"L’affaire Khaled Nezzar" et la presse algérienne

Le général à la retraite Khaled Nezzar.
Le général à la retraite Khaled Nezzar.

"La violence aux mains du peuple n’est pas la violence, mais la justice." Eva Peron

Qui aurait imaginé, il y a à peine quelques décennies, à l’époque où le journal El Moudjahid placardait dans ses pages intérieures des bulletins de recherche sur des ressortissants non encore jugés – qui ne se souvient-il pas de ces effarantes effigies de citoyens au-dessous desquelles la rédaction de ce journal mentionne en gros et gras, par exemple, "cet homme est un escroc" ! – qu’un jour un Algérien ayant été ministre de la Défense national se ferait traîner devant des tribunaux étrangers afin d’être jugé pour rien moins qu’un crime contre l’Humanité ? Dans les couloirs des Tagarins, Mohamed Lamari, juste capitaine giflait des officiers à l’envi et Ahmed Bencherif, chef de la gendarmerie nationale, mettait des gradés gendarmes récalcitrants dans sa malle arrière qu’il rabattait avant de prendre le volant. 

Quand la presse jugeait les citoyens

C’était l’époque où nombre de journalistes y vaquaient paisiblement, avec badge professionnel qui faisait office de passe-partout et dont beaucoup aujourd’hui sont de "respectables" directeurs de publication qui ameutent sur les passe-droits et qui n’hésitent pas montrer du doigt, comme si de rien ne fut, la caste de Khaled Nezzar à laquelle, dans le temps comme on dit, ils servaient de relais. Ils sont, ici et là, des actionnaires commentateurs analystes distribuant des haros sur tout ce qui bouge qui ne plaît plus à leur nouvelle façon de voir ; il y a parmi eux des anciens de la DGPS, pour les jeunes générations qui ne savent pas, il s’agit de la Délégation générale de la prévention et de la sécurité, chargée de surveiller les personnes physiques et morales travaillant dans la presse, journalistes rédacteurs, auxiliaires, administratifs ou techniciens. Ça trinquait au bistrot ou ça dégustait un bon café à la maison avec le confrère mais ça n’avait aucune chance de ne pas atterrir dans les lignes d’un rapport détaillé sur les derniers mouvements en ville ou en campagne et les relations les accompagnant.

Ça va à coup sûr offenser  pas mal d’anciens qui roulent sans problème  - et même beaucoup mieux que ça - leur existence, qui s’habituent maintenant aux gros contrats de réclame au point de privilégier la paraphrase au détriment du reportage, l’observation à partir du clavier au lieu de l’enquête sur le terrain à investiguer. Le commun des lecteurs remarque déjà depuis assez longtemps que les "enquêtes" portées comme telles, de la manière de la sensation, ne sont souvent ni plus ni moins que des recoupements lisibles de rapports de gendarmerie ou de brigade de police judiciaire. Il suffit de soigner sa langue de travail, de trouver une ligne d’intelligence sur une intrigue et le tour est joué. Mais d’aucuns n’ignorent pas que c’est de cette providence que se font et se défont les règlements de comptes.

Le régime, la presse et le pognon

Ainsi, le régime et la presse version "pluralisme" se retrouvent dos-à-dos, bon enfant, chacun tout content dans son concert. Les dirigeants tolèrent que la presse leur jette la pierre, les insultent, les diffament et les calomnient parce que l’information, la vraie, celle qui peut donner à réfléchir aux populations, est à leur niveau. Parfois, elle est distillée au compte-gouttes pour diriger un leadership d’opinion, avec toutes les techniques de la manipulation qui va avec. Et la presse, qui a les milliards de la publicité, n’entend pas en dépenser la contrepartie nécessaire pour traquer l’information. Il y a nécessairement quelque chose de tactique dans cette histoire des gardes communaux, prenant la place médiatique des universitaires, sanitaires ou autre qui appréhendent d’ores et déjà la rentrée prochaine.

La chronique, le commentaire, l’analyse, le billet, et bien sûr, l’éditorial, deviennent le feuilleton quotidien que le buraliste met en vente. Sur ce point justement, de ce principe du jeu du ramassage du fric, le buraliste aurait bien le droit d’exiger sa part de la manne publicitaire, sans lui les annonceurs sont pieds et poings liés. L’évolution de la presse algérienne depuis sa libéralisation n’a pas été vers le concret du terrain, mais, gagnée par la hantise du gain rapide, elle a plongé dans le travail sans peine où un chroniqueur de la trentaine touche le double d’un journaliste de son âge qui attend le pauvre qu’on lui apprenne à faire ce qu’on lui a inculqué à l’école. On me rétorquera qu’"on ne lui apprend presque rien à l’école de journalisme" et je dis, faux.

