Pouvoir algérien : autoritarisme et patriarcat, l’impossible réforme

Abdelaziz Bouteflika
Abdelaziz Bouteflika

C’est pour préserver son absolue domination sur le peuple qu’il asservit et qui le lui conteste depuis toujours, que le pouvoir algérien brandit le leurre des réformes et de la révision constitutionnelle dans un délire caractéristique de la volonté de toute puissance de tout patriarche, à chaque fois renouvelé et adapté à la nouvelle situation dans laquelle ses privilèges et ses intérêts sont remis en jeu, aidé en cela par des médias prétendument libres, qu’il contrôle et instrumentalise à son profit.

Dans sa forme, le pouvoir algérien est exercé dans une opacité totale en dehors des institutions de l’État, et se présente comme une "coalition d’intérêts" qui se cristallisa dans l’opportunité de l’espace vide laissé par la disparition de Houari Boumediene. De son vivant, ce dernier monopolisait à lui seul tous les pouvoirs sans partage. Il était la figure-type du patriarche au sommet d’une structure politique hiérarchique verticale, où ses subalternes ne jouaient généralement qu’un rôle de conseillers ou d’exécutants, n’ayant aucune prérogative autonome, que seul le patriarche pouvait autoriser. Après la fin de son règne, on passa alors à cette coalition d’intérêts composée d’une multitude de patriarches locaux issus du premier cercle de l’ancien système. Elle prendra la forme d’une structure horizontale, correspondant à la structure "néopatriarcale" qui caractérisa la modernisation de la société patriarcale traditionnelle, composée d’officiers supérieurs des forces de sécurité et essentiellement de l’armée et de la police politique en s’autoproclamant généraux, qui deviendra le noyau dur du pouvoir collégial de l’ombre qui règne depuis sur l’Algérie jusqu'à ce jour dans la même forme de domination sans partage.

Ils ne tardèrent pas à fédérer autour d’eux, et chacun pour son compte, son propre "clan", constitué d’une clientèle élargie à la société civile, qu’ils instrumentalisèrent pour le compte d’une démocratie de façade, appelée suite au bain de sang qui a suivi les révoltes d'octobre 1988. Représentée aujourd’hui par l’alliance présidentielle, composée du FLN, du RND, du MSP et d’une multitude d’autres formations politiques et syndicales de moindre importance, qui gravitent autour de ce centre et qu’ils imposèrent à l’opinion nationale et internationale comme une façade pluraliste, mais en réalité elle fonctionne comme un "néo-parti" unique. La supercherie de cette démocratie de façade fonctionnera avec tout ce que ce système politique pluraliste comporte comme institutions, dressées comme des épouvantails dans un champ politique où il est interdit de s’aventurer pour quiconque n’est pas intronisé dans un centre d’intérêts au profit de ces patriarches coalisés. La règle d’intronisation consiste en l’acceptation du principe hétéronomique (wala’) définissant le support de clientèle qui commande l’allégeance, l’intercession et la médiation.

C’est sous le vocable fallacieux de "famille révolutionnaire", "gardienne de l’emblème national et de la destinée de la nation" que cette coalition d’intérêts se légitime dans les moments forts de la contestation populaire pour préserver sa survie, lorsque tous les arguments en sa possession sont épuisés. Fallacieux est ce vocable, par son caractère contradictoire, faisant cyniquement table rase sur près d’un siècle et demi de résistance à la domination coloniale du peuple algérien dans toutes ses composantes. Car, les moyens que se donne toute révolution sont d’abord le soutien et l’engagement dans l’action de tout un peuple, comme ça a été le cas pour le peuple algérien, qui en a payé le prix fort, pour des objectifs de liberté, de souveraineté et d’émancipation au profit de tous. Contradictoire aussi, parce qu’une révolution ne peut avoir comme objectif la centralisation des pouvoirs, l’autoritarisme, le populisme, le paternalisme, le népotisme, la violation de la Constitution, la dilapidation de la rente de l’État, la corruption généralisée, l’instrumentalisation des médias, de la démocratie et de la religion, la violation des droits de l’homme, la minoration du statut de la femme, la persécution et l’intimidation de l’opposition politique, de la société civile, des journalistes et des intellectuels engagés, des non-croyants, etc., au profit d’une "famille" exclusive s’autoproclamant dépositaire de la légitimité politique, qui plus est, par la violence, la ruse et la manipulation. Toutes ces perversions, d’évidence contraires aux objectifs de toute révolution, sont autant de symptômes, qui n’expriment que la volonté de toute puissance des patriarches fédérés dans cette coalition d’intérêts pour le monopole du pouvoir.

