Littérature chinoise : Gao Xingjian désintoxique la Chine de Mao

Gao Xingjian, prix Nobel de littérature.
Gao Xingjian, prix Nobel de littérature.

Dans son roman "La montagne de l'âme", Gao Xingjian, écrivain et dramaturge, entreprend, à travers un voyage dans la Chine profonde, une collecte de poèmes, dialectes, rites, légendes tissés autour de la mystique "Montagne de l'âme" dans les régions forestières de la province du Sichuan pour se désintoxiquer de la Révolution culturelle de Mao qui a brûlé ses manuscrits...

C’est dans la Chine contemporaine du début des années quatre-vingt que le personnage de "La montagne de l'Ame", désigné par le pronom personnel "je", entreprend un voyage pour fuir les tracas de la vie dans la capitale.  Mais ce n’est point un voyage exotique ou touristique.

Initialement, afin d’éviter le harcèlement dont il est l’objet par le pouvoir et sa Révolution culturelle qui interdit ses pièces de théâtre, Gao Xingjian  entreprend un mois de marche de dix tours de la montagne et les régions forestières de la province du Sichuan, le dépistage au cours de la rivière Yangzi, depuis sa source jusqu'à la côte. Le narrateur y entame, sac au dos, à pied, en car et à bicyclette, par tous les temps, un long périple à la recherche d'une mystérieuse montagne,  symbole du lieu idéal de ressourcements où se retirer du "monde de la poussière", de la pollution des villes, au sens propre et figuré. Cette montagne de l’âme s’avère inaccessible et les paysans, rencontrés sur son chemin, en parlent avec beaucoup de craintes dans le propos et vénération dans l’évocation de son nom. Lieu d’asile, du recueillement, de la vérité, de la purification,  bastion de la liberté  de la défense des droits de l'individu contre un pouvoir étatique dont les agents, toujours actifs dans les provinces parcourues, sont tournés en dérision. Leur statut officiel est si futile, donquichottesque, dans la diversité foisonnante des parlers, des traditions, des rites, des fêtes et métiers traditionnels et dans les poésies et chants oraux qui refluent dans les mémoires après avoir été interdits sous le règne de la Révolution culturelle de Mao.

Le personnage, au cours de son long voyage initiatique, se présente aux populations rencontrées comme un collecteur de poésies traditionnelles, ce qui ne manque pas de susciter de la méfiance à l’égard de cet « écrivain venu de Pékin ». Mais les craintes sont vite dissipées à son égard. Il échappe toujours aux représentants officiels locaux chargés des politiques agricoles. Il se fond dans la masse, partage les difficultés quotidiennes des paysans, leur repas, boit leurs potions magiques et s’attelle à suivre les traces de leur Chine millénaire, de ses récits de guerre épique. Le roman entraîne, dès lors, le lecteur dans un immense voyage à travers une Chine aux richesse inouïes, infinies, en lacs, fleuves, montagnes, forets denses, plaines, ponts, villages isolés aux toponymes d’une rare variété, de temples, de lieux magiques, d’arbres sacrés, de générosités et de beautés. Cet inventaire de mille et une merveilles enfouies dans les mémoires car disparues sous les coups du "nous" (que honnit l'auteur) n’oublie pas de libérer la parole longtemps soumise aux silences, de transcrire plaintes et complaintes d’un désir de vivre longtemps réprimé. Sur sa route, le personnage fait des dizaines de rencontres avec des filles en fugue des villes ou de villages, cherchant comme lui l’amour pur des sommets de "La Montagne de l'âme". Véritable odyssée dans la campagne du sud-ouest chinois, le roman est un tissu d’histoires avec plusieurs personnages.

Quête amoureuse et spirituelle, recherche des origines de l'homme et de la civilisation chinoise, recherche de la vérité, de la sagesse et de la pureté, retour à l'enfance. Au fil du récit, "je" devient "tu" et les deux voix alternent et s'entrecroisent  sans jamais devenir un "nous". Le "nous" est banni, l’auteur s’en méfie, hait cette dangereuse notion de masse de la Révolution culturelle contre laquelle Gao Xingjian, comme de la tuberculose qui a failli l'emporter, est définitivement vacciné. En refusant le "nous", l’auteur désintoxique de toute langue de bois ses personnages.

Mêlant  essai et fiction, anecdotes historiques et réflexions philosophiques, recueil de poésies anciennes et recherches littéraires, Gao Xingjian  exprime dans cette fabuleuse quête poétique, comme l'écrit son traducteur, un "voyage intérieur, évocation des paysages et des forêts encore vierges de Chine, mise en scène des déchirements amoureux ou simple description d'une minute de plaisir dû à l'amitié ou à la contemplation d'une rivière, conte classique picaresque et merveilleux, évocation de la réalité absurde ou kafkaïenne contemporaine, réflexion sur l'art romanesque...".
Dans son autre roman "Le Livre d'un homme seul", largement autobiographique, Gao Xingjian y règle ses comptes avec La Révolution culturelle qui a brûlé sa valise remplie de manuscrits après l’avoir mis dans un centre de rééducation qui, soi disant, lutte contre "la pollution spirituelle".

Rachid Mokhtari

La montagne de l’âme, de Gao Xingjian (Ed. L’aube, 2007) Prix Nobel chinois 2000

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