On enseigne beaucoup de choses intéressantes, modernes et perspicace dans cette enceinte de Ben Aknoun, même si elle ne dispose pas d’outils pédagogiques sophistiqués, mais, hélas elle a tendance à ne pas répondre aux attentes des cent publications qui inondent le marché du papier rédigé sur le plan de la "rentabilité" - sauf si par chance dans un reportage ou au cours d’une couverture, il se trouve une famille qui s’immole ou un jeune imam qui s’adonne à des attouchements sur un enfant. En revanche, un habile joueur sur les mots, un épateur, qui fait nager les lectorats dans le bain de leurs paradoxes basés sur les idées qu’ils ont de leur pays et qu’ils retrouvent, comme par enchantement, par effet de catharsis pour emprunter aux sociologues, dans ses pensums écrits sous la formule de la chronique véhémente, eh bien, là, les bourses des annonceurs se délient car leurs conseillers leur expliquent que l’Algérien aime se flatter dans les faux va-t-on-guerre contre le régime. Car la vraie guerre contre le régime c’est l’information "sans conditions" depuis ses sources nationales d’abord ; ça va ainsi dans tous les pays qui sont dignes de posséder une presse libre et indépendante, c’est la prérogative de la presse objective.  

Au commencement le 5 octobre

Mais revenons à Khaled Nezzar et l’affaire qui le lie au Tribunal pénal helvétique. Il est attaqué en tant que ministre de la Défense, arrivé à ce poste par un biais anormal et ça ce n’est déjà pas de bon augure pour lui. Les années 1990/1991, période dans laquelle il accède au commandement suprême des armées, synonyme, à peu près, du pouvoir absolu en Algérie, offrait au pays sa valeur la plus incertaine dans l’histoire de son indépendance. Ruinée économiquement, surendettée, prise à la gorge par une déferlante islamiste mal jaugée parce que le gros de la manœuvre engageant l’ouverture dite du 5 octobre était cadré sur un processus machiavélique guidé dans l’occulte qui consistait au blanchiment des fortunes, des statuts et des postes, l’Algérie était à la merci de n’importe quel conflit social génocidaire. C’est paradoxalement le FIS de Abassi Madani et Ali Benhadj qui, sans le savoir, sabota le 5 octobre, qui était pensé dans l’ombre comme les clés d’une sortie à la lumière de toute une classe sociale nourrie dans la chair de la nation par trente années d’entourloupettes, entre autres trafics d’influence, passe-droits et malversations tous azimuts. Et l’homme qui devait colmater cet échec dû à un mauvais calcul, c’est lui, Khaled Nezzar. En prenant la responsabilité du poste déterminant, le jeu était fait, qu’il ait été au parfum ou non. Il a beau expliquer ce qu’il veut, la réalité est là qui ne lui donne aucun crédit. Il était en chair et en os le centre moral de la décision essentielle. Mais la suite tout le monde la connaît, des dizaines de milliers de morts, autant de blessés et de traumatisés, des disparus par vagues, des viols, des rackets, des kidnappings, des séquestrations. Sans compter l’assassinat d’un chef d’Etat.

Le juger pour cela en Algérie pourrait se comprendre sur le plan de la légitimité populaire, qu’il avance des réponses claires sur des questions précises posées par une commission nationale d’enquête libre et autonome, non pas par une fraction sortie de l’Assemblée de Zighout-Youcef, élue par une infime partie de la population. Mais donner du crédit à ce type de tribunal international, quels que soient les bien-fondés, cela n’est pas intéressant pour la dignité nationale. Aussi neutre qu’elle puisse donner l’air, beaucoup d’institutions dans cette confédération ont commis d’atroces écarts vis-à-vis de l’économie algérienne en occultant des fortunes colossales dérobées au patrimoine public algérien, à commencer par le trésor du FLN. Si Khaled Nezzar est coupable, ce sont les Algériens qui doivent le juger, par un tribunal civil ou militaire. Tout dépendra de la balance à ce moment-là.

Nadir Bacha

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Commentaires (15) | Réagir ?

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omar abdeddaim

Pour sauver l'ecole, l'agriculture etc,,,, il faut un systéme politique inscrit dans son temps, helas ce que les elections ont donné comme resultats en 1991 ne pouvaient qu'enfonçaient le pays dans le desastre, khaled nezzar a fait reculé cette écheance sans apporter de solution parceque ce n'est pas son role, et c'est là que les politiciens ont faillis, disons aussi qu'il faut du temps pour faire une nation, en tous les cas ce n'est pas à BHL ou à la suisse de regler ces problémes sauf s'il s'agit de detournements ou des affaires de ce genre, personnelement je ne suis pas du tout adepte de la théorie de la regression feconde, cette regression elle peut etre jolie lorsqu'elle est vecue de l'exterieure parceque vivre asr el jahilia en etant dedans, merci beaucoup!!!!!!

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salim djebaili

Certains prétendent qu'il a sauvé l'algerie de l'islamisme. qu'est ce qu'il a fait pour sauver notre agriculture, le système scolaire, notre trésor, notre pétrole, notre tissu industriel, notre système de santé, la justice, l'environnement, le patrimoine hitorique des musées etc. rien et ils le soutiennent pour la simple raison qu'il a bloqué le processus electoral. que peut-il nous dire de la mort de boudiaf leur courageux nezzar? il n' y a pas un seul citoyen qui puisse être du coté d'un général comme nezzar.

est ce que vous (apparatchiks) vivez dans une autre planète?

HCHOUMA 3ALIKOUM !

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