Sommes-nous condamnés à voter pour des élus ?

L'ancienne alliance qui avait soutenu le système et Bouteflika est toujours là.
L'ancienne alliance qui avait soutenu le système et Bouteflika est toujours là.

"Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l’Etat est déjà près de la ruine. Faut-il marcher au combat ? ils paient des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au conseil ? ils nomment des députés et restent chez eux. A force de paresse et d’argent, ils ont des soldats pour servir la patrie, et des représentants pour la vendre." (1)

Mais quand les députés et les soldats se mettent à leur tour à la paresse et à l’argent, la ruine de l’Etat est déjà la réalité, la nôtre. Ce qui donne des élus masqués en candidats munis de zéro programme, zéro vision du bled, du monde mais soucieux du diamètre de leur panse et gavés de mépris pour une populace qui miraculeusement se mue en peuple à l’approche d’une élection. "Nous sommes vos Sauveurs !", affirment-ils. Il faut les croire, comme d’habitude, à moins de fantasmer sur la Somalie ou le Soudan avec en sus le traumatisme du terrorisme qui nous interdit de jouer les trouble-fêtes et rééditer octobre 1988. A défaut d’un printemps arabe on l’a eu berbère et il a foiré dans l’œuf à l’image de l’omelette brouillée du premier qui a conforté le pouvoir en place et signer la mise à mort d’une démocratie en gestation.

On se demande alors pourquoi ces énergumènes qui ont leur nom sur des fauteuils ont besoin de nous pour s’asseoir dessus ? Sûrement pas pour accueillir des islamistes qui ont déjà pris possession de l’hémisphère sacré en abreuvant le sol de notre sang et faisant un bras d’honneur aux jeunes "attardés" de facebook. Nos sempiternelles revendications salariales suffisent à nos besoins : "O Sidi, un peu de miettes crachées !" Et dare-dare, la planche à billet se met en branle accouchant d’un dinar-kleenex. "Pitoyable !", c’est l’adjectif choisi par des diplomates français pour qualifier l’Algérie d’aujourd’hui. Quant à leurs homologues américains, ils parlent de peuple malheureux et tous s’inquiètent en secret, se rassurent face la camera de l’exception algérienne. Dans son livre L’Improbable Equilibre, Guy Spitaels s’étonne que ni la France ni l’UE (Union européenne) n’ont jamais appelé à une commission d’enquête internationale au sujet des horribles massacres perpétrés dans nos villages par les barbus alors qu’Alger est plus proche de Paris que le Kosovo ou Damas. Est-ce parce que nos chefs ont les moyens de remplir des mallettes des valises de billets et même dernièrement de prêter des devises au FMI ? Kadhafi aussi était fort "généreux" dans ce domaine mais sa cervelle ne valait pas celle de nos commandors. C’est vrai que dans les fables éducatives, la queue du renard l’emporte toujours sur la crinière du lion.

Dans les pays arabes en effervescence, la "naïveté" du régime si indispensable à l’espoir n’existe hélas pas chez nous… Montesquieu affirme que quand la pauvreté d’un peuple est causée par la pauvreté d’un gouvernement, la servitude fait partie du lot. Quand avons-nous élu démocratiquement un Président de la République démocratique et populaire ? Même notre favori feu Boudiaf a été choisi pour nous. L’Algérien s’était isolé une seule fois dans l’urne en citoyen libre et responsable le 1er juillet 1962. Puis le bulletin unique du Parti unique du candidat unique est venu se glisser tout seul dans l’urne. Pourquoi dépenser tant d’argent et perturber des millions de "malades d’Alzheimer" pour un vote qui fera de demain kif-kif à hier et aujourd’hui ? A moins que le condamné à mort soit contraint à creuser sa propre tombe sous la menace d’un pistolet. Le bourreau devrait s’assurer d’abord que la victime possède bien des bras et le souci d’être enterré.

Or que voyons-nous autour de nous que quelques soubresauts de marcheurs paralysés par des policiers 10 fois 100 fois plus nombreux. Marcher dans ces conditions n’est pas chose aisée avec des psychopathes aux commandes qui ont les moyens de collectionner des armes sophistiquées et des caméras qui scannent manu militari jusqu’à notre ADN. Si les cadavres pouvaient parler, ils nous diront qu’il y a une mort après la mort, celle qui frappe en catimini dans l’anonymat au cœur de la cible : les impôts, les menaces, le chantage, toutes ces saloperies qui font plus de dégâts que les bombes syriennes. Et si Dieu s’en mêle, la baraka est à prendre à bras ouverts. L’opposant du pharaon ne peut être qu’un prophète. Dictateur et religieux, un couple historiquement bien assorti. L’Eglise n’a jamais brillé par son opposition à Hitler ni à Staline et le Shah d’Iran qui n’était pas un enfant de chœur a refusé d’écouter ses conseillers qui le suppliaient d’éliminer Khomeiny. Dieu comme adversaire c’est pratique, n’importe qui peut s’autoproclamer Son porte-parole. Il est intéressant de constater que dans les sociétés païennes où il y avait autant de dieux que d’illuminés, il n’y avait pas de guerre de religion ni d’intégrisme.

