Aziz Mouats réagit à l’article de Florence Beaugé du Monde :"Que cesse l’amnésie sur les crimes coloniaux ! "

Aziz Mouats réagit à l’article de Florence Beaugé du Monde :"Que cesse l’amnésie sur les crimes coloniaux ! "
L’article de Florence Beaugé, paru dans l’édition du Monde du 27-02-08, dans lequel la journaliste qui connaît très bien l’Algérie -dont elle est native et qui suit avec persévérance et professionnalisme l’actualité algérienne pour le grand quotidien français-, prend à revers la vérité sur le nombre de victimes civiles suite à l’insurrection du 20 août 1955. La journaliste donne la parole à Daho Djerbal qui « voit ainsi dans la tragédie d'El-Halia, le 20 août 1955 - date à laquelle 123 personnes, dont 71 Européens, ont été massacrées - "une sorte de retour du refoulé", et non "une vengeance primitive, hors du temps et de l'espace". Le fait d’intercaler le passage « date à laquelle 123 personnes, dont 71 Européens, ont été massacrées » à l’intérieur de la citation en italique comme le veut la déontologie (manière d’attribuer la citation à son auteur, Daho Djerbal, en l’occurrence) est un style d’écriture qui peut dérouter le lecteur. De deux choses l’une, ou bien la citation est de Daho Djerbal, ou elle revient de facto à la journaliste du Monde. Dans les deux cas, il y a une malencontreuse manipulation des chiffres et des évènements. Rappelons que durant l’insurrection 20 août 1955 dans la région de Skikda, ce sont la petite bourgade minière d’El Alia et la ville de Skikda qui en furent les épicentres. Au niveau du village minier d’El Alia, il y eut les premières victimes civiles d’origines européennes et pieds noirs –entre femmes, enfants et hommes- que différentes sources plus ou moins crédibles évaluent entre 30 et 40. L’insurrection sur Skikda fera autant de victimes parmi la population d’origine européenne. Un témoin soutiendra que « 26 militaires sont tués, et 92 civils dont 71 européens sont massacrés » ; alors que toutes les sources crédibles parlent de l’arrivée des militaires –depuis la caserne de Jeanne d’Arc, 12 Km plus bas-, sur les lieux que vers 17 heures, c'est-à-dire bien après le retrait des assaillants. La répression sera largement soutenu par Jacques Soustelle et encouragée par Bancquet-Crevaux, le maire de Philippeville, qui arma des milices et organisa la chasse à l’homme. Dans un bilan dressé par la gendarmerie sur son site Internet (histoire gendarmerie/dossier moi/aout 2005/violence/central2.htm ) , parlant d’El Alia, il mentionne « trente-cinq morts, quinze blessés et deux disparus. Au total, le bilan des victimes des insurgés s’élève à 123 morts dont 71 dans la population européenne». La lecture complète du paragraphe est édifiante quant aux sources auxquelles l’article de Florence Beaugé fait nécessairement référence. Le lecteur pourra noter que le total recensé par la gendarmerie -que l’on ne peut soupçonner de manipulation des chiffres -le document étant à l’époque ultra confidentiel et donc destiné à un usage interne-, s’élève bien à 71 morts entre ceux d’El Alia et ceux de Skikda intra muros. Quant à la répression qui s’en suivra et dont Aussarès ne fait aucun mystère, elle aura concerné sans distinctions les populations de tous les douars et les mechtas qui entourent Skikda. Notamment Béni Mélek et Zef Zef que des anciens combattants de la guerre d’indépendance, lors d’un entretien au journal El Watan du 20 août 2005, auront superbement ignorés. Yves Courrière soutiendra qu’à « Philippevile, il y aura plus de 2 000 morts algériens dans les quinze jours qui suivent le 20 août » ajoutant qu’en ce qui concerne le Nord Constantinois, lieu de l’insurrection, il y aura 12 000 victimes algériennes. Ce chiffre est très proche de celui publié par le FLN et rapporté par nous même dans une contribution parue dans le Soir d’Algérie du 31 janvier 2008. [lesoirdalgerie.com/articles/2008/01/31/article.php?sid=63941&cid=35]. Il faut souligner que la manipulation des chiffres n’entretient que des amalgames indignes du 21ème siècle. Il serait grand temps que les historiens apportent leurs contributions en toute sérénité. C’est à ce prix que nous pourrons regarder, avec lucidité mais également avec gravité, ces évènements dont la portée symbolique est plus importante que ne veulent bien le faire croire les témoignages nés dans la tourmente et la douleur. Continuer à s’y référer sans les distanciations nécessaires, ne peut que nuire à leur qualité intrinsèque. Surtout s’agissant de Florence Beaugé et de Daho Djerbal, dont l’impartialité n’est nullement mise en doute. Comment taire l’insoutenable répression et son indicible disproportion quand on sait que la IVème république, dans la continuation de l’aveuglement colonial de plus de 125 ans, n’aura d’autres recours que d’élargir l’état d’urgence -jusque-là circonscrits à quelques régions, les Aurès Tizi Ouzou, Guelma, Maghnia, Biskra, El Oued-, à toute l’Algérie; ceci juste après l’insurrection du 20 août 1955, qui constitue pour Benjamin Stora, « le véritable début de la guerre d’Algérie ». Avec tout que cela autorise comme dépassements, tortures et exécutions extra judiciaires ? Même s’il continue de faire mal à la mémoire collective, le drame vécu par les populations algériennes mérite un autre sort que celui qui est le sien. La première des injustices à reconnaître n’est-elle pas justement celui du statut et du nombre de victimes ? Enfin, combien devront nous attendre avant d’accéder à ces dossiers noirs que les archives de l’état Français continuent de nous cacher ? Est-il supportable pour un humain de ne pas savoir pourquoi, où, quand, comment et par qui ses parents ont été enlevés puis exécutés ? Est-ce cela l’œuvre civilisatrice de la France en Algérie ? A force de minimiser le nombre de victimes algériennes, ne cherche-t-on pas à formater nos mémoires afin de préparer le lit de la réfutation ? Une bonne fois pour toutes, il faut retenir que le nombre de victimes de la répression aveugle, mais néanmoins organisée et soutenue, qui suivit l’insurrection du 20 août 55 aura fait entre 2000 et 12.000 victimes parmi la population algérienne, musulmane, autochtone du Nord Constantinois. Ceci en seulement quelques jours ! Tenter de le nier ou de le taire c’est participer à une basse manœuvre d’arrière garde. Aziz Mouats, Professeur, Université de Mostaganem. Le 28 Février 2007.