Dominer au nom d’une "famille révolutionnaire", c’est procéder sournoisement par une perversion sémantique du terme de "révolution". On ne peut parler de "révolution" à propos de la guerre de libération nationale, car elle n’a pas seulement échoué à briser les relations et les formes internes du système patriarcal, qui est par définition antinomique au concept de révolution, elle a au contraire servi à remodeler et à réorganiser les structures et le type de relations patriarcales en leur conférant des formes et une apparence modernes. Cette forme de modernisation en tant que produit de conditions patriarcales particulières ne peut pas déboucher sur la modernité politique révolutionnaire, mais sur un patriarcat modernisé, "le néo-patriarcat", qui n’est rien d’autre qu’un patriarcat affecté par la modernité. Celui-ci gouverne les structures de la société, de l’État et de l’économie en passant de l’échelle tribale à l’échelle nationale. Il tire sa signification de deux réalités qui composent sa structure, le système patriarcal et la modernité. Le patriarcat est un ordre structuré par un système de parenté lignagère élargie et la modernité qu’il faut entendre comme un mode d’être universel et une rupture historique avec la société traditionnelle plutôt qu’un modèle occidental comme il est souvent contesté par les néoconservateurs.

La société néopatriarcale algérienne apparaît comme une formation sociale qui se situe entre la communauté et la société et se caractérise par un sous-développement de son économie, de sa structure de classe, de son organisation politique, sociale et culturelle. Au sommet de sa structure de classe domine une classe sociale militaro-bureaucratique qui prit son essor comme classe dominante. C’est une petite bourgeoisie néopatriarcale dont la caractéristique principale est une impuissance généralisée. Le système néopatriarcal algérien se révèle incapable d’agir en tant que système social ou politique intégré ou comme structure économique. Néanmoins, l’aspect le plus développé et le plus efficace de cet État néopatriarcal est son appareil de sécurité intérieur. Dans ce régime néopatriarcal domine un système bicéphale, une bureaucratie militaro-bureaucratique couplée à une police politique servant de régulateur suprême à l’existence civile et politique, contraignant les citoyens dans leur pratique sociale et politique d’être privés de tous leurs droits fondamentaux.

Qu’elle soit conservatrice ou progressiste un trait psychosocial central de ce type de société est la prédominance du père (patriarche), centre autour duquel est organisée la famille nationale ou naturelle. Entre dirigeants et dirigés, entre pères et enfants, il n’existe que des relations verticales, dans les deux cas la volonté paternelle est absolue avec pour seule médiation dans la société comme en famille un consensus forcé basé sur les rituels et la coercition. Dans ce cas, l’autoritarisme paternel joue le rôle de frein au développement de l’espace public. L’espace civique est ainsi régi par des formes similaires d’autorité et de violence quelles que soient les formes extérieures modernes, matérielles, légales, esthétiques, de la famille et de la société néopatriarcale, leur structure interne demeure enracinée dans les valeurs patriarcales et dans le type de relation sociale de la parenté, du clan et des groupes ethniques et religieux. Dans cette dualité particulière, modernité et patriarcat, coexiste donc une union contradictoire : le centralisme démocratique, qui caractérise le système politique algérien.

