawad ? C’est ce qu’a déclaré vendredi le porte-parole du Quai d’Orsay, Philippe Lalliot lors de cette rencontre à Paris entre l’ambassadeur de France pour le Sahel, Jean-Félix Paganon, et une délégation du MNLA qui, il faut le rappler, est considéré par Alger et Paris comme un "groupe rebelle" non terroriste qui doit composer, sans la rébellion, avec l’intervention africaine pour un Mali réunifié et réconcilié dans ses différentes composantes, débarrassé d’Al Qaïda au Maghreb islamique. Paris a ainsi rappelé à la délégation du MNLA les termes exacts de la résolution onusienne 2071 qui précisent que le dialogue politique concerne les groupes rebelles non terroristes. C’est-à-dire, ceux qui renoncent à la violence et qui reconnaissent l’unité et l’intégrité territoriale du Mali. Or, quelle place a le MNLA dans cette résolution ? La résolution n’est-elle pas une mesure d’annihilation de ses revendications autonomistes de l’Azawad ? Force est de constater que Paris émet les mêmes réserves pour Ansar Eddine : "Nous prenons note des signaux de ces derniers jours, y compris les déclarations faites par le groupe Ansar Eddine. Ce que nous voulons, c’est que les déclarations soient suivies d’effets, que la vie des populations sur le terrain s’améliore et que les exactions cessent", a affirmé le porte-parole du Quai d’Orsay, Philippe Lalliot.

A l’issue de cette rencontre, le Mouvement national de libération de l’Azawad, par la voix de Billal Ag Acherif qui a conduit la délégation du Conseil transitoire de l'Etat de l'Azawad à l’Elysée, n’a pas fait état de pression politique de la part du Quai d’Orsay mais il a déclaré tout de même avoir "développé notre argumentaire et les raisons qui nous ont poussé à prendre les armes contre Bamako, nous avons expliqué que si nous en sommes là c’est parce que les autorités maliennes ont failli", des propos défensifs face un éventuel abandon de la cause indépendantiste exigé de Paris. Le MNLA qui a réitéré sa volonté à "combattre les narco-terroristes d’Aqmi et du Mujao jusqu’à les chasser de l’Azawad" suscite-t-il la méfiance de Paris, de Bamako et d'Alger qui voient dans l’offensive du MNLA contre le Mujao dans la région de Ménaka, une lutte antiterroriste sous la bannière des autonomistes qui prendraient de court un intervention africaine entâchée par la crise politique du pouvoir de Bamako et, sur ses arrières, par le dialogue trouble et miné d’Alger qui chercherait plus à négocier avec Ansar Eddine en n’hésitant pas à en faire le cheval de Troie pour imploser une nouvelle fois le mouvement indépendantiste touareg.

R.N

Plus d'articles de : Actualité

Commentaires (0) | Réagir ?