La notion de citoyenneté remonte à l’Antiquité réactivée par la Révolution anglaise au 17e siècle puis au 18e par les philosophes français, son principe reste le même : tous les citoyens sont égaux devant la loi et par conséquent participent d’une façon égale à la gestion des affaires politiques de leur pays en choisissant leurs élus. Qui a choisi ces dinosaures qui crèvent l’écran de l’Unique depuis l’ère de De Gaulle Kennedy Franco ? Où sont les partis autres que le FLN et ses avatars qui représentent le SDF qui survit grâce à la décharge publique, l’intello paralysé par la censure et l’ennui, la ménagère qui ne remplit son couffin que par la malbouffe, le jeune coincé par la drogue, la délinquance et la fuite clandestine, l’enfant pris en étau par la violence de la rue et l’école qui se forme en se déformant, l’ouvrier expulsé de l’usine qui ferme en délocalisant capital et bénéfices, la femme qui aspire à des droits élémentaires ou simplement le musulman non pratiquant pour ne pas dire laïc qui ne rêve que d’échapper au lynchage ?

Où sont passés tous ces romantiques qui ont tenté d’humaniser la scène politique après octobre 1988 ? Du zéro blabla avec la dictature révolutionnaire on est passé à l’infini blabla avec une dictature du pourrissement. Déjà en 1991 où les législatives étaient moins désespérantes, feu Saïd Mekbel écrivait : "Le pays nous est venu au journal, sans prévenir et dans un état, le pauvre, qu’on avait de la peine à croire que c’était un pays qui avait du pétrole et des idées. Il avait l’allure pauvre, lamentable, abattue et triste. Il était retourné, chaviré, mutilé, écorché, déchiré, découpé en mille lambeaux, en mille lamelles, en mille rubans, scié et découpé en mille tranches et tous ces mille et mille morceaux étaient mal recousus, mal rapiécés, mal collés." On nous affirme que si on ne va pas voter c’est parce qu’on est manipulé par des ennemis extérieurs afin de déstabiliser le bled. Avec quel argent quelle sorcellerie l’Occident désargenté désenchanté est arrivé à nous transformer en harkis ? Depuis le départ des colons, le discours officiel nous donne de l’ennemi à tout-va, est-ce la France, l’Amérique ou le Maroc, Israël ? En tous les cas, les deux premiers ont toujours bénéficié des salamalecs et baisemains du sérail.

Les législateurs de la IIIème République conseillaient ainsi les électeurs : "…laisser en dehors nos passions, nos sympathies, nos haines nos intérêts privés, nos parentés, nos ambitions, nos considérations de personnes." (2) En un mot, emporter dans l’isoloir la raison et laisser dehors la passion. C’est donc le citoyen libre, autonome, souverain qui vote mais en Algérie la soucoupe volante de cet extraterrestre n’a jamais atterri. Il faut lire l’histoire de nos ancêtres pour mesurer l’abîme qui nous sépare des autres, les normaux, les citoyens pour de vrai. Dans son livre, réédité en 2005 par Grand-Alger-Livres, Histoire des derniers Beys de Constantine, d’E. Vayssettes écrivait : "Les Turcs savaient mieux manier le sabre que la plume et, sous ce régime de terreur, l’Arabe courbé sous le poids du plus brutal despotisme, oublia entièrement les productions de l’intelligence, pour ne songer qu’à soustraire ses biens ou sa vie à la rapacité de l’oppresseur. Si, pendant cette longue période de temps, les conjurations et les révoltes furent continuelles, pas une voix n’osa protester contre l’arbitraire et l’injuste, pas un écrit ne tomba de tant de mains noircies de poudre ou chargée de chaines. Le père racontait au fils ce qu’il tenait de la bouche de son aïeul, les rancunes devenaient héréditaires, on se léguait la haine ; mais les faits historiques restaient perdus dans le secret des familles…"

On voit que la machine à réincarnation n’a pas cessé de fonctionner, les deys et les beys n’ont jamais quitté le palais. Et derrière les murs, les douloureux secrets ont la vie dure. Dans L’homme Révolté de Camus, on peut lire : "Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement…Ce non affirme l’existence d’une frontière." Et si le vote du 10 mai est le nouveau commandement de trop ? En tous les cas, malgré leurs 30 000 urnes transparentes, les centaines d’observateurs internationaux, malgré notre incapacité à nous débarrasser d’eux, nous ne participerons pas à cette mascarade. Nous sommes sans doute ce que les sociologues appellent des électeurs "apathiques". Ces spécialistes des sociétés humaines nous rassurent quand ils lient la construction de la citoyenneté à l’acte du vote. Ils nous rassurent aussi quand ils affirment que l’abstention est liée à deux facteurs qui nous sont étrangers : la monopolisation du règlement des affaires de la Cité par les politiciens et le degré d’intensité du travail de mobilisation des électeurs.

Sans citoyenneté, il n’y a pas d’électeurs pas de candidats. Cette soif d’avoir simplement des droits humains s’est inscrite dans nos gènes mutilés par la souffrance transmise par nos grands-parents nos parents et que nous chuchoterons à nos enfants petits-enfants si rien ne change. Notre immobilisme est déjà une force de bouleversement en soi à en croire l’histoire des conquêtes musulmanes, Byzance et la Perse n’étaient plus que des "cadavres en décomposition" quand elles ont accueilli les Arabes en libérateurs… Certes on n’est pas dupes, au jour J, les bureaux accueilleront la nomenklatura et ses parasites mais aussi tous ces pauvres bougres, ces figurants-citoyens d’un jour poussés par la peur qu’on leur refuse demain un papier officiel, une paie… parce qu’ils ne pourront pas présenter à qui de droit une carte de vote en règle.

Mimi Missiva

(1) Jean-Jacques Rousseau (Le Contrat social)

(2) Yves Délove et Oliver Ihl (L’Acte de vote)

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Khalida targui

Puisqu'ils sont elus pourquoi voter pour eux alors chiche soyons nombreux à faire la grasse matinée le 10

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laid baiid

Toujours les mêmes escrocs en tête de liste...

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