Bouteflika et les tentations Gaulliennes Par Larbi Chelabi

Bouteflika et les tentations Gaulliennes   Par Larbi  Chelabi

L’histoire que je vais vous raconter est vraie. Cela se passait en France, au tout début des années 90. Il y avait un personnage excentrique qui fréquentait les bars du quartier latin. C'était indiscutablement un sosie de Gainsbourg. La ressemblance était à ce point frappante que notre ami prenait un malin plaisir à vivre complètement dans la peau de l'artiste. Tout comme l'auteur de la ‘’Javanaise’’, il avait la dégaine nonchalante et un brin désobligeante. Il entretenait la même barbe de 2 jours et enchainait les gitanes à un rythme d'enfer, tête légèrement baissée sur le côté et le sourcil droit en accent circonflexe. Tout comme lui, il sifflait des rasades de Ricard que seules interrompaient les volutes bleuâtres des gitanes qu’il tenait ostensiblement entre le pouce et l'index. Il était Gainsbourg dans sa façon de s’habiller. Il était Gainsbourg dans sa façon de baragouiner les phrases en les entrecoupant de perles d'obscénités. Il était Gainsbourg jusqu’au bout des ongles. Il adorait qu’on l'appelât Gainsbarre. Pour rien au monde il n'aurait voulu d'une autre identité. Celle de son idole suffisait amplement à son bonheur. Le bougre !

Ce prélude pourrait paraître inutile s’il se limitait à la simple anecdote. Il a pourtant sa raison d'être dans le contexte politique qui nous intéresse car il traite de ce que la psychanalyse considère comme un trouble du comportement qui nait dans les esprits fragiles, incapables d'intégrer et de vivre avec la réalité de leur petit ‘’Moi’. Ce petit ‘’Moi’’ qui devient par la force des choses source de leurs permanentes frustrations.

Pour compenser leur condition humaine qu’ils auraient souhaitée plus flamboyante, certains individus projettent en avant-plan des comportements qui sont souvent empruntés à des modèles inaccessibles incarnant l'objet ou le sujet de leur fascination-adulation. La littérature et les arts foisonnent de ces cas souvent touchants quand ils se limitent au monde des saltimbanques. Ils deviennent sujets à préoccupation, lorsqu’ils sont le fait d'acteurs de premier plan de la vie politique d'un pays. Bouteflika est de ceux là !

Comme chacun sait, notre président voue à l'histoire et aux grands hommes qui la font un culte sans bornes. Le 20ème siècle a vu passer une kyrielle d'hommes politiques de dimension planétaire : Gandhi, Churchill, Roosevelt, De Gaulle, Mandela, Che Guevara, Kemal Atatürk, Staline, Hitler, Franco, et Mussolini pour ne citer que quelques uns, indépendamment du jugement que l'histoire aura réservé à chacun d'eux.

De tous ces grands noms, le Général de Gaulle est probablement celui qui exerça le plus de fascination sur Bouteflika. De Gaulle avait une idée de la France. Il était au cœur de cette idée. Il pensait sincèrement que les français étaient des ‘’veaux’’ que l'on conduit assez facilement à l'abattoir. Il se voulait leur berger bienveillant. Mais pour le devenir, il lui fallait d'abord revenir au pouvoir, ensuite saborder les institutions de la 4ème république, à commencer par la constitution qui selon lui était la source de la paralysie de l'action gouvernementale et de l'instabilité politique. De Gaulle avait raison sur ce plan là. La 4ème république a consommé 23 gouvernements en 12 ans et la crise atteint son paroxysme en 1958 avec la détérioration de la situation en Algérie.

Cette année là, De Gaulle revint au pouvoir et se tailla une constitution à sa mesure. Cependant, l'histoire témoignera, à sa décharge, qu’il ne fut pas ce dictateur omnipotent qui donnait des boutons à la Presse d'après-guerre. Et si la constitution qu’il a voulue renforçait drastiquement le pouvoir présidentiel, elle était avant tout d'essence démocratique et chacune des institutions de la république jouait pleinement son rôle dans l'édifice institutionnel du pays.

