Intervention militaire au Nord-Mali : Quel choix pour Bouteflika ?

Le président déchu du Mali Amadou Touré et le président algérien Abdelaziz Boutéflika, octobre 2011.
Le président déchu du Mali Amadou Touré et le président algérien Abdelaziz Boutéflika, octobre 2011.

L’attitude plus qu’ambiguë de l’Algérie face à l’occupation du Nord-Mali par les groupes terroristes d’Al Qaïda au Maghreb islamique met-elle Abdelaziz Bouteflika, depuis six mois que dure la crise dans la région, face à ses propres échecs et notamment la politique de la concorde civile au moment même de sa promotion en amnistie générale à la faveur de la mascarade des réformes, des élections législatives, de la révision de la constitution et des présidentielles de 2014...

La "Charte pour la paix et la réconciliation nationale" en faveur des maquis terroristes de l’ex-GSPC et aujourd’hui d’Al Qaïda au Maghreb islamique constitue l’épine dorsale de ses trois mandats successifs. Depuis 2005, date de l’affiliation du GSPC à Al Qaïda au Maghreb islamique, qui coïncide avec son troisième mandat, la lutte antiterroriste s’est essoufflée au point où, justement, elle a permis aux maquis du GSPC de Hassan Hattab de sortir de ses territoires locaux pour rejoindre l’organisation terroriste internationale d’Al Qaïda et de faire du GSPC sa branche maghrébine. Dans le même temps, le troisième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, s’appuyant sur la concorde civile à des fins électoralistes, a dégarni les forces antiterroristes. Il a désarmé les Patriotes et les gardes-communaux et les Rappelés du service national durant les années de la décennie noire, de la période allant de 1995 à 1999 ont été purement et simplement remerciés et abandonnés à leur sort.

Isolée ainsi de ces forces paramilitaires qui, pourtant, ont une connaissance privilégiée du terrain et des multiples réseaux de soutien au terrorisme par différents liens, l’ANP n’a cessé de subir de graves pertes en vies humaines au point où ses actions sont celles de la défensive, des ripostes à des attentats visant de plus en plus les sièges de forces de sécurité en zones urbaines notamment. Les "émirs" de l’ex-GSPC sont passés entre les grosses mailles de la concorde civile pour pouvoir, avec une facilité déconcertante, passer les frontières au nez et à la barbe des autorités (ou avec leur complicité, celle des narcotrafiquants) et se retrouver à la tête des immenses territoires du Sahel, sans pour autant abandonner ses maquis "natals" au nord et au sud du pays avec de nouvelles méthodes de terreur, les attentats- suicides. La connexion entre les "émirs" algériens de l’ex-GSPC et les milieux de la contrebande du sud algérien, détenant le marché de la cigarette Marlboro et de la drogue, duquel des cercles maffieux du pouvoir tirent pactoles et influences sur les "élus" et dignitaires locaux va permettre à l’organisation terroriste d’alimenter ses maquis de l’intérieur par les mêmes canaux de la contrebande et du blanchiment de l’argent des rackets et des rançons par des intermédiaires agissant dans l’immunité totale à l’ombre de la concorde civile et à travers les nombreuses opportunités offertes également aux pseudo-repentis dont plusieurs servent de relais intouchables avec les maquis terroristes du "front intérieur".

Dès après les Révolutions arabes et la montée des islamistes au pouvoir, majoritaires dans les assemblées constituantes, l’Algérie qui a jusqu’au bout soutenu les dictateurs déchus en recevant leur famille (c’est la cas de Kadhafi) pour "raisons humanitaires" et en invoquant le principe de "non-ingérence" pour justifier son silence, s’est frotté les mains d’avoir échappé à l’ouragan mais elle a oublié le danger sur son sol et à ses portes. Al Qaïda au Maghreb islamique, profitant du chaos des premiers mois de la chute de Kadhafi chassé par une rébellion armée, se saisit de la crise politique malienne et occupe le Nord-Mali dans la déroute de l’armée de Bamako. Alger n’en est pas inquiétée pour autant, n’ayant pris aucune mesure préventive pour protéger ses fonctionnaires consulaires à Gao qui ont été pris en otage, le consulat et les voitures diplomatiques utilisées par les ravisseurs. Dès lors, Alger, n’en revenant pas d’être sortie indemne des Révolutions arabes, va brandir ce qu’elle considère comme sa propre «Révolution arabe», la décennie noire et faire de la "Charte pour la paix et la réconciliation nationale" l’instrument idéologique de son "immunité". C’est pour Bouteflika une opportunité inattendue pour mettre en avant sa politique de dialogue en voulant s’imposer comme le messie non plus seulement de l’Algérie mais de l’Afrique en tentant, par la voie diplomatique, d’exporter la réconciliation nationale au Nord-Mali où la majorité des "émirs" d’Al Qaïda au Maghreb islamique et les groupes armés qui lui sont affiliés, Ansar Eddine et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest, sont des Algériens qui ont mis doublement en échec les appels au dialogue par la main tendue du chef de l’Etat. Abdelaziz Bouteflika va user du même scénario mis en branle avec les groupes armés de l’ex-GSPC en tentant d’engager un dialogue de reddition avec des ex-chefs de l’AIS ( Armée islamique de salut) branche armée du FIS devenus ses conseillers à El Mouradia afin de s’approcher des récalcitrants du GSPC de Hassan Hattab, d’Abdelmalek Droukdel et de Mokhtar Belmokhtar à l’époque où Abderrezak El Para faisait figure de pionnier dans la région du Sahel.

