Les 37 crânes d’anciens résistants algériens et la Joconde

L'ambassadeur n'espère pas restituer les crânes car il craint que l'Italie ne réclame la Joconde.
L'ambassadeur n'espère pas restituer les crânes car il craint que l'Italie ne réclame la Joconde.

L'ambassadeur français en Algérie a estimé que la question de la restitution des crânes de résistants algériens conservés en France est "sensible".

Interrogé, lors d’une rencontre-débat du quotidien Algérie-News, sur la restitution des restes mortuaires de dizaines de résistants algériens du 19e siècle conservés au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris, Xavier Driencourt, l’ambassadeur français a répondu : "La restitution des crânes est un sujet très sensible". Dont le risque est souvent soulevé par des conservateurs de musées et des archéologues

Aux dires du diplomate français, ces questions divisent souvent conservateurs de musées et de patrimoine, des archéologues qui "régulièrement mettent en garde les pouvoirs publics sur le risque qu’il y a à restituer que ce soit des ossements à l’Algérie, des manuscrits coréens ou mexicains".

Sans apporter plus d’explications sur le risque que ferait courir une telle restitution, M. Driencourt a estimé que si les crânes et autres restes mortuaires d’étrangers conservés dans des musées de France devaient être restitués cela ouvrirait la voie à la "réclamation de la Joconde ou l’obélisque de la Place de la Concorde (Paris)", par exemple.

Le directeur des collections au MNHN de Paris, Philipe Mennecier, avait souligné en mai dernier à l’APS que "rien n’empêcherait le rapatriement de ces restes mortuaires (crânes d’anciens résistants algériens, NDLR). Il suffit que la partie algérienne en formule la demande". Mais entre le scientifique et le politique, il y a loin de la coupe aux lèvres. La lecture est radicalement différente.

Philipe Mennecier avait précisé que ces crânes "sont à l’origine des donations qui font partie du patrimoine national. Et seul un accord entre l’Etat algérien et l’Etat français pourrait faciliter la démarche de rapatriement".

Mais selon l'acception de l'ambassadeur, les restes de nos valeureux résistants appartiennent désormais au patrimoine français. Autrement dit, ils constituent une prise de guerre qu'on ne rend pas à l'ennemi d'hier.

Pour autant, suite à une autorisation du Parlement français en mai 2010, la France a restitué à la Nouvelle-Zélande des têtes maories (autochtones de la Polynésie) momifiés et conservées dans des musées français. Mais l'Etat français ne semble pas vouloir aller plus loin au risque de voir "son patrimoine" acquis pendant les pillages qui ont eu lieu durant la colonisation réclamés par les peuples auxquels il appartient.

Dans des déclarations à la presse lors de la cérémonie de la remise des têtes maories en janvier dernier, le responsable scientifique des collections d’anthropologie biologique au MNHN, Alain Froment, avait confirmé l’existence de restes des premiers résistants algériens à la colonisation, ajoutant que s’agissant de "figures historiques", la restitution "n’est acceptée que si la demande était faite par les descendants ou les l’Etats". Mais depuis, l'Etat algérien n'a émis aucune demande officielle dans le sens de la restitution. De fil en aiguille, on se demande si le silence d'Alger s'explique par une certaine volonté du pouvoir de ne pas incommoder Paris, surtout en cette période du cinquantième anniversaire de l'indépendance. Y a-t-il un deal dans ce sens ?

Des restes mortuaires de dizaines de résistants algériens à la colonisation française, dont ceux de Chérif Boubaghla (mort en 1854) et de Cheikh Bouziane des Zaâtchas (mort en 1849) se trouvent au MNHN depuis 1880 et classés dans la collection "ethnique" du musée.

Sofiane Ayache/ APS

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karim Aït Aïssa

C’est un peu comme en 1808, quand Napoléon avait envoyé Boutin, officiellement auprès du consul général français à Alger –disparu étrangement en Syrie-, pour préparer le débarquement et la colonisation pas seulement de l’Algérie mais de l’Afrique du Nord, deux siècles après, en envoyant, en 2008, l’actuel ambassadeur à Alger, Nicolas Sarkozy, par illusion d’objectivité sans doute, avait peut être rêvé d’un deuxième 1830, en version planétaire, pour une consécration du lobbysme, cet enfant naturel du colonialisme. ck

A 12h20, aujourd’hui dans un restaurant à Alger, j’étais assis à la table juste à côté de celle que vous avez réservé pour vous et votre… ‘’Invité’’, M Driencourt, vous avez trouvé la salle un peu froide... ck

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