Said Sadi a voulu instrumentaliser l’histoire dans une vaste opération de diversion

Said Sadi a voulu instrumentaliser l’histoire dans une vaste opération de diversion

D’entrée de jeu, on ne résiste pas à la tentation de poser la question de savoir pour quelles raisons, le Dr Saïd Sadi a attendu le mois d’avril 2010 pour publier un récit célébrant la mémoire du colonel Amirouche. C’est comme si, tout d’un coup, on feignait de découvrir le rôle et la place de celui qui dirigea la Wilaya III de juillet 1957 jusqu’à sa mort le 29 mars 1959. Le président du RCD, si prompt à s’émouvoir de l’ignorance de tout un peuple de son histoire récente, a pris le risque de laisser se sédimenter l’épaisse couche d’amnésie collective que les responsables algériens qui se sont succédé depuis 1962 ont délibérément ou non laissé s’accumuler, occultant ici les évènements fondateurs de la Révolution (commencée bien avant le 1er Novembre 1954), glorifiant, là, des épiphénomènes qui n’eurent aucun impact décisif sur la marche vers l’indépendance.

S’il s’agit de rendre justice à l’action du colonel Amirouche, le récit de S. Sadi est publié après de nombreux témoignages que lui ont rendus ses compagnons d’armes ou même des historiens soucieux de rétablir des vérités jusqu’alors passablement dérangeantes. Quel est l’objectif visé par S. Sadi, en publiant un récit de 442 pages (annexes comprises) sur le défunt colonel Amirouche ? Même si le récit constitue une sorte d’hagiographie du chef de la Wilaya III (qui n’était pourtant pas exempt de défauts), on peut comprendre que l’auteur ait dû sacrifier à cet exercice pour blanchir les épisodes tumultueux et sanglants de la «Bleuite» que les historiens — y compris ceux que S. Sadi convoque au soutien de sa thèse, tels G. Meynier- (cf. Histoire intérieure du FLN, 1954-1962, Casbah Éditions, 2003, 812 p, p. 430 et Ss) inscrivent au passif personnel de l’ancien chef de la Wilaya III. Sans doute, l’histoire est-elle encore à écrire sur ce chapitre éminemment controversé. En revanche, on comprend moins le procès en sorcellerie instruit contre le colonel Boumediène, accusé, sans l’ombre d’une preuve, de toutes les turpitudes qui jalonnèrent l’histoire convulsive interne de la Révolution algérienne ; on en éprouve même un certain malaise, d’autant plus grand d’ailleurs que le parcours du colonel H. Boumediène n’a jamais croisé celui du colonel Amirouche. Quel est le fil d’Ariane entre l’action menée par la colonel Amirouche, dans les limites de la Wilaya III et les missions dont fut chargé H. Boumediène aux frontières est et ouest. Et comment peut-on mettre au débit du colonel Boumediène quelque action hostile que ce soit à l’endroit du colonel Amirouche, alors qu’il est avéré, sur un plan historique, que le colonel Boumediène n’a obtenu les coudées franches pour organiser l’armée des frontières qu’en janvier 1960, soit neuf mois après la mort du colonel Amirouche.
