Ecrits sur la Fédération de France du FLN : une histoire bien timide

Ecrits sur la Fédération de France du FLN : une histoire bien timide

Les rares écrits sur la Fédération de France du FLN sont englobés dans le parcours nationaliste de leurs auteurs, hormis "La 7ème wilaya" d’Ali Haroun. Omar Boudaoud, à la tête de la 3ème Fédération qui décida la marche du 17 Octobre et Mohamed Méchati, du groupe historique des 22, l’un des premiers organisateurs de la première Fédération livrent, sur des tons différents, des divergences politiques internes entre leur fédération respective et les instances exécutives du FLN…

Dans Du PPA au FLN, Mémoires d’un combattant avec un surtitre Cinq ans à la tête de la Fédération de France (Ed. Casbah 2007), Omar Boudaoud revient sur les événements du 17 octobre dans la deuxième partie de son ouvrage La Fédération de France du FLN (1957-1962). Il faut rappeler que le comité fédéral de la 3ème organisation de la Fédération de France était composé de Saïd Bouaziz, Ali Haroun, Kaddour Ladlani, Abdelkrim Souici et l’auteur, Omar Boudaoud, succédant à la 2ème organisation de Salah Louanchi ayant hérité lui-même de la création de la Fédération par Mohamed Mechati qui livre un témoignage inédit sur les conditions d’installation des premières structures de la France du FLN dans son livre témoignage Parcours d’un militant (Ed. Chihab, 2009.)

Omar Boudaoud, premier responsable du comité fédéral de la période 1957–1962 aborde trois facteurs liant l’action du 17 octobre à ses retombées politiques sur les accords d’Evian alors en préparation ; la paternité de l’organisation de la marche et la position du GPRA et l’attitude des responsables fédéraux que l’auteur représente vis-à-vis des partis de gauche français. Alors que le bureau fédéral a été transféré en Allemagne pour, selon Boudaoud, des raisons sécuritaires.

Abordant le contexte des préparatifs des Accords d’Evian dans lequel était décidé la marche du 17 octobre 61, Omar Boudaoud écrit : "Quelque temps avant que les vraies négociations pour l’indépendance de l’Algérie ne soient entamées (…) Abderrahmane Farès me sollicita pour un contact important. Celui-ci eut lieu à Bruxelles. Il m’informa de la volonté de l’entourage du général de Gaulle de faire aboutir ces négociations pour l’indépendance de l’Algérie si les Algériens le veulent. Afin de faciliter le contact, les responsables au sein du pouvoir français souhaitaient que la Fédération fasse une déclaration à la presse décrétant l’arrêt de toute action armée du FLN en France. Ma réponse fut un «non» catégorique". Selon l’auteur, ce refus d’abandonner la lutte armée en Métropole pour soi-disant faciliter les négociations d’Evian va accentuer la répression du pouvoir français contre la Fédération : "Ce refus fut une des raisons parmi d’autres pour lesquels Michel Debré, chef du gouvernement et son homme de main, le préfet de Paris, Maurice Papon, et leur courant politique choisirent ce moment précis pour tenter de détruire l’organisation du FLN en France".

Revenant sur les préparatifs de l’action du 17 octobre, insistant au passage sur le couvre-feu décrété par la préfecture de Paris qui allait porter un coup fatal au travail des ouvriers immigrés et davantage à l’action de la Fédération, Omar Boudaoud aborde la question de la paternité de la décision de la marche du 17 octobre ? Le GPRA ? La Fédération après consultation du GPRA ou une décision autonome du bureau Fédéral ? "Le GPRA avait été informé de notre initiative. A Tunis, Bentobbal – le ministre de l’intérieur dont dépendait alors la Fédération – m’avait dit en substance : cela est votre affaire, si vous réussissez, c’est la révolution qui réussit. Si vous échouez, vous paierez votre décision". Autrement dit, historiquement, le GPRA a refusé d’assumer l’action du 17 octobre 61. Mais, il en tiré les dividendes politiques après le massacre et le succès des Accords d’Evian. Omar Boudaoud poursuit : "En fin de compte, nous a félicités car l’impact international des manifestations du 17 octobre 61 a été positif… "

