Affaire Audin : interview de Benchicou à l’Humanité

Affaire Audin : interview de Benchicou à l’Humanité

Mohamed Benchicou est l’ancien directeur du Matin, journal aujourd’hui interdit en Algérie. Condamné pour délit d’opinion, son emprisonnement durant deux ans a suscité la protestation de milliers de démocrates.

En tant que journaliste et militant pour la démocratie en Algérie aujourd’hui, comment percevez-vous la figure de Maurice Audin ?

Mohamed Benchicou : Pour nous autres qui n’avons pas fait la guerre de libération, quinquagénaires de l’après-indépendance, les noms de Maurice Audin, d’Henri Maillot, d’Henri Alleg ou de Fernand Iveton renvoient à un passé prestigieux. Pour la génération qui nous a suivis, en raison de la politique d’aliénation historique, d’effacement de la mémoire, de chauvinisme sciemment entretenue par le FLN et par l’alliance islamo-conservatrice au pouvoir, ces figures sont souvent indifférentes ou parfois même assimilées aux occupants français.

Mais l’entreprise de falsification de l’histoire ne concerne pas que les Algériens d’origine européenne ou les Européens qui se sont battus aux côtés du peuple algérien, elle vise aussi les fondements de la révolution algérienne, elle a concerné notamment Abane Ramdane, un des pères de la révolution, qui prônait une Algérie démocratique, multipartite dès 1954, et qui a été assassiné par la branche militariste du FLN. Nous vivons depuis un demi-siècle la situation inachevée d’un État qui est resté militaire avec ses putschs successifs et qui n’avance pas vers un régime démocratique par le fait même que nous ignorons nos origines.

Audin était communiste. Sa vision de l’Algérie pouvait-elle être entendue par le peuple algérien ?

Mohamed Benchicou : Ce qui me frappe, c’est que la mémoire de figures comme la sienne ou celle d’Iveton et d’autres soit aujourd’hui conservée, protégée, entretenue dans des quartiers populaires. Bien que ces lieux aient aussi été gagnés par l’islamisme, les proches de ces figures héroïques, qui y vivent encore, sont protégés, respectés. Même si elle n’est pas clairement énoncée, il existe dans le peuple une sorte de reconnaissance implicite à l’égard des Européens, la plupart communistes, qui se sont battus pour la liberté de l’Algérie. La façon aussi dont des anciens du réseau Jeanson, comme le regretté Jacques Charby, refusèrent de se prêter à la manipulation qu’organisa Bouteflika lors du cinquantenaire de la révolution, le 1er novembre 2004, parce qu’il avait mis en prison des journalistes pour leurs écrits, a soulevé l’admiration populaire.

Au moment où l’on parle de traité d’amitié, quelle place donner à la mémoire de Maurice Audin ?

Mohamed Benchicou : L’amitié ne saurait venir d’en haut, ni sanctionner des caprices de souverain. Elle repose sur l’histoire commune de deux peuples, bâtie autour d’une valeur noble, la liberté, qui est elle-même issue de la Révolution française. C’est autour de cette valeur qu’ont surgi des combattants comme Maurice Audin, Henri Alleg ou ceux du réseau Jeanson. Nos deux pays ont besoin d’une relation durable et ce traité doit voir le jour, mais il faut le bâtir sur l’histoire commune et pas à coups de manipulations politiciennes, comme ce fut le cas entre Chirac et Bouteflika. Il y a un avenir pour l’amitié du coeur et de l’histoire.

Entretien réalisé par Lucien Degoy

article paru le 21 juin 2007

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Commentaires (2) | Réagir ?

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lolyne15

une chose oublié par benchicou, la politique c'est donnont donnont, rien est pour aider personne

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nacera zergane

Dommage que Benchicou n'a pas mentionné dans son intervention la chose la plus importante pour nous les Algériens à savoir que les communistes Français ne nous ont pas aidé pour rien. Ils n’étaient pas si désintéressés que ça! Il aurait fallu nous inculquer leur " voie de développement socialiste qui s'est avérée un fiasco pour le développement de l’Algérie indépendante. L'histoire a démontré que la voie socialiste de développement et tout son arsenal philosophique qui a teinté l’esprit de l’intelligentsia algérienne de l’époque était un non sens. Boumédienne "affectionnait" les communistes algériens. Ces derniers pensaient le ‘’canaliser ‘’ vers une voie de développement socialiste. Tout ce beau monde s’est trompé! L’Algérie est encore sou développé. Il faut commencer par reconnaître les erreurs d’hier, les erreurs commises depuis l’indépendance. Toute une génération d’après indépendance a été sacrifiée pour servir une idéologie qui s’est avérée une impasse pour le développement social et économique de l’Algérie. L’éclairage qu’a donné Benchicou dans cette interview bien que véridique, a manqué de poser un doute quant à l’apport de ces idéologues pour l’épanouissement de l’Algérie. Cela devrait être la préoccupation essentielle de tout Algérien interrogé par un journal français de gauche.

On se rappelle l’interview qu’a donnée le philosophe communiste français Georges Labica à un journal Algérien ; quand ce dernier a essayé de vider sa rancoeur contre la droite française par notre intermédiaire nous, les Algériens en disant que : ‘’ Sarkozy, c’est la recolonisation de l’Algérie, les intérêt US et l’hégémonie d’Israël’’ Comme quoi que nous les Algériens nous restons encore l’objet de manipulation de basse classe. Ouf….