La tournée sahélienne de Messahel est-elle un fiasco ?

Le Matin 21-10-2017 133585

La tournée sahélienne de Messahel est-elle un fiasco ?
Abdelkader Messahel.

Le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, a effectué une tournée dans certaines capitales du Sahel. Elle l’a mené en Mauritanie, Tchad, Mali et Niger (13-17 octobre). La diplomatie algérienne compte avancer les discussions sur plusieurs thèmes : la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et la migration clandestine, notamment. Autant de dossiers importants que les pays de la région n’abordent pas de la même façon.

Comment relancer ces dossiers avec la nomination, le 5 octobre 2017, de l’ex-ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra au poste de Haut Représentant de l’Union Africaine(UA) pour le programme "faire taire les armes en Afrique" ? Sur quelles bases une coopération peut-elle s'établir entre le Ministre Messahel et le représentant de l’UA Lamamra ? Quelle cohérence entre les Objectifs de développement durable (ODD) de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA) et le plan d’action du gouvernement algérien 2017 ?

Il n’y a qu’à lire la cinquième partie intitulée "Politique étrangère et défense nationale" de ce plan gouvernemental pour s’apercevoir que face à de telles platitudes, une partie de la population algérienne ne peut qu’y souscrire. Cela ressemble au copiage de la constitution algérienne, alors que la situation politique au Sahel appelle à des réponses innovantes.

Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), le vide sécuritaire à travers le Sahel a engendré deux forces qui s’opposent : les réseaux criminels et les extrémistes violents sont en compétition pour résorber le vide, d’une part et cela amène les communautés locales, à s’armer pour protéger leurs terres et leur bétail, d’autre part. C’est dans ce contexte que s’inscrit la démarche de l’UA qui a proclamé le mois de septembre de chaque année, à compter de 2017 et ce, jusqu’en 2020, "Mois de l’amnistie pour la remise et la collecte des armes illégalement détenues en Afrique".

De mon point de vue, deux événements diplomatiques majeurs ont incité le chef de la diplomatie algérienne à se déplacer dans la région : la création, dans le cadre de la participation française au sommet du G5, le 2 juillet dernier, à Bamako (Mali) de "l’alliance pour le Sahel" dont le but est de s’attaquer aux racines du terrorisme dans les Etats du G5 et, le processus d’adhésion du Maroc à la CEDEAO qui devrait se clore au mois de décembre 2017. Les mesures techniques et juridiques sont en cours pour permettre au Maroc de devenir membre à part entière de la CEDEAO. Cette démarche va être confirmée lors de la prochaine session ordinaire de l’organisation régionale, le 16 décembre prochain à Lomé (Togo).

La proposition française d’une "alliance pour le Sahel" présente une nouvelle approche axée sur la Force conjointe du G5 Sahel, les forces de sécurité intérieures, ainsi que sur les appareils sécuritaires nationaux : le périmètre géographique englobe les pays du G5 Sahel et ceux des régions alentours. Quelles seront les retombées ou l’impact sur les frontières algériennes, alors qu’une déclaration prononcée au nom du G5 Sahel, le 15 août 2017, par le gouvernement malien mentionne que le concept stratégique d'opérations de la Force conjointe du G5 Sahel a pris en compte notamment les décisions antérieures issues du CEMOC qui regroupe l'Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger ?

Dans cette perspective, le ministre des affaires étrangères Messahel a participé aux travaux de la conférence régionale sur la sécurité au Mali et dans le Sahel et ses répercussions sur l’Afrique de l’Ouest, le 14 octobre 2017 à Bamako (Mali). Cette conférence avait pour but principal d’évaluer la situation sécuritaire au Mali et dans la région et d’identifier des mesures qui peuvent être prises au niveau de la CEDEAO pour relever les enjeux auxquels sont confrontés les pays de la région.

Cependant, le régime politique algérien est-il préparé face au processus d’adhésion du Maroc à la CEDEAO, alors que l’article 58 du traité révisé de la CEDEAO mentionne notamment que "les Etats membres s'engagent à coopérer avec la Communauté en vue de créer et de renforcer les mécanismes appropriés pour assurer la prévention et la résolution à temps des conflits inter et intra-Etats en mettant particulièrement l'accent sur la nécessité : de mettre en place un Observatoire régional de paix et de sécurité et le cas échéant des Forces de Maintien de la paix’’ ?

Parmi différents scénarios envisageables, la présence de l’armée marocaine au sein d’une force de la Cedeao au Mali suscitera-t-elle une inquiétude du régime politique algérien ?

Comment bâtir une diplomatie avec un régime politique qui ne fonctionne pas de façon formelle ? Une diplomatie qui ressemble davantage à une citadelle algéro-algérienne qu’à un centre de recherches en relations internationales. Par ses lectures trop (heureuses) sur la situation au Mali et ses déclarations surréalistes tenues lors de la conférence, le ministre Messahel se lance des défis diplomatiques par coquetterie intellectuelle, alors que le propre d’un diplomate est d’essayer d’anticiper sur les événements régionaux à venir.

A quelques semaines de la Conférence internationale de planification des contributions à la Force conjointe G5 Sahel, prévue en décembre 2017 Bruxelles (Belgique), le ci-devant ministre Messahel sera-t-il capable d’organiser un forum de discussion de groupes d’analystes politique, de géographes et de citoyens algériens, axé sur le désarmement et le contrôle des armes au Sahel, d’ici la fin de l’année ? Sa dernière sortie sur le Maroc dans laquelle il tient l'accuse de transporter de la drogue en Afrique, laissent songeur.

Benteboula Mohamed-Salah, géographe



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