S’agissant de l’attitude affichée des partis de la gauche, en l’occurrence le PCF, Omar Boudaoud ne se fait pas tendre vis-à-vis de ce parti ayant subi lui aussi une féroce répression par la police de Papon, affirmant qu’il n’avait pas le choix de refuser l’aide de ce parti à la Fédération, regrettant en revanche l’absence de son soutien officielle à la Guerre de libération : "Le soutien officiel du parti de la solidarité prolétarienne internationale ne se manifestât que … sept ans et trois mois après le déclenchement de la lutte armée". Sur cette question, l’auteur rapporte quelques propos échangés avec Jeannette Vermeersch, veuve de Maurice Thorez lors des funérailles de ce dernier. Omar Boudaoud distingue donc la position politique officielle du Parti communiste français et les structures de soutien qu’il a apportées dans la lutte pour l’indépendance en Algérie et en France. Dans le chapitre II de son ouvrage "Les structures de soutien", il parle de l’aide précieuse des intellectuels de ce mouvement, Jean Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Claude Boudet, Georges Amadou, entourage immédiat de Francis Jeanson dont le réseau des porteurs de valise porte le nom. Ainsi que les réseaux de Curiel, Raptis auxquels Omar Boudaoud consacre des passages dans son livre.

L’autre témoignage est celui de Mohamed Méchati, du groupe dit "des 22", modestement intitulé Parcours d’un militant ( Ed. Chihab, 2009) comprenant une partie consacrée au témoignage de sa vie militante et une autre aux Ecrits de Combats rassemblant ses contributions journalistique durant la période sismique des années 90 et 2000 et publiés dans différents organes de la presse privée. Ce témoignage ne consacre que quelques pages à la Fédération de France du FLN dont il est l’un des fondateurs après son arrivée en France pour des soins, le 12 février 1955. L’intitulé du chapitre mentionne "Fédération du FLN en France" et non « Fédération de France du FLN. Si l’auteur n’explique pas cette interversion dans l’appartenance de la Fédération ( faite à postériori), il en a précisé la portée sémantique dans une conférence donnée au SILA de l’année 2009 à l’occasion de la sortie de son livre. Pour lui, la différence est de taille. La Fédération n’appartient pas à la France mais au FLN ; la France étant un lieu, celui de la métropole coloniale. Il a sans doute d’autres explications liées peut-être au fait que la dénomination de "Fédération de France du FLN" laisse penser que c’est une structure extérieure au FLN et comme telle elle est sous la coupe de l’Extérieur, contrairement aux résolutions du Congrès de la Soummam ? Dans ce contexte, le titre du livre de Ali Haroun La Septième wilaya, ouvrage complet, méthodique et documenté sur la dynamique de l’histoire de la Fédération n’est pas innocent quant à cette relation inversée par Mécahti.

Isolé de l’évolution politique du pays, n’ayant même pas été informé du déclenchement de la lutte armée, lui qui avait fait partie du groupe initiateur des 22, soumis à une grande précarité, il n’a dû son salut que grâce à un prêtre-ouvrier Albert Carteron, envoyé en Algérie avant l’insurrection par sa hiérarchie en vue d’établir un rapport sur la condition sociale et économique des travailleurs algériens, et ayant pris fait et cause à son retour en France pour la cause algérienne. Il lui offre le gît et le couvert : "Sans logement, ayant perdu le contact avec Gherras (militant du PPA-MTLD) et compagnon de lutte de Mechati (NDLR) (…) je passais une première nuit dans un asile pour SDF et clochards, bien content d’y avoir pu dormir au chaud sur un matelas de paille…" avant qu’il ne soit présenté au père Albert Carteron. Il reprend son bâton de pèlerin comme il l’avait fait en Algérie au temps du PPA, puis responsable de l’OS. Il se déplace à travers plusieurs villes de France : contacter, expliquer, réunir, clarifier la nouvelle situation dans le milieu ouvrier de l’immigration alors acquis à Messali dont souffrira énormément son équipe : Doum, Gherras, Terbouche et Madhi. Ces deux derniers ont été arrêtés à Paris dès 1955. Terbouche et Gherras sont issus de la Fédération MTLD sous la direction de Boudiaf entre 1952 et 1954.

Les répartitions des zones établies, il fallait prendre contact avec la Direction, à Alger. De ce contact, Mechati rapporte, dans ses souvenirs, l’impact des anciennes rivalités en termes de stratégie politique et organique entre Boudiaf et lui-même. Le premier l’ayant accusé de s’être opposé au mode de scrutin pour élire les responsables de la Révolution au sein du groupe des 22 en organisant une autre réunion bis à Constantine ; le second lui reprochant la caporalisation du groupe des 22 et un manque de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui, de démocratie dans le fonctionnement des structures du conseil de la Révolution issu de la réunion historique. Méchati écrit : "C’est Doum avec ses papiers en règle qui sera bientôt envoyé à Alger pour prendre contact avec la direction ; peu après, il repartira à Rome rencontrer Boudiaf venu du Caire pour donner ses instructions ; ce dernier lui dira que la Fédération de France était tenue de lui rendre des comptes car elle devait dépendre de la direction extérieure et qu’il avait écrit à Abane Ramdane dans ce sens. Il lui dira aussi : Méfie-toi de Gherras et de Méchati – ce que Doum ne nous rapportera que pendant les années de prison. Ainsi étions-nous écartelés entre deux autorités, jusqu’au jour où le Congrès de la Soumam tranchera : primauté de l’intérieur sur l’extérieur.» Le journal Résistance algérienne a été, historiquement parlant, l’ancêtre de la résistance algérienne, avant El Moudjahid. Dans l’équipe rédactionnelle, Mohamed Harbi qui, parmi tous les titres proposés, garda Résistance algérienne de Méchati.