Depuis l’indépendance et à travers ses réformes successives, l’Algérie a échoué à entreprendre un changement social radical et à faire face aux défis de la modernité, consolidant à chaque fois les structures patriarcales en accentuant leur transposition de l’échelle tribale au niveau étatique. Le dernier projet de réforme en date qu’ils ont initié unilatéralement se confirme, après son adoption par le spectre de l’Assemblée Nationale, n’être encore une fois qu’un leurre, n’ayant aucun effet significatif sur ces symptômes caractéristiques de l’État de non-droit. Car, motivé essentiellement par la pression induite par la « bourrasque » du «printemps arabe», par la pression de la rue et par le surmoi que représente la pression des puissances internationales, qui sont en permanence à l’affût de dérives de nos perclusions, guettant le moindre alibi pour valider leur volonté de notre soumission par une forme nouvelle de colonisation. Cet ultime leurre de projet de réforme paraît être à l’issue de sa conclusion le délire de toute puissance de patriarches impuissants et indéterminés à s’engager pour accomplir des réformes aussi nécessaires et tant attendues par le peuple. Car d’évidence, un pouvoir illégitime ne peut se réformer de l’intérieur et un chef d’État appelé à représenter un gouvernement de façade au profit du véritable pouvoir ne pourra réformer son système qui l’a mis en place.

Dans leur substance, l’ensemble de ces réformes ne changent rien au fond de l’identité de l’État, qui reste tributaire de préceptes religieux et structuré sur le modèle néopatriarcal, et non par la citoyenneté souveraine au sens moderne du terme.

L'hégémonie du département de l'Intérieur

La nouvelle loi sur la représentation politique, conçue de manière à permettre à l'administration de renforcer sa mainmise sur la vie politique, par une plus efficace neutralisation du champ d'action de l’opposition politique, la restriction de la liberté syndicale et de la société civile à travers ses associations, vient imposer l’hégémonie du ministère de l'Intérieur sur la vie politique nationale pour une plus grande consolidation de l’autoritarisme. En fait, cette loi interdit les partis en contradiction avec les principes du 1er novembre 1954 et la morale islamique, notions très vagues pouvant constituer un refus d’agrément sans avoir à le justifier. Elle prohibe aussi les langues étrangères dans les activités des partis et se permet jusqu'à dissoudre tout parti qui refuse de participer aux élections ! C’est contraire au principe démocratique que le ministère de l’Intérieur puisse s’ingérer dans l’élaboration des projets de société proposés par les partis politiques en concurrence pour l’exercice du pouvoir. Dans le système politique démocratique, il n’appartient qu’au peuple de valider ou non un projet politique présenté par un parti par la voie du suffrage universel.

Le ministère de l’Intérieur s’octroie également le droit de traiter les dossiers de demande d’agrément des partis politiques, alors que ce traitement devrait revenir à une commission juridique indépendante pour renforcer le caractère démocratique de la représentation politique. Cette loi constitue une contrainte administrative supplémentaire entravant l’agrément des partis, alors, qu’il aurait été suffisant par le principe déclaratif, de procéder par une simple déclaration de création d'une formation politique pour dépasser les contraintes administratives. Désormais, le ministère de l’Intérieur est tenu de délivrer un accusé de réception aux partis après le dépôt du dossier d'agrément, ce qui n’était pas le cas auparavant. Cette nouvelle disposition réduit la représentation politique à son agrément ou non par le pouvoir central représenté par son ministère de l’Intérieur, dont l’objectif inavoué est d’évacuer toute possibilité d’émergence d’une opposition politique autonome, qui viendrait concurrencer et menacer l’absolutisme de la domination exercée par ce pouvoir central.

Il est évident que l’émergence d’une opposition politique autonome, qui viendrait remettre en question l’absolue domination du pouvoir central sur les institutions de l’État, induirait une nouvelle situation dans laquelle ses privilèges et ses intérêts seront remis en jeu. Donc, il n’est pas question pour lui de perdre le contrôle de l’institution judiciaire, qui dans l’état actuel des choses lui garantit protection et impunité pour toutes les dérives dont il peut se porter coupable, à titre individuel ou collectif, par son instrumentalisation de manière à la faire obéir plutôt au pouvoir politique qu’au pouvoir judiciaire "en tant qu’institution ayant pour finalité la protection de l’économie nationale contre toute forme de malversation ou de détournement, d’accaparement ou de confiscation illégitime". (Art. 8, chapitre 2, Titre Premier de la Constitution.)