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Commentaires (6) | Réagir ?

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Beaugé

Monsieur Mouats, je ne souhaite pas entrer dans cette polémique qui me dépasse (et vous aussi, semble-t-il), mais je tiens à rectifier une information erronée que vous donnez dans votre tribune : non, je ne suis pas native d'Algérie, contrairement à ce que vous affirmez. Je suis née en France, à Rouen.

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boukhari bouslah

Du point de vue francais, traiter de l'histoire de la France en général avec ses anciennes" possessions" est une prérogative hexagonale. Pour les ex colonisés, c'est devoir envers la mémoire, l'histore, la formation des esprits des générations montanes. quoiqu'on dit, on est sur un terrain mouvant. Il faudra encore du temps pour les intellectuels francais de se démarquer de leur passé sanglant et bourré d'injustice envers les colonies. pour ce qui est des intellectuls des pays ex colonisés le travain de l'ecriture de leur histoire continue son chemin. Le coplexe de supériorité de l'intelligentia francaise ne sera gommé que sur la longue durée. Laissons le temps faire son travail. Pour eux, la plaie est encore fraiche et elle guérira avec d'autres générations qui auront d'autrs références, d'autres reperees voire d'autres valeurs et un autre futur non conditionné par la fermeture, le recroquevillement sur soi, l'ethnocentrisme, le règne de la pensée unique.

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