Les vérités du récit
On en citera deux : l’authenticité du portrait brossé du colonel Amirouche que tout un chacun peut vérifier grâce aux documents publiés et aux nombreux témoignages recueillis sur l’envergure exceptionnelle du personnage. Il y a ensuite l’évocation du Congrès de la Soummam et la réaffirmation du fait que c’est bien la Wilaya III qui a le plus souffert de la guerre coloniale et celle qu’il fallait, aux yeux des services secrets français, réduire à néant l’armée du général Challe et la logistique implacable de A. Boussouf se liguant pour la circonstance. Le colonel Amirouche est un grand héros de la Révolution algérienne. Il s’est battu jusqu’au sacrifice suprême, ne redoutant aucun obstacle, constamment obnubilé par l’illusion d’une possible victoire militaire de l’ALN sur la quatrième puissance du monde, affrontant tous les dangers. C’était un homme exceptionnel de courage et de ténacité. Tous les documents produits par le président du RCD pour étayer son plaidoyer en faveur du colonel Amirouche sont irréfutables. La deuxième vérité est contenue dans le rappel de cet évènement majeur de notre histoire contemporaine que fut le Congrès de la Soummam d’août 1956. C’est sans doute le lieu d’ouvrir une parenthèse qui nous permettra de tordre le coup à une légende qui prospère dangereusement, celle qui veut comparer la Déclaration du 1er Novembre 1954 à la Moubayaâ que reçut l’émir Abdelkader en prenant bien soin d’occulter le Congrès de la Soummam. Si grands qu’aient été les mérites de l’Émir pour rassembler sous sa bannière la cohorte disparate des tribus algériennes et les mobiliser contre l’ennemi colonial, la Moubayaâ ne saurait, en aucun cas, soutenir la comparaison avec le Congrès de la Soummam qui restera à jamais l’acte fondateur de l’État algérien postcolonial, celui qui devait servir d’épure à l’organisation politique, sociale et administrative de l’Algérie indépendante. C’est ainsi devenu le péché mignon de certains courants de s’employer à minorer les faits marquants de notre histoire, dès lors qu’ils prennent naissance dans la Kabylie. Aussi, S. Sadi a-t-il eu raison de rappeler l’importance du Congrès de la Soummam qui ne constituait, par ailleurs, en aucun cas, une abjuration des principes du 1er Novembre 1954, comme l’ont affirmé avec désinvolture et frivolité l’ex-président Ben Bella et le colonel Ali Kafi.
Une complaisance injustifiée à l’égard du colonel Amirouche
J’en donnerai deux illustrations : la «Bleuite» et les qualités d’homme d’État prêtées au colonel Amirouche.
Sur la «Bleuite»
Le propos n’est pas de gloser sur la sincérité du colonel Amirouche à propos des châtiments qu’il a ordonnés à ses hommes de confiance d’infliger aux djounoud suspects de collaboration avec l’ennemi. Il est de rappeler que la Wilaya III a été le théâtre de nombreuses purges qui firent des centaines, voire des milliers de victimes dont beaucoup étaient innocentes. Il ne s’agit pas de savoir si ce phénomène funeste a ou non touché l’ensemble des wilayas. Du reste, il est insolite de voir le démocrate S. Sadi enfourcher ce cheval de bataille, comme si des violations des droits de l’homme (tortures, exécutions sommaires) étaient acceptables ou justifiables du seul fait qu’elles ont été commises à une vaste échelle. En revanche, l’historien peut remettre en perspective des évènements douloureux par rapport aux circonstances et à l’environnement qui prévalaient au moment où ils sont survenus. Le chiffre de 250 à 300 victimes donné par le président du RCD paraît peu vraisemblable ; celui de 6 000 donné par les services algériens et non par le président Boumediène est certainement excessif. G. Meynier, dans l’ouvrage précité et dont S. Sadi fait une utilisation sélective pour les besoins de sa démonstration, situe le nombre de victimes à environ 3 000 (ouvrage précité, p. 430 et Ss.). À la décharge du colonel Amirouche, il y avait à la fois les défaillances de ses propres services de sécurité insuffisamment vigilants (car il existait indéniablement des agents doubles), une volonté de la part de certains de ses hommes de faire barrage à de jeunes étudiants ou lycéens qui pouvaient, grâce à leur niveau intellectuel, leur faire ombrage en accédant à des postes de commandement, et il y avait surtout la détermination froide du colonel Godard, à qui les généraux Massu et Salan avaient donné carte blanche, de désorganiser toute la Kabylie, car elle constituait à ses yeux le bastion de la résistance. Ceci dit, on ne peut que regretter que l’auteur expédie en quelques lignes (p .251et 252) un phénomène extrêmement lourd qui a dû porter un coup fatal au moral des moudjahidine de la Wilaya III.