La corruption est un problème politique avant qu'il soit moral

Parmi ces dérives, notamment les diverses formes de corruption qui gangrènent la société, et qui depuis quelques années se sont multipliés d'une façon spectaculaire à travers des scandales financiers avec un préjudice chiffré en millions de dollars. La corruption s’est généralisée dans quasiment tous les corps des institutions et des organismes publics, voire à toute la société, au point que le pouvoir l’instrumentalise comme mode de gouvernement. C’est justement dans le cadre de la perversion du système judiciaire et de la société que le pouvoir doit ses privilèges et ses intérêts. Donc, il est contreproductif pour lui de réformer le système judiciaire en lui appliquant rigoureusement un plan de réforme, qui le priverait de ses privilèges et de ses intérêts. En conséquence, le problème de la corruption est politique et non moral. Il est propre au fonctionnement de toute société patriarcale, en étant le plus sensible au sommet de sa hiérarchie. Il est dans la présidence et de son entourage, dans l’assemblée nationale et dans les étages successifs de la hiérarchie de la structure du pouvoir, perceptible à travers des enrichissements rapides. Pourtant, à travers les diverses pressions auxquelles il est soumis, le pouvoir est contraint d’apporter des réponses, non pas pour régler ce problème insoluble de la corruption, car sa solution réside dans la réforme de la structure du pouvoir lui-même, dont il n’a ni la volonté ni les moyens pour le faire, mais pour les besoins de la consommation externe ainsi que pour leurrer l’opinion nationale. C’est dans ce cadre de préoccupations qu’un nouvel organisme public de lutte contre la corruption a vu le jour dans le sillage des réformes en cours. Il s’agit de l'Office central de répression de la corruption (OCRC). Celui-ci vient s'ajouter, en tant qu’organisme officiel de lutte contre la corruption, aux autres organismes déjà mis en place pour lutter contre ce fléau. En plus de la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF), il y a également l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, l’organisme de vérification approfondie de la situation fiscale et financière (VASF). La création de cet office ne peut être qu'un effet d'annonce, un simple coup médiatique conjoncturel qui va occuper la presse, bien disposés dans sa majorité à jouer le jeu l’espace d’un temps, jusqu’à la prochaine révision Constitutionnelle que le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci a annoncé mercredi 7 novembre pour le second trimestre 2012. Alors que paradoxalement c’est la révision de la Constitution qui devrait précéder les réformes en premier lieu pour donner sens à un ordre chronologique cohérent.

Toutes ces réformes ne sont finalement que supercherie, des leurres destinés à brouiller le véritable visage et les véritables intentions de ce pouvoir.

D’évidence, il ne démontre aucune volonté ni détermination à affronter la réalité de la corruption. Autrement, il se serait préoccupé à rendre la justice indépendante, intègre et compétente, et, par conséquent, irréprochable dans sa lutte contre ce fléau. Bien au contraire, il dresse un tas d’obstacles et s’acharne à combattre les organisations, les associations et les militants qui essaient de multiplier les initiatives pour la dénoncer. Il applique pour ce faire, la règle de l’omerta qui sanctionne systématiquement toute dénonciation d’acte de corruption par des représailles tels des licenciements, des poursuites judiciaires sur la base de faux délits et de fausses preuves. L’exemple de l’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), qui depuis deux ans est interdite de réunion publique, est édifiant à ce propos. La stratégie du bouc émissaire qui doit porter le chapeau pour couvrir des réseaux de corruption portés devant l’opinion publique par de fausses accusations, tel, le cas du maire de Zéralda Mouhib Khatir, qui croupit toujours en prison sans avoir connaissance des motifs exacts de sa détention, pour s’être attaqué à la mafia de la drogue et de la prostitution. Généralement seuls quelques lampistes ont été sacrifiés dans les rares procès de grande corruption.

