L’Algérie, l’exception au printemps arabe ?

Symbole de l'immobilisme, Abdelaziz Bouteflika temporise depuis mai à former un nouveau gouvernement.
Symbole de l'immobilisme, Abdelaziz Bouteflika temporise depuis mai à former un nouveau gouvernement.

"Notre génération a fait son temps. Le changement profond dans les régimes arabes, sans exception, est inéluctable. Vouloir perpétuer par certains régimes le statut quo ne peut mener qu’à la violence qui pendra des formes différentes selon le pays", Lakhdar Brahimi, diplomate algérien.

Après la Tunisie, l’Egypte, le Yémen, la Libye, et récemment la Syrie dont le régime  est condamné  (le Maroc en voie, en principe, vers la monarchie constitutionnelle) et certainement bon nombre d’autres pays arabes et africains qui suivront, annoncent des réformes pour une transition qui sera de longue durée. La transition démocratique tenant compte des anthropologies culturelles, n’existant pas de modèle universel, sera-t-elle effective ou avortée, tout dépendant des rapports de forces internes et externes ? Dans  une interview à l’hebdomadaire français L’Express en janvier 2009 et une contribution parue dans le magazine internationale les Afriques en juin  2011 (1) début  2011, j’avais posé cette question stratégique : "le pouvoir algérien versant dans l’attentisme serait-il alors le seul pays en Afrique du Nord à faire l’exception ?" Afin d’éviter des remous sociaux de court terme, des instructions ont été données depuis des mois par le gouvernement algérien pour que les organismes chargés de l’investissement et de l’emploi agréent un maximum de projets avec de nombreux avantages financiers et fiscaux, tout en demandant à des administrations et entreprises publiques déjà en sureffectifs de recruter. Or, il convient de se demander si ces instructions s’insèrent dans une vision globale du développement du pays, s’ils concernent des segments porteurs de croissance durable ou s’ils ne s’assimilent pas à un replâtrage pour calmer le front social.

Cette injection massive de monnaie sans contreparties productives est une des causes essentielles du retour de l’inflation fin 2011/2012 et certainement son accélération en 2013, entraînant le pays dans une spirale de hausse de prix. Dans ce scénario, la hausse des taux d’intérêts bancaires sera inévitable, ce qui freinerait l’investissement et la détérioration du pouvoir d’achat des Algériens. Dans ce cadre, il convient de se demander si ces jeunes promoteurs ont la qualification et surtout l’expérience nécessaire pour manager les projets. Le risque n’est-il pas d’assister à un gaspillage des ressources financières, en fait de la rente des hydrocarbures et, à terme, au recours au Trésor à l’instar de l’assainissement des entreprises publiques qui ont coûté plus de 50 milliards de dollars entre 1971 et 2012 ? Ne fonce-t-on pas tout droit vers une nouvelle recapitalisation des banques ?  La trajectoire raisonnable, en attendant une véritable relance des segments hors hydrocarbures, n’aurait-elle pas été l’investissement dans l’acquisition du savoir-faire ? Quelle est la contribution à la valeur ajoutée réelle du pays dans les projets réalisés ? Enfin, ces projet et ceux réalisés s’insèrent-ils dans le cadre des valeurs internationales dans la mesure où, avec la mondialisation et malgré la crise, nous sommes dans une économie ouverte du fait des engagements internationaux de l’Algérie ?

Concernant l’aspect macro-économique global, il existe une loi universelle : le taux d’emploi est fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité relevant d’entreprises compétitives, et l’on ne crée pas des emplois par des décisions administratives. Le taux de chômage officiel de 11% est fortement biaisé incluant les sureffectifs, tant des administrations que des entreprises publiques, des emplois temporaires fictifs (cinq mois non créateur de valeur ajoutée comme par exemple pour faire et refaire des trottoirs) et les emplois dans la sphère informelle. En réalité il est supérieur à 20% et certaines wilayas déshéritées connaissant des taux de chômage réel de plus de 40%. Paradoxalement, du fait de l’allocation sectorielle d’investissement via la dépense publique, fortement biaisée car privilégiant les emplois à très faibles qualifications comme le BTPH (70% de la dépense publique), les diplômés ont plus de chance d’être chômeurs expliquant le faible taux de croissance et l’exode des cerveaux. Que deviendront les 1,5 million d’étudiants sortis des universités en 2015 et les plus de 2 millions à l’horizon 2020 ? Dès lors se pose cette question stratégique : ce dépérissement du tissu productif en Algérie n’explique-t-il pas que le taux de croissance n’est pas proportionnel à la dépense publique, soit 200 milliards de dollars entre 2004 et 2009, et 286 milliards entre 2010 et 2014  dont 130 de restes à réaliser des projets non terminés entre 2004/2009 (surcoûts dus à la mauvaise gestion et la corruption) ?