Sur les qualités d’homme d’État du colonel Amirouche
S. Sadi consacre quelque 77 pages (p. 193- 270) à essayer de convaincre le lecteur que le colonel Amirouche était un homme d’État. Il s’agit là d’une thèse inédite au regard de l’ensemble des écrits disponibles sur le colonel Amirouche. Que ce dernier, comme dit plus haut, ait été un grand chef de guerre, doué du sens de l’organisation (V. pp. 103-121 de l’ouvrage sur le rôle qu’il joua dans la préparation et le succès du Congrès de la Soummam), est peu niable. Que le président du RCD le présente comme un homme d’État, lui qui, d’ordinaire, est si regardant sur cette qualité est pour le moins insolite. On ne sache pas en effet que l’ancien chef de la Wilaya III ait jamais exposé un programme, une idée, encore moins des éléments de doctrine quant à l’organisation et au fonctionnement de l’État algérien. Il n’est pas jusqu’à sa connaissance de l’Islam dont il était un fervent pratiquant qui ne fut superficielle et même fruste. En aucune circonstance, Abane ne l’a sollicité pour prendre une part, fût-elle la plus modeste, à l’élaboration de quelque projet. On connaît aujourd’hui le nom de ceux qui contribuèrent à l’élaboration de la plate-forme de la Soummam et on connaît aussi les militants qu’Abane avait approchés pour affiner ses idées ou son programme. À l’évidence, le colonel Amirouche n’en faisait pas partie. S. Sadi a eu raison, un jour, d’opposer les hommes de pouvoir aux hommes d’État. Il aurait été bien avisé, en la circonstance, de réfléchir aux vertus de la distinction entre chef de guerre et homme d’État.
L’instrumentalisation de l’histoire
Elle ressort clairement de la relation faite par S. Sadi des rapports qu’entretenaient A. Boussouf avec H. Boumediène, des relations entre le GPRA et le colonel Boumediène, enfin de la perception qu’avait le colonel Amirouche du rôle du GPRA, au moment même où s’intensifiait l’effort de guerre colonial sur les wilayas de l’intérieur. 1. Les relations entre A. Boussouf et H. Boumediène Je suis d’autant plus à l’aise pour faire grief à S. Sadi de céder à l’amalgame entre le n° 1 du Malg et le colonel Boumediène que je me suis attiré les foudres de Daho Ould Kablia, président de l’association des anciens du Malg, lorsque j’ai pris soin, arguments à l’appui, d’opposer la personnalité de A. Boussouf à celle de H. Boumediène, notamment leurs conceptions antagoniques de l’édification de l’État postcolonial ( El Watan des 26 et 27 décembre 2007, puis des 3 et 7 janvier 2008). Bien avant Sadi et les déclarations de N. Aït Hamouda, j’avais suggéré l’hypothèse que les services du Malg avaient probablement communiqué aux services français les coordonnées du trajet que devaient accomplir vers Tunis les colonels Amirouche et Si Haouès, comme cela avait dû être également le cas pour le colonel Si M’hamed (5 mai 1959), plus tard pour le valeureux colonel Si Salah (20 juillet 1961). Les Wilayas III et IV étaient autant dans le collimateur de l’armée coloniale que dans celui de la direction du Malg. Une sorte d’union sacrée s’était constituée entre deux pôles que la rationalité politique plaçait aux antipodes mais qui étaient, en réalité, unis dans une commune détermination à rendre gorge aux chefs des Wilayas III et IV. Ceci dit, l’amalgame auquel se livre le Dr Sadi est douteux pour les raisons suivantes : a) Présenter le colonel Boumediène comme une créature d’A. Boussouf, à la seule fin de pouvoir plus facilement lui imputer des crimes commis par d’autres procède de l’instrumentalisation de l’histoire et même d’une certaine forme de révisionnisme. H. Boumediène n’a pas plus été la créature du patron du Malg que des hommes comme le colonel Lotfi à qui l’histoire a rendu l’hommage qu’il mérite. H. Boumediène avait été simplement le collaborateur de Boussouf, tout comme ce dernier fut choisi par l’intrépide Larbi Ben M’hidi pour le seconder à la tête de la Wilaya V. Il est d’autant plus fallacieux de ne retenir des compagnons de Boussouf que la seule personne du colonel Boumediène, qu’à la différence par exemple d’un Krim Belkacem qui anima, jusqu’au dernier moment, le Conseil interministériel de la guerre (CIG) avec Boussouf et Bentobal, le colonel Boumediène s’inscrivait résolument