Cet acharnement et ces obstacles n’épargnent pas non plus et surtout la profession de la presse libre et la liberté d’expression en général, qui constituent par essence un contre-pouvoir permanent, pouvant apporter le discrédit à chaque violation du principe démocratique. Il ne faut donc pas s’étonner que la réforme de loi sur l’information puisse déboucher sur des dispositions pouvant empêcher le pouvoir de continuer de contrôler et asservir les médias lourds et la presse aussi bien publique que privée. Encore faudra-t-il, que la presse libre puisse être disponible à dénoncer la fausse modernité que diffuse le pouvoir pour maintenir le statu quo, qu’elle relaie généralement en perpétuant cette hiérarchie patriarcale. D’autant que c’est dans la petite bourgeoisie que la dualité schizophrénique du néopatriarcat se manifeste le plus clairement, y compris dans le corps de l’élite qui domine les médias et la presse en général. La presse prétendument libre encore plongée dans l’ère patriarcale se débat sur un entassement de décombres contrainte à soutenir l’illusion du processus de réforme, dont l’objectif inavoué est de ne pas parvenir à réaliser une vraie transition vers une modernisation du politique, tout en faisant croire qu’elle pratique une liberté critique d’expression, qui accorde de ce fait un crédit au pouvoir en renforçant sa légitimité par une fausse tolérance de la liberté de la presse. Le despotisme a un nom, il est malhonnête de le cacher sous des envolées médiatiques lyriques et romantiques. Son nom, c’est le néopatriarcat qui instrumentalise la religion et les institutions de l’État. Si on prétend être de ceux qui ont du respect et de la considération pour le peuple à qui on s’adresse, et non que l’on ait de l’aversion pour lui par une attitude paternaliste, on doit nommer les choses et en désigner la substance. Cela s’appelle du fatalisme.

Pour se défaire de la fausse révolution ayant permis l’avènement d’un conservatisme néo-patriarcal et de son discours qui se caractérise par une rhétorique oppressive, et pour opérer le changement du traditionnel au progressiste ou du conservateur au moderne, il est nécessaire de s’appuyer sur une volonté politique déterminée. S’attaquer aux racines du mal des fausses réformes au lieu de s’acharner sur la forme du recul général et vague des lois dont le citoyen ne perçoit pas les enjeux réels. Un processus de réforme ne peut être crédible en l’absence de débats libres. Ni opposition politique, ni société civile, ni médias ne jouent leur plein rôle dans l’exercice du débat démocratique en affirmant une opposition claire et soutenue au leurre des réformes initiées par un pouvoir n’ayant aucun projet de société et n’émettant des réformes que pour sa propre survie. La mentalité néopatriarcale qu’il faudra combattre est encrée tellement profondément dans l’imaginaire social qu’elle n’épargne même pas les partis dits d’opposition, où souvent les conflits entre eux ou à l’intérieur de leurs propres structures, ne concernent pas des oppositions d’idées ou idéologiques ou de contradictions sur des programmes politiques, mais sont le plus souvent des conflits entre personnes ou entre clans.

L’archaïsme de la société représenté par sa structure sociale néopatriarcale, qu’elle soit religieuse, progressiste ou nationaliste, qui déteint sur tous ses aspects, aussi bien politiques, économiques que culturels, alimente toutes sortes de barrages au développement harmonieux et souverain de la citoyenneté, qui se trouve privée d’expression souveraine dans un réel espace politique démocratique. La stigmatisation d’un ennemi intérieur virtuel, coupable de trahison, parce qu’il véhicule un projet de société différent du consensus dominant, dont il met en péril son apparente unité, et parce qu’il fait barrage à la constitution de l’espace politique national souverain entendu du point de vue de ce consensus, est un aveu d’impuissance désespéré à affronter et à combattre les archaïsmes que l’on porte en soi-même. Le vrai barrage à la Constitution d’un espace politique national et souverain n’est pas la guerre de tous contre tous, que l’on soit islamiste ou laïque, religieux ou séculier, nationaliste conservateur ou progressiste, civil ou militaire, c’est plutôt son absence. De ce point de vue-là, toutes les sociétés sont composées de ces différentes instances, et que si elles se font la guerre en permanence sur des bases idéologiques ou sur des projets de société, c’est de bonne guerre, car ce sont là, des luttes qui caractérisent tout débat démocratique dans une société libre.

Épargnons-nous le triomphalisme de tout leurre ou illusion de stabilité de notre nation, car la non-satisfaction permanente des attentes populaires, en des réformes sous forme de leurres et l’illusion démocratique qu’elles induisent, profitant exclusivement à une certaine catégorie de la société et non au peuple dans son intégralité, renforcent la frustration de ce dernier, due au non aboutissement des objectifs de la révolution et laissent présager des conséquences tragiques sur la paix civile, qui devraient s’inscrire naturellement dans la continuation de la révolution par l’affrontement.

Youcef Benzatat

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