La majorité des observateurs nationaux et internationaux convergent vers ce constat : la réforme globale en Algérie, (l’Etat de droit, l’indépendance de la justice, l’instauration de l’économie de marché concurrentielle, et la démocratisation), souvent annoncée comme source de croissance durable, est en panne avec un statu quo intolérable et suicidaire. Les banques, lieu de distribution de la rente, continuent de fonctionner comme des guichets administratifs. La bureaucratie et son produit la sphère informelle domine la société. La facture alimentaire est élevée, malgré le fameux programme agricole (PNDA). Comme conséquence, nous assistons à la chute vertigineuse du dinar sur le marché parallèle qui est l’un des aspects de ce retour à l’inflation accentuant la concentration, du revenu national au profit d’une minorité rentière, cristallisant le mécontentement du fait d’une profonde injustice sociale. Au vu de la forte démobilisation populaire, du divorce croissant Etat-citoyens des tensions sociales qui deviennent de plus en plus criardes, spontanées non organisées que l’on essaie de calmer par du saupoudrage de distribution de la rente directement ou indirectement via des subventions généralisées, sans de profondes réformes structurelles, se fondant sur un dialogue serein s’attaquant au blocage réel du fonctionnement réel de la société algérienne, loin des replâtrages juridiques, comme cela a été tenté, en vain, par les anciens régimes, je doute avec de nombreux observateurs  et experts nationaux et  internationaux que l’Algérie soit l’exception du printemps arabe.

Invoquer les années sanglantes entre 1990/2000, véritable guerre civile avec, selon les officiels 200.000 morts, sans compter le nombre aussi important de blessés et des dégâts matériels de plusieurs milliards de dollars, ne tient pas la route du fait que la nature du système rentier n’a pas changé d’un iota. On ne peut donc parler de printemps arabe en Algérie : sur le plan politique nous avons toujours le monopole du parti FLN éclaté avec son petit-fils le RND et d’autres micros partis, et sur le plan économique c’est toujours le syndrome hollandais, après 50 années d’indépendance politique, avec 98% d’exportation d’hydrocarbures et important 70/75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées, (83% du tissu économique selon l’enquête de l’ONS de 2012, étant constitué de petits commerces/services) paradoxalement  pour un pays doté en hydrocarbures important  du gasoil, de l’essence  et connaissant des tensions perpétuelles au niveau de la consommation électrique.(1).

Le dernier rapport des observateurs européens consacré aux élections du 10 mai 2012, je cite : "Le désintérêt de la majorité de la population algérienne pour ces élections". Méditons attentivement cette sentence pleine de sagesse d’un grand diplomate algérien qui a été consacré à l’international, pas au niveau interne à l’instar de bon nombre de cadres et intellectuels algériens marginalisés, Lakhdar Brahimi, je le cite : "Notre génération a fait son temps. Le changement profond dans les régimes arabes, sans exception, est inéluctable. Vouloir perpétuer par certains régimes le statu quo en étouffant ne peut mener qu’à la violence qui pendra des formes différentes selon le pays". Le rôle des intellectuels algériens, non pas les organiques qui caressent du poil le pouvoir pour avoir une rente,et des véritables patriotes est d’attitrer l’attention sur les dérives possibles et comme solution la nécessaire mutation systémique. Car la situation actuelle du statu quo, en étouffant les libertés, sous le couvert d’une multitude de micro partis et d’organisations dites de la société civile, déconnectés des réalités et des populations, souvent appendice de l’administration, vivant du transfert de la rente des hydrocarbures, est intenable. Espérons, pour notre pays et bien d’autres, une prise de conscience de ceux qui les gouvernent, pour éviter à leur peuple cette violence. Saluons la sagesse des dirigeants sénégalais et la maturité de leur peuple pour avoir réalisé une transition politique pacifique, un exemple pour l’Afrique.

Dr Abderrahmane  Mebtoul, professeur des Universités Expert International en management stratégique

Email : [email protected]

(1) Interview du professeur Abderrahmane Mebtoul à l’hebdomadaire français l’Express 9 janvier 2009 "Il faut en finir avec l’économie de rente" Magazine les Afriques "L’Algérie, conséquences économiques de l’exception  au printemps arabe"  décembre  Genève Paris, juin  2011

Le professeur Abderrahmane Mebtoul a dirigé avec une équipe pluridisciplinaire composée d’économistes, de sociologues et de démographes entre 2007 et 2008 un important audit pour les pouvoirs publics sur le thème de la problématique de l’emploi et des salaires (huit volumes 980 pages).

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Commentaires (13) | Réagir ?

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med lahouagi

C'est de l'ignorance de l'histoire recente de ce pays ka connu l'equivalent de 2 ce k'ils appellent '"printemps arabe" = notre printemps amazigh et une 2em revolte ka tournée en gyerre civile !

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Brahim Arbat

Votre "printemps arabe", M. Mebtoul, existe depuis cette incongrue notion d'Ennahda inauguré, curieusement par Djamel Eddine El Afghani et Mohamed Abdou par réaction à l'impact définitif, abouti, de la Révolution industrielle occidentale, mais qui est resté au stade de la tchatche, et puis c'est tout.

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