Hydrocarbures : pourquoi l’Algérie doit renouer avec le régime de partage de production "amélioré" (I)

Le Matin 11-10-2017 72385

Hydrocarbures : pourquoi l’Algérie doit renouer avec le régime de partage de production "amélioré" (I)
Le gouvernement revient au gaz de schiste.

La sortie du Premier ministre lors de sa visite a Arzew sur l’amendement de la loi sur les hydrocarbures et le retour au dossier du gaz de schiste n’a pas surpris les observateurs du moins au départ.

Tout le monde pensait que par esprit de cohérence, il propose de revenir à la vision de son ancien ministre de l’Energie pour attirer les investisseurs qui selon ses propres termes "boudent" le domaine minier algérien. Mais les précisions qu’il a données une semaine plus tard sur la "souveraineté" qui se traduit dans la loi par la règle 51/49 qu’il rassure intouchable, a confirmé la portée électorale de ses propos. L’exécutif, si l’on se réfère au propos du ministre de l’Energie, l’amendement est justifié uniquement par la baisse drastique du baril qui, selon lui, fait fuir les IDE dans le domaine pétrolier et gazier. Donc on va assouplir peut-être la fiscalité pour diminuer les charges que supporterait le contractant, cela pourrait le convaincre de s’engager.

Si l'on suit cette logique, cela réglerait le problème lorsque les prix du baril sont bas et on fera de même lorsqu’ils seront plus hauts. En termes simples, on change la loi sur les hydrocarbures au gré des circonstances. Maintenant que le Brent proche du Sahara Blend s’accroche sur la fourchette 55-60 dollars le baril et que les marchés semblent donner de bons signes pour les perspectives 2018-2020. L’alliance OPEP/non OPEP a réussi à éponger le surplus pétrolier sur les marchés et poursuit sa volonté de réduire encore plus leurs quotas. Ensuite dans son rapport du mois de septembre, paru il ya trois semaines, l’AIE a révisé en hausse ses prévisions de croissance de la demande en 2017 à 1,6 million de barils par jour. Il précise que si la demande continue à croître à ce rythme au cours des prochaines années, la production et les stocks actuels ne suffiront pas. Même un taux de croissance plus modéré absorberait l’offre excédentaire de pétrole d’ici la fin de la décennie, à moins d’un rebond inattendu de la production ce que les investissements actuels ne le permettront pas.

Que doit-il se passer face à ses perspectives ? Se préparer à changer encore une fois la loi d’ici à la fin 2018. Est-ce bien raisonnable ? Il faut souligner d’emblée que l’expérience mondiale a montré que lorsqu’un investisseur affiche son intention de s’embarquer dans ce domaine réputé aléatoire et très capitalistique, il évalue juste après le risque géologique, celui du pays. On entend par là, la stabilité politique qui pourrait affecter celle d’ordre fiscal. Donc la conception d’un code pétrolier représente la vitrine de cette stabilité recherchée. Il devra décrire la stratégie pétrolière et gazière d’un pays et la gestion de son domaine minier dans la durée pour les générations présentes et celles futures. La fiscalité y est accessoirement présente avec une certaine flexibilité qu’une simple loi de finances et celle qui la complète ou un simple contrat pourraient assurer son évolution pour la rendre souple sans toucher au squelette de la loi-cadre. Le tout devra être teinté d’une certaine cohérence même si la mise en œuvre paraitra impopulaire et créera un malaise sociétal.

Les exemples qu’aiment citer les responsables sont édifiants. Les Etats-Unis par exemple ne se sont pas engagés dans le schiste sans heurts. Nombreux sont ses Etats qui ont opté pour des moratoires sur le schiste et d’autres contestent la fracturation hydraulique à ce jour. Pourtant, c’est un pays qui a commencé l’exploitation des ressources non conventionnelles au 18e siècle et il l’a abandonnée lorsque les multinationales se sont emparées des concessions très avantageuses en conventionnelles. Il a tiré une leçon de l’embargo décrété par l’OPEP de 1973 pour tracer sa ligne d’une politique énergétique pour sortir progressivement de la dépendance de ces pays et devenir eux mêmes exportateurs et ne jamais dévier de cette droite quelles qu’en soient les conséquences. Ils ont réussi et malgré quelques réticences, les Américains se considèrent fiers de cette démarche.

La Pologne n’exploite pas le gaz de schiste de gaieté de cœur. Elle avait un choix entre la peste : une ingérence dictatoriale de la Russie de Poutine ou le choléra de cette ressource. La souveraineté a pris le dessus, donc leur économie se développe normalement. Pour l’Algérie, la loi 05-07 de 2005 était séduisante dans ces objectifs en cohérence avec la transition vers une économie de marché entamée depuis début des années 1990. Qui n’aspirait pas à libéraliser un secteur dynamique comme celui pétrolier et gazier dans le seul souci de "maximaliser" les revenus du pays pour servir à entrainer dans leur sillage les autres secteurs ? Qui ne veut pas privilégier la souveraineté fiscale de celle du capital pour redonner à l’Etat les moyens de réguler l’économie en protégeant les couches à faibles revenus ? Qui ne veut pas aussi voir l’Etat récupérer ses prérogatives déléguées à une entreprise rongée par la corruption pour laisser l’investisseur détenir à lui seul les droits d’exploitation à une seul condition de ne pas oublier son devoir vis-vis du Trésor algérien ?

Malheureusement tout cela ne pouvait se faire sans passer par l’ouverture du capital de Sonatrach que les multinationales le veulent à tout prix. Au stade dans lequel se trouvait la phase de transition vers une économie de marché et l’importance de ce mastodonte comme mamelles de l’économie nationale ne permettaient pas aux Algériens de prendre un tel risque dont les conséquences pourraient être incalculables.

Mais au lieu d’annuler purement et simplement cette loi dans l’esprit et la lettre, on a voulu ménager le chou et la chèvre. On aboutit donc à un rafistolage dont les conséquences se sont étalées à ce jour. Cette modeste contribution tente de faire un diagnostic succinct de la situation du domaine minier et une analyse des motifs de la défection des investisseurs. De montrer que la loi 86-14, reste la seule en cohérence avec la politique pétrolière et gazière initiée par l’Algérie depuis l’indépendance. De mettre en exergue les contradictions nées du tripotage de la loi 05-07 amendée, qui régit à ce jour les hydrocarbures en Algérie. (A suivre)

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Rabah Reghis, Consultant et Economiste pétrolier

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