Se contentant de quelques coups de poings dans la lutte antiterroriste, notamment en Kabylie, le pouvoir du troisième mandat de Bouteflika, en mal de reconnaissance sur la scène internationale, mobilise sa diplomatie pour s’engager dans un autre dialogue avec "toutes les parties" dans la crise malienne ; une terminologie officielle pour ne pas citer Al Qaïda au Maghreb islamique. Habituée aux coups fourrés, aux traquenards, Alger invite Ansar Eddine, l’un des groupes terroristes, pour sa composition à majorité touarègue, transfuges du MNLA ( Mouvement national de libération de l’Azawad) que l’Algérie dans les années 1980, dans le contexte du Printemps 80 de la Kabylie a traqué par le truchement d’éléments qui se retrouvent à la tête d’Ansar Eddine, en particulier son chef, ag Ghali. Sans en informer Bamako, sans mesurer les conséquences que ce dialogue avec Ansar Eddine reçu à Alger allait avoir comme impact sur la lutte antiterroriste de l’intérieur et sur le sort des otages consulaires, Abdelaziz Bouteflika va être mis au pied du mur par un autre groupe terroriste, le Mujao qui semble lui rappeler qu’il ne peut pas mener un dialogue avec Al Qaïda au Maghreb islamique au Nord-Mali tout en arrêtant ses "émirs" à Ghardaïa, en Algérie. Après moult cafouillages, le Mujao annonce qu’il a exécuté l’un des otages, Tahar Touati, sans qu’Alger n’ait donné la moindre information confirmant ou infirmant cette exécution.

Engluée dans une recherche d’une "solution politique négociée" au Mali par sa politique de l'autruche, l’Algérie a été vite dépassée par la décision de Bamako de donner enfin son OK à la Cédéao pour l’envoi de troupes ouest africaines libérer le Nord-Mali et en chassee Al Qaïda au Maghreb islamique. Abdelaziz Bouteflika tente les mêmes coups bas pour semer la zizanie et s’imposer comme l’acteur incontournable dans la voie diplomatique de la crise malienne. La visite du chef américain de l’Africom, l’actuelle conférence "scientifique" sur le Sahel dans laquelle l’armée algérienne s’implique, permettent à Alger de donner crédibilité à sa démarche chaotique au Nord-Mali qui semble fluctuer au gré des événements et des rapports de force au niveau international. Ces derniers jours, alors que le mandat du conseil de sécurité officialisant l’intervention au Nord-Mali semble n’être qu’une formalité, Alger donne des signaux contraires à sa politique de dialogue "sans conditions". La récente visite du président français, François Hollande en Afrique et son discours de Bamako a comme mis Alger à l’heure du grand défi d’une lutte sans merci contre Al Qaïda au Maghreb islamique alors même que la France vient d’être la cible du Majuao menaçant de tuer ses ressortissants détenus en otage au Sahel pour son soutien à l'intervention africaine au Nord-Mali.

Des trois groupes armés, c’est le Mujao, spécialisé dans les prises d’otages qui est en première ligne : il demande la libération du chef d’Al Qaïda arrêté par les forces de sécurité algériennes à Ghardaï alors qu’il n’est pas des siens sur le plan organique; c’est lui qui annonce l’exécution de Tahar Touati; c’est encore lui qui menace de tuer les otages français alors que ces derniers sont détenus au Sahel et c’est toujours lui qui offre le dialogue à Bamako assorti de l’application de la chari’a alors même que c’est Ansar Eddine qui s’en est fait le dépositaire. C’est dire que le dialogue d’Alger était voué à l’échec en raison de son refus de voir en Al Qaïda au Maghreb islamique comme, ainsi que l’a qualifiée François Hollande, une "entité entière et qui s’assume comme telle".

De tous ces éléments, il en ressort le fait suivant : l’intervention armée au Nord-Mali est inéluctable et elle se fera avec ou sans Alger. Et ce, au moment où Abdelaziz Bouteflika semble donner bien des signaux de velléités pour un autre mandat en 2014 : placards publicitaires sur son bilan, tenue des législatives sous le contrôle d’observateurs internationaux, nomination d’un gouvernement BCBG, campagne sans précédent pour regagner la confiance du citoyen tout en menant une rafle contre les représentants des associations des droits de l’homme qui osent mettre en péril sa politique de concorde nationale. Et c’est là toute le cauchemar d’un président qui, n’ayant pas plus tôt tiré profit et une certaine légitimité des Révolutions arabes, se voit sommé d’abdiquer dans sa démarche de dialogue au Nord-Mali. La guerre contre Al Qaïda au Maghreb islamique signifie ni plus ou moins la guerre contre la politique de Bouteflika qui a déroulé le tapis rouge à l’islamisme armé. Face à cette guerre qui s’annonce sous le signe d’une véritable "libération" de territoires occupés, prenant donc les mêmes consonances que la guerre de libération de 1954, Abdelaziz Bouteflika n’aura pas d’autres choix : mener la guerre sur le front intérieur ou faire triste figure de "harki".

R.N

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Raveh Aksel

Si le but de cette intervention militaire, c'est de s'en prendre à aqmi, ansar edine et mujao, qui ont chacun son sponsor, il est inutile de dire que les Touaregs sont incontournables !! Mais, les intérêts du Mali, du Niger, du Qatar, de la France et de l'Algérie ne peuvent pas se rejoindre ! La preuve ce sont ces trois organisations islamistes, dont deux n'ont été crées que pour noyer l'autonomie de l'Azawad ! Je tiens à saluer le courage et surtout l'intelligence des dirigeants du MNLA qui ont magnifiquement déjoué les pièges qui leur été tendus, en refusant de voir leur mouvement se casser les dents et disparaître, alors que tous les pays cités, n'ont comme dénominateur commun que de voir ce mouvement disparaître et différer à une autre fois l'autonomie de leur peuple!!