Bouteflika retint de De Gaulle qu’il lui fallait jouer le même rôle d'homme providentiel. Il se voyait et il se voit toujours en berger éclairé revenu du désert d'Arabie après une longue période de ’’ressourcement’’ pour conduire ce peuple inculte, sale et méchant vers de paisibles et verdoyants pâturages. C'est un peu Moise conduisant avec son frère Aaron (Saïd) le peuple d'Israël hors de l'Égypte pharaonique.

Tout comme le Général De Gaulle, il voulait SA CONSTITUTION. Une constitution qui lui donnerait les moyens et la durée pour accomplir sa mission quasi messianique. Ne disait-il pas en 1999 que ‘’la Constitution actuelle avait pris le plus mauvais du régime parlementaire et le pire du régime présidentiel’’. Cette assertion est bien évidemment fausse. Elle est pure rhétorique venant de quelqu’un qui a un penchant avéré pour les figures de style! Dans les faits, la constitution du 28 novembre 1999 ne l’a jamais empêché de faire son travail, bien au contraire ! À ce jour, Bouteflika a toujours fait ce qu’il a voulu faire. Il a CONSOMMÉ pas moins de 5 premiers ministres en moins de 9 ans : Smaïl Hamdani, Ahmed Benbitour, Ali Benflis, Ouyahia et Belkhadem sans qu’il soit justifié de le faire. Il a à sa botte le parlement et le Senat, le conseil constitutionnel, les partis politiques de l'alliance présidentielle et ceux qui ne demandent qu’à en faire partie, le conseil d'État, la radio, la télévision, la presse publique, la justice, l'armée et j’en passe. Le conseil des ministres se réunit selon son bon vouloir et les lois sont adoptées le plus souvent par ordonnances sans que ni la chambre basse, ni la chambre haute ne s’en émeuvent outre mesure. Par Dieu, comment se fait-il qu’avec toute cette latitude dans l'action, il se trouve encore à l'étroit dans cette constitution ? Non, Bouteflika n’aime pas cette constitution pour une seule et unique raison : elle limite à deux le nombre de mandats présidentiels alors qu’il en veut plus !

Il y eut beaucoup d'encre qui a coulé autour de cette notion de limitation des mandats présidentiels. Était-ce démocratique ou anti-démocratique ? Certains, à commencer par Belkhadem, relayé par quelques journalistes incultes la trouvent anti-démocratique car selon eux, le peuple souverain a le droit de demander à un président de rester au pouvoir, fut-ce à vie, si ledit peuple est satisfait de la performance de son président. Si l'Algérie se comparait sur le plan institutionnel et dans la praxis démocratique à la France, à la Grande Bretagne, à l'Allemagne ou à l'Australie, de tels arguments seraient recevables. Mais l'Algérie est plus près de la Libye, de l'Égypte et de la Syrie qui voient les mêmes dinosaures rempiler, mandat après mandat, comme si le temps s'était arrêté. Comme si ces pays n’ont jamais enfanté de plus beau et de plus intelligent que Kadhafi, Assad ou Moubarak!

La constitution de 1989, aussi imparfaite soit-elle, permettait au moins l'alternance des personnes à défaut de toucher à la nature du régime. Le bon peuple avait l'espoir fou mais l'espoir tout de même que changer de président lui ouvrait d'autres perspectives sur la vie. Lui enlever cette parodie du bonheur serait ajouter la rancœur à l'ignominie !

La constitution de 1989 devra en effet être changée, un jour où l'autre, pour bâtir un pays démocratique à la mesure des exigences de notre temps et de nos ambitions. Elle devra être amendée pour renforcer les droits démocratiques du citoyen et les principes d'égalité qui doivent guider l'action du gouvernement quel qu’il soit et indépendamment de sa couleur politique. Elle doit conserver les éléments positifs pour laquelle elle est aujourd’hui dénigrée notamment son chapitre 74 qui porte sur la limitation du mandat présidentiel. Si ce pays n’est pas capable d'enfanter un bon président tous les dix ans, alors qu’il aille au diable pour de bon!