dans une perspective d’émancipation à l’égard du patron du Malg. La place nous manque ici pour expliquer au lecteur algérien que dans toutes les actions de déstabilisation orchestrées par le patron du Malg en direction de la Wilaya III mais aussi de la Wilaya IV, laquelle paya un lourd tribut humain à la Révolution, le colonel Boumediène n’a jamais été associé, si peu que ce soit. Du reste, pressentant depuis longtemps que le colonel Boumediène, qui n’avait ni la raideur ni l’implacabilité d’Abane, nourrissait un autre type d’ambition pour l’Algérie que l’édification d’un État policier, le colonel Boussouf se résolut, in fine, à se constituer ses propres clientèles abritées au sein du Malg ou de sa périphérie et qui n’auront nulle partie liée avec le futur EMG. b) Le lecteur non averti s’imaginera, à la lecture des nombreux passages consacrés par le Dr Sadi au colonel Boussouf, que le personnage n’aurait été qu’un aventurier, ayant organisé une gigantesque association de malfaiteurs dont le but ultime était, une fois éliminés les acteurs majeurs de l’histoire, de s’arroger les dividendes de l’indépendance. Hélas, il n’en est rien et d’une certaine façon, c’est bien là le drame. Tous les griefs que l’on peut articuler à l’encontre de A. Boussouf ne feront pas disparaître ce fait irréfutable qu’il milita très tôt dans le mouvement national et fut l’un des principaux dirigeants du PPA/ MTLD, membre du groupe des 22 et ministre du GPRA. A priori, il était loin de répondre au profil du parrain sanguinaire que l’historiographie universitaire retient pour l’essentiel de lui. En aucun cas, cependant, le Malg ne peut être réduit à la personne d’A. Boussouf et celle de ses fidéicommis. Des militants illustres ont servi au Malg avec la conviction que leur institution n’avait été conçue que pour lutter contre l’armée coloniale et appuyer logistiquement les unités de l’ALN engagées dans le combat libérateur. Des hommes comme Mohamed Lemkami, Ali Tounsi et bien d’autres n’ont pris aucune part dans les dévoiements sinistres que dénonce à juste titre le président du RCD et restent pour l’histoire de valeureux moudjahidine.
2. Les ambiguïtés du colonel Amirouche à l’égard de Abane
On ne sache pas que le colonel Amirouche se soit réellement ému, d’abord de l’élimination politique de Abane au CNRA du Caire (août 1957) dont firent également les frais deux des plus proches compagnons de Abane, B. Benkhedda et S. Dahleb, avant de revenir en grâce quelques années plus tard, et en décembre 1957, de son lâche assassinat par les sbires de Boussouf. Du reste, et il faut le dire pour l’histoire, l’élimination physique de Abane arrangeait les affaires de tous les protagonistes du conflit (K. Belkacem, en tout premier lieu, dont Abane raillait souvent le manque de perspicacité politique) mais aussi, et pour cause, les membres de la délégation extérieure, qui apprirent la mort de Abane avec un soulagement entendu. En réalité, aucune figure marquante (à l’exception du regretté Larbi Ben M’hidi, incarnation de la pureté révolutionnaire, s’il en est, mais disparu en février 1957) ne tolérait Abane, non seulement à cause de sa personnalité écrasante mais aussi du rôle de directeur de conscience qu’il s’était attribué, distribuant sermons et mises en garde aux chefs du FLN/ALN à la moindre erreur. Doué de la prescience des évènements, il avait cherché à imposer son fameux paradigme de la supériorité du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, de sorte que l’État algérien, devenu indépendant, ne se transformât pas en outil prétorien au service d’une camarilla de comploteurs avérés. Ce faisant, Abane s’aliénait tout le spectre des acteurs de la Révolution : les chefs militaires qui redoutaient d’être dépossédés de leur commandement sur les hommes par des politiques, non directement impliqués dans le théâtre des opérations, et ceux qui étaient appelés à composer les futures institutions chargées d’internationaliser le conflit algérien, et qui virent, là, une opportunité de s’affranchir de la direction intérieure et pourquoi pas de mener une stratégie autonome avec une bonne conscience d’autant plus désarmante qu’il s’agissait également pour eux de réclamer l’indépendance de l’Algérie.
