Ce que je pense du livre de Sansal Par Aziz Farès

Ce que je pense du livre de Sansal  Par Aziz Farès
Après une lecture appliquée de ce roman, je reviens sur quelques détails.
J’avais déjà évoqué cette mise en scène symbolique d’une mort qui serait une irrésistible fuite en avant. Une façon « d’échapper » à son destin en inhalant des gaz d’échappement.
Le prénom ensuite, Rachel, est mixte.
Serait ce une volonté délibérée, consciente de l’auteur ? Un lapsus évident ? un signal à décoder ? un choix porté par le hasard ?
Rachel/Helmut/Boualem/Rachid…, tous ces personnages se ressemblent tellement qu’ils semblent se confondre. Quel sens donné à cette confusion ? Celui de l’honneur « aristocratique »? Un honneur dépravé, dégénéré qui cherche à « réparer » l’insoutenable crime que Je n’ai pas commis.
Dans une subtile ambiguïté, Sansal l’a-t-il compris ainsi, nous sommes vraisemblablement en présence du même personnage . Une nouvelle et immortelle version du Dr Jekyll et Mister Hide . En vérité je me pose la question : sommes nous, vraiment, face à une contradiction Ou bien en présence d’un paradoxe parfaitement logique dont le sens , encore, nous échappe ?
L’ honneur se nourrit-il de sa propre haine ? l’Honneur, masculin, Le Nif, peut il s’accommoder de sa face cachée qu’il refoule au plus profond mais qui émerge en toute impunité, libre, sans contrôle ?
A partir d’un nom de village, Sansal a conçu son roman pour lier des destins éparpillés.
Mis à part la dimension romanesque, l’écrit, la narration, qu’a donc cherché à mettre en exergue Boualem Sansal ?
La relation entre le nazisme et l’islamisme ? le culpabilité intrinsèque à la nature humaine ? la dénonciation de la barbarie ( les nazis, au pouvoir, étaient-ils des terroristes ?). Quel sens donner, aujourd’hui, au mot terreur?
En fait ce qui lentement émerge dans un dévoilement presque indécent, c’est cette rencontre fatale avec l’autre dimension de notre identité ; celle que nous refusons, celle que nous ne pouvons accepter, celle que les nazis, l’Inquisition ont tenté de gommer comme le fait, plus proche de nous, ElQuaïda.
Vouloir, quelle prétention, à tout prix, s’élever pour échapper à sa condition, à sa finitude, à son existence maudite, n’est ce pas la raison qui déraisonne ? Une logique implacable qui nous permet de dénier à l’autre/moi une existence bien réelle.
Se débarrasser de cette gangue immonde, se purifier de ce crime d’être sans avoir été, de ne jamais être, de ne pouvoir être, rien d’autre que ce que l’on est dans un dédoublement schizophrène qui se multiplie à l’infini pour transiter par un espoir de rédemption qui nous sera toujours refusé à moins de se sentir porté par les ailes de la mort. Se sentir enfin après n’avoir rien ressenti ; ni passion, ni émotion, ni affect, ni faiblesse, ni regret. Se déshumaniser pour atteindre l’absolue félicité dans un absolu qui ne fera rien d’autre de nous que des zombies à la recherche éperdue de leur âme. Perdus, pour toujours, pour jamais, dans l’éternel silence de la mort.
Ce n’est pas l’histoire d’un fils d’allemand que Sansal nous conte. C’est notre histoire ; celle de notre vie ; celle des Humains. Mais c’est surtout la sienne.
La Shoah n’a pas de sens, sauf pour les nazis qui ne comprenaient pas qu’on ne les comprennent pas.
Mais l’Honneur peut il laver une faute qui n’a pas été commise ?A moins de se sentir l’éternel coupable de ce crime, disons plutôt cet innocent délit, qu’une douce compagne nous aurait fait commettre…pour notre plus grand plaisir. Et cela, le plaisir, la jouissance d’Etre, est insupportable.
Où sont-elles donc ces houries promises au guerrier fatigué ? Ces vierges qui ne craignent pas de croquer le fruit interdit qui nous mène à la connaissance de nous dont nous refusons d’entendre le Nom et encore moins de voir le visage . L’actualité nous présente de terribles faits, des images insoutenables d’une mort qui nous angoisse au point de ne plus vivre. Mais il me faut revenir à ce Nom (ce Non ?) du « village de l’Allemand » ou le père allemand SS se convertit à l’islam. Double drame pour un fils, est ce une fille, qui ne se résout pas à accepter l’infâme filiation.
Il est évident que Sansal un intellectuel engagé…par qui ? est tiraillé. Il doit d’une part soutenir Nicolas Sarkozy qui ne veut pas entendre parler de repentance pour les crimes commis par la France en Algérie, mais d’autre part il nous convie à la lecture de son ouvrage « le village de l’Allemand » dans lequel son héros se suicide pour expier le crime qu’il juge abject de son père un ex nazi converti à l’Islam. En effet, dans une entrevue au Nouvel Obs, il dit : « … se pose la terrible question: sommes-nous comptables des crimes commis par nos parents, d'une manière générale par le peuple auquel nous appartenons? Oui, cette question me hante et je n'ai pas de réponse. Je me dis que nous ne sommes responsables de rien mais en tant qu'héritiers, le problème nous échoit, nous n'y pouvons rien. Je me dis que nous n'avons à faire ni repentance ni excuse mais en tant qu'héritiers le problème nous échoit. ». C’est là un exercice de funambule périlleux à exécuter .Douloureuse filiation sur laquelle Sansal devrait s’interroger ; c’est là son problème.
A lui d’en trouver la réponse, au lieu de nous questionner sur la Shoah.
C’est par ce détour que Rachel nous amène à ce qui semble tellement le tourmenter.
Comment s’accepter, en acceptant ce que son père a fait. C’est un dilemme énigmatique dont la clé ne se trouve probablement pas dans le roman mais dans la vie même de Sansal.
Que doit donc pardonner , se pardonner, Sansal , ou pardon…Rachel?
Aziz Farès
13.01.2008

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Afifa Ismail

Sansal est un grand écrivain, et je ne comprends pas vos reproches quand au questionnement que pose ce livre; la Shoa c'est un drame, un crime contre l'humanité qui peut interroger n'importe lequel d'entre nous en tant qu'humain alors je ne suis absolument pas d'accord avec votre conclusion Mr Farès. Heureusement que l'Algérie à défaut d'avoir des hommes d'Etat possède de grands auteurs c'est un de ses rares bien.

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MAK

L'ALGERIE A BESOIN DE BEAUCOUP DE PERSONNE DE LA TREMPE DE SENSAL POUR NOUS ECLAIRER ET NOUS REMETTRE SUR LE CHEMIN DES LUMIERES, CAR AUJOURD'HUI PLUS QUE JAMAIS NOUS NOUS ENFONCONS DANS LES TENEBRES. SOS!

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