Les États Unis qui ne sont pas moins démocratiques que la France, l'Angleterre, l'Allemagne ou l'Australie ont bien vite compris que pour prévenir le culte de la personnalité qui commençait à poindre le nez sous la présidence de Franklin Roosevelt (32e président des États-Unis de 1933 à 1945), il fallait mettre dans la loi un dispositif imparable. Ainsi est né le 22ème amendement de la constitution américaine qui interdit au président élu 2 fois de se représenter, y compris pour le poste de vice-président. La santé de la vie politique des États Unis d'Amérique dépend exclusivement de la vitalité de leurs institutions et non de la flamboyance de leurs présidents. Ceci devrait ouvrir les yeux et les oreilles de monsieur Belkhadem et de tous les thuriféraires du président.

Monsieur Bouteflika devrait savoir qu’il y a bien d'autres moyens de rentrer dans l'histoire. Pas seulement en essayant de porter le costume de De Gaulle, à l'évidence bien trop grand pour lui. Il ne lui suffit pas non plus de battre le record de longévité politique de feu Boumediene ou de Chadli. Il doit savoir, en homme averti, que le peuple n’a rien retenu de bon de ces deux présidents qu’il a pourtant ‘’applaudis’’ longuement et chaudement. S’il veut laisser une marque indélébile dans l'histoire de l'Algérie contemporaine, et il en a encore le temps, qu’il appelle à une assemblée constituante qui aura le mandat de produire une constitution moderne et qu’il parte sans demander son reste. Le peuple dans son infinie mansuétude saura lui pardonner ces 9 ans d'errance politique. Il ne retiendra que ce geste auguste d'un bon père de famille qui laisse à sa progéniture un beau testament pour la vie. Cela vaut bien un troisième mandat. Réfléchissez monsieur le président !

L.C.

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Commentaires (27) | Réagir ?

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ali elmenfi

Si Chelabi, mon activité professionnelle n’a aucune espèce d’importance dans le cas présent et vous qui êtes un participant régulier de ce forum vous devriez savoir que nos activités sont multiples. Aussi, couper les cheveux en 4 ! Pas assez cher mon fils ! Je les coupe en 12, 14, 18 et même à l’infini…et tant mieux si vous n’êtes pas d’accord avec moi. D’ailleurs je ne le suis pas avec vous lorsque vous parlez « de l’aura des petits pères du peuple ». N’est ce pas Staline que l’on nommait ainsi ? Un petit père fouettard ! Relisez bien ce que j’ai écrit. Je n’ai pas dit: « Un homme politique, quel qu'il soit, doit pour mener à bien sa mission se sentir investi d'une mission divine », mais qu’il doit être prédisposé à recevoir ce qu’il va considérer comme une mission divine. Un homme d’Etat n’est jamais modeste. Et cela est enseigné sur les bancs d’école !

Mais puisque vous voulez avoir raison, je vous laisse le penser en fredonnant cet air des années de braise « « Ya di Gaulle, barka matenbah, chi makoul manhatouch lesslah » Fin de l’épisode.

elMenfi

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Larbi Chelabi

Mr El Menfi, vous avez tendance à couper les cheveux en quatre. J'ai remarqué qu'à chaque fois que vous faites une intervention vous avez l'art de découper les phrases des autres au scalpel pour extraire la partie qui aidera à démarrer votre réflexion. Je ne sais pas quel métier vous faites mais il ne doit pas être loin de la psychologie. Mon propos est fort simple: je ne suis pas d'accord quand vous dites que l'homme politique, quel qu'il soit, doit pour mener à bien sa mission se sentir investi d'une mission divine qu'il soit De Gaulle ou Bouteflika. Vous m, en voyez navré! Il y a des hommes d'exception qui ont été éprouvés par l'histoire et qui ont éprouvé l'histoire. Ceux là peuvent se prévaloir d'une certaine aura politique et agir comme des sauveurs, des petits pères du peuple. Les autres, les petits qui n'ont pas cette aura et ce n, est pas une tare doivent gérer au mieux les mandats qu'ils recoivent du peuple avec toute la modestie qui va avec. Ceux qui se pensent plus qu'ils ne le sont ont des problèmes psychiatriques à régler et vite. Quand vous dites que cette attitude (la griserie du pouvoir) est normale et que vous allez jusqu'à dire qu'on l'enseigne aux élèves de première année en sciences politiques alors je dis que c'est faux. Et si c'était vrai alors il faudra déconseiller à tous les étudiants de fréquenter cette filière de malades mentaux. Salutations

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