3. La cible principale du colonel Amirouche : le GPRA
Pour le colonel Amirouche, l’interruption de la livraison en armes des wilayas de l’intérieur relève de la responsabilité du GPRA. Le jour où le colonel Amirouche, accompagné du colonel Si Houès, se dirige vers Tunis, l’EMG n’existe pas encore. Il y avait, en vertu d’une décision du Comité d’exécution et de coordination (CCE) prise en avril 1958, deux commandements : un à l’ouest dirigé par le colonel H. Boumediène et un à l’est confié au colonel Saïd Mohammedi. Le colonel Amirouche n’avait pas de grief particulier à l’endroit ni de l’un ni de l’autre, lesquels ne faisaient qu’appliquer les directives du GPRA qui avait succédé au CCE, le 19 septembre 1958. Du reste, si réellement l’armée des frontières n’était qu’un réceptacle d’embusqués en quête de jours meilleurs, on ne comprend pas pour quelles raisons le CNRA avait décidé de relever manu militari le colonel S. Mohammedi de la tête du COM Est. L’incompétence pyramidale, les foucades et les frasques de cet esprit brutal et primaire avaient grandement facilité la tâche de l’armée française dans son entreprise de verrouillage des postes frontaliers avec la Tunisie par lesquels transitaient les armes en provenance des pays frères et amis. La création de l’EMG, postérieure à la mort du colonel Amirouche, procédait de la volonté du CNRA, partagée par le GPRA, de doter l’ALN d’un commandement unifié et dans les circonstances de l’époque, seul le colonel Boumediène possédait l’envergure, le savoir-faire, l’autorité et le charisme pour regrouper les nombreuses unités bigarrées qui stationnaient aux frontières. Ce n’est pas le volontarisme opportuniste ou cynique du colonel Boumediène qui va lui frayer un chemin vers les sommets du commandement de l’ALN, ce sont les circonstances objectives nées du rapport de force militaire (armée française /wilayas de l’intérieur) qui vont le propulser aux avant-postes et lui donner l’occasion de s’ériger en force concurrente du GPRA mais aussi du CIG dans lequel A. Boussouf exerce un rôle prépondérant. Pour le surplus, ces deux institutions — faut-il une nouvelle fois le rappeler pour les jeunes Algériens — étaient affligées d’une légitimité d’autant plus déclinante que l’une et l’autre étaient travaillées par de puissantes forces centrifuges que libèrera complètement la proximité de l’indépendance. Notre propos n’est pas de discuter le réquisitoire du colonel Amirouche contre le GPRA, réquisitoire partagé par les colonels SI Haouès, Hadj Lakhdar (WI) et Si M’hamed (WIV), lors de leur réunion tenue du 6 au 12 décembre 1958 en Kabylie. Il est simplement de rappeler la détermination du colonel Amirouche d’exiger des comptes de la part d’une direction, confortement installée à l’extérieur, et qui avait, dès l’origine, fait son deuil de l’écrasement des combattants de l’intérieur par l’armée française, si ce n’était, là, le vœu secret de nombre de ses membres. À aucun moment, constate lucidement le colonel Amirouche, le GPRA ne s’est préoccupé du sort des wilayas de l’intérieur, ne s’est saisi de la question de l’acheminement des armes (si ce n’est sur le registre de la déploration) et, on ajoutera ici, n’a porté le moindre intérêt aux conflits internes qui s’exacerbaient au sein des commandements respectifs des wilayas (dont la question des purges). Pour le colonel Amirouche, le but monomaniaque du GPRA était que dans le sillage de l’internationalisation réussie du conflit algérien, le général de Gaulle fut dans l’obligation d’entamer des négociations avec les représentants du peuple algérien, lesquels ne pouvaient être que les membres du GPRA ; ces derniers spéculaient, en effet, sur l’isolement et la désorganisation de la résistance intérieure, la détention des historiques au château d’Aulnoy (A. Ben Bella, H. Aït Ahmed, R. Bitat, M. Boudiaf et M. Khider) et le rôle d’appoint dans lequel ils pensaient pouvoir encore cantonner l’armée des frontières après avoir utilisé ses chefs (H. Boumediène, A. Kaïd et A. Menjli) pour éliminer des hommes de courage et de vertu comme le colonel Lamouri. Si, comme le démontre avec force arguments le président du RCD, la cible du colonel Amirouche était bien le GPRA, comment faire reproche à l’EMG d’avoir refusé de passer sous ses fourches caudines au lendemain de la proclamation du cessez-le feu. Là n’est pas la moindre des contradictions du président du RCD, comme nous le verrons plus loin.
4. Le GPRA n’avait plus de légitimité tandis que l’EMG disposait du leadership instrumental
Comment peut-on imaginer un instant qu’une institution complètement délégitimée par le colonel Amirouche et les principaux chefs de wilaya pour son apathie et son indolence devant le massacre des combattants de l’intérieur pouvait encore dicter son autorité à une institution comme l’EMG qui ne procédait pas du GPRA mais du CNRA. Puisque le colonel Boumediène est présenté par le Dr Sadi comme un criminel, c’est le lieu de rappeler à tous les enfants de ce pays, à qui l’histoire n’est pas enseignée, que le patron de l’EMG était un homme de mesure, de tolérance et de longanimité, comme le prouve à satiété son refus obstiné de faire condamner à mort des hommes comme M. Chérif Messadia ou A. Draia qu’il affecta au sud du pays avant de les récupérer à l’indépendance. Soutenir que l’EMG a commis un coup d’État au cours de la crise de l’été 1962 contre le GPRA est une affabulation et une contre-vérité historique fondamentale. Outre le fait que le GPRA ne pouvait se prévaloir d’aucune légitimité (il n’avait négocié puis conclu les Accords d’Évian que pour compte d’autrui, c'est-à-dire pour le compte de l’État algérien), il était en proie à de telles divisions (avant même le coup de force de Ben Khedda contre F. Abbas en 1961 ; preuve, au passage, s’il en était besoin, que la tradition du pronunciamiento n’est pas l’apanage de tel ou tel clan) qu’il ne pouvait commander ni aux hommes ni aux évènements. Une partie de sa direction rallia le groupe de Tlemcen, autour de Ben Bella et de l’EMG, et l’autre le groupe de Tizi-Ouzou, autour de K. Belkacem, H. Aït Ahmed et M. Boudiaf. Quel coup d’État pouvait bien fomenter l’EMG contre une institution fantomatique, éclatée, émiettée sans capitaine et sans cap ? S. Cheikh a remarquablement expliqué dans son brillant ouvrage ( L’Algérie en armes ou le temps des certitudes, OPU, 1980) que l’EMG disposait, à la différence de toutes les autres institutions de la Révolution (CNRA, GPRA, CIG et même les wilayas de l’intérieur) du leadership instrumental et du leadership expressif ; la combinaison de ces deux ayant permis au colonel Boumediène de s’imposer politiquement et idéologiquement, alors que tous les autres regroupements prévalaient la rivalité des ambitions personnelles, le népotisme, le clientélisme, le clanisme, et par conséquent, l’absence totale de tout projet de société, alors que nous étions à quelques encablures seulement de l’indépendance. H. Boumediène était parvenu à transcender - parce qu’il était un véritable homme d’État et un visionnaire -, toutes ces tares congénitales du protonationalisme algérien en donnant une traduction concrète à la fois au combat libérateur et surtout à la construction d’un État soudé, homogène, doté d’institutions pérennes pour pouvoir encadrer une société que les grimaces de l’histoire avaient rendue fragmentée et composite. Au moment où l’EMG affleure sur la scène politique algérienne, la libération du pays par les armes n’est plus qu’une illusion lointaine. Tous les acteurs du conflit se mobilisent dans la perspective de l’indépendance et aucun d’eux ne peut se prévaloir d’une légitimité plus forte que les autres. Si les wilayas de l’intérieur avaient pu vaincre militairement l’armée coloniale, seuls leurs chefs respectifs eussent pu revendiquer la légitimité historique qui leur aurait donné tous les titres à prendre en main le destin de l’Algérie, et si, au demeurant, tel avait été le cas, ni le GPRA ni le CNRA ni même l’EMG n’auraient pu avoir longtemps leur raison d’être, à tout le moins ils seraient restés des organes totalement subordonnés à la direction intérieure et privés d’une quelconque autonomie de décision. L’internationalisation du conflit algérien devait être, dans l’esprit d’Abane, un simple prolongement de la lutte armée. Or, les circonstances du combat anticolonial (c'est-à-dire la supériorité écrasante de l’armée française) ont fait que l’internationalisation du conflit était la seule issue réaliste. Il était normal, dès lors, qu’à mesure qu’on se rapprochait de l’instant fatidique, des conflits de légitimité s’exprimassent et que ce fut le segment du FLN/ALN le plus soudé, le plus cohérent et le plus orienté vers la construction d’un État fort et viable qui l’emportât.