A ces témoignages sur la Fédération de France engobés le plus souvent par leurs auteurs dans leur parcours du PPA au MTLD (hormis l’ouvrage de Ali Haroun entièrement consacré à l’histoire de la Fédération de France du FLN), s’ajoutent les écrits d’investigation journalistiques comme La Bataille de Paris de Jean-Luc Einaudi qui a surtout démenti le chiffre officiel des victimes minimisant le drame en rapportant par des recoupements d’archives et de témoignages le chiffre de plus de 400 victimes dans la seule journée du 17 octobre. Jean-Luc Einaudi est également l’auteur de La ferme Améziane, un livre de témoignages des survivants des centres de torture ouverts par Maurice Papon alors préfet de police à Constantine en 1958. Un livre qui est fort instructif sur le transfert de ses méthodes répressives en métropole dès son installation à la tête de la préfecture de police. Et, à l’occasion du cinquantenaire du 17 octobre 61 ce recueil de témoignages sur la répression réalisés il y a plus d’une trentaine d’années Le 17 octobre des Algériens réalisés par les deux journalistes Marcel et Paulette Péju sorti aux éditions La Découverte ce mois d’octobre 2011 suivi d’un texte La triple occultation d'un massacre de Gilles Manceron, journaliste, historien français spécialiste du colonialisme français.

De tous les écrits remontant la genèse des partis nationalistes nés en France et l’histoire de la Fédération de France du FLN, les travaux du sociologue Abdelmalek Sayad sur la sociologie de l’migration/immigration sont à relire dans cette perspective, notamment par l’identité du travailleur immigré "Ouvrier OS (Ouvrier Spécialisé)" qui sera aux premières lignes de la résistance algérienne en Métropole. Signalons, dans ce contexte, le livre de Tayeb Belloula Les Algériens en France sorti dans les années 1970 et un grand reportage sur la condition des ouvriers algériens en Métropole Sur les chemins de l’émigration de l’écrivain Malek Ouary réalisé au début des années cinquante. Selon lui, les causes du 1er "flux migratoire" des Algériens est dû à "l’érosion des sols" ! Précisons que ce livre reportage épuisé aujourd’hui a été réalisé pour le compte de l’antenne radio ELAK (antenne de langue arabe et kabyle) au sein de l’ORTF et dont il était secrétaire général du journal parlé. A propos de la rareté des témoignages des militants de base de la Fédération de France du FLN sur la journée noire ou rouge du 17 octobre, Linda Amiri, doctorante en histoire de la Fédération de France et auteure de La bataille de France ( Réed. Chihab, 2005), relève qu’après l’indépendance : "Aucun manifestant n’a repris la plume, même si beaucoup acceptent aujourd’hui d’en parler publiquement. Il faut bien comprendre que pour eux, le 17 octobre 1961 n’est pas une simple date, ils l’ont vécu dans leurs chairs. Ils ont vécu l’humiliation et la violence de cette "nuit d’horreur et de honte", puis ensuite l’occultation… C’est un événement douloureux, pour que la parole se libère, il faut non seulement du temps, mais pour les témoins l’assurance qu’ils seront écouter. Ce n’est donc pas un hasard si ce retour de mémoire fut si long." Si les témoignages publiés sur la guerre de libération (1954-1962) à travers les six wilayas ont fait un raz de marée dans l’édition ces dix dernières années, les écrits sur la Septième wilaya se comptent sur le bout des doigts. Une histoire bien timide…

Rachid Mokhtari

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Commentaires (1) | Réagir ?

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rachid revoltage

Personnellement j'y croix pas, plus rien. Ils se disent des combattants mais ne dénoncent pas exactions commises contre ce peuple par des des supplétifs de la France. Qu'ils aillent périrent avec l'amertume du devoir non accompli une vie souillée par le mensonge.