Cet esprit de famille qui disparaît...

Les retrouvailles sont souvent des grands moments de fête.
Les retrouvailles sont souvent des grands moments de fête.

"H'chicha talba ma'îcha" (la petite herbe ne demande qu'à survivre), les gens de l'époque répètent souvent, une lueur de malice brillant dans les yeux, ce proverbe du terroir qui décrit cette vie sobre, simple, modeste mais douce et tranquille qu'ils menaient.

Paysans dans leur majorité, ils avaient, sans doute, horreur de trop s'encombrer la tête de soucis, d'avoir le cœur gros de remords et de se confronter à ces ennuis superficiels qui ont, comme ceux que vivent la plupart d'entre nous aujourd'hui, ce caractère morbide et sans rémission! Leur bonheur était dans l'humilité et la satisfaction, travaillant leur terre ou assis au coin du feu, parmi les leurs, réchauffés dans le giron familial et puisant, rires aux éclats, un levain d'espoir prometteur d'éternité dans le riche répertoire des légendes et des contes ancestraux.

Malgré les guerres, les famines, les exodes et surtout le drame de la colonisation, cet esprit de famille est resté, pour très longtemps, aussi remuant que vivant dans les consciences. Et il ne faisait vraiment mal que lorsque manque cette bienfaisante générosité cordiale qui accompagne les gestes désintéressés des membres de la même famille, leur sens du sacrifice pour les autres, leur abondante chaleur humaine, leur respect les uns vers les autres et l'amour permanent qui resserre leurs liens. Ces derniers sont, en effet, soudés autour d'un idéal commun : la quête de l'union en dépit de tous les aléas de la vie. Du coup, ils se passent instinctivement le mot, le perpétuant pour des générations entières comme un "rite de passage" pour reprendre un terme de l'anthropologie sociale.

En Kabylie par exemple, "Tiwizi" fut un extraordinaire souffle de solidarité qui aurait animé les "Aârchs", en les amenant à s'impliquer dans le bénévolat pendant les travaux d'intérêt général, l'assistance aux nécessiteux, les saisons de cueillette et de moissons, etc. Main dans la main, les riches terriens comme les pauvres y participaient en masse, entonnant avec des femmes, des vieux et des enfants des berceuses ainsi que des hymnes pour la paix, la fraternité... l'unité.

Si ces traditions ont survécu à l'usure du temps, c'est parce que, d'abord, la cellule familiale de l'époque était forte et non polluée comme aujourd'hui. Et puis, ensuite, ces traditions-là sont inspirées par une dynamique intérieure propre à la société elle-même, laquelle reflétait sa voix profonde en articulant son être à son paraître. Pas de comparaison avec la société algérienne actuelle où l'ossature familiale s'est, hélas, fragilisée, le collectif dilué dans un individualisme féroce. Et où l'angoisse de ne pas pouvoir joindre les deux bouts devient le moteur existentiel de ceux qui sont enivrés par une culture de la rente qui fabrique par centaines des faux riches.

Tandis que, de l'autre côté, des minuscules vies, à cheval entre tradition et modernité et prises dans les rets d'un quotidien morne, se voient conduites à déverrouiller par la force les codes traditionnels, sinon les détruire sans savoir comment les remplacer. L'exemple de ces familles qui jettent, toute honte bue, leurs parents dans des hospices de vieillards en témoigne. Bref, notre société s'imagine, de manière incongrue mais réglée et têtue, que la dignité est l'apanage de l'argent et du pouvoir, triste !

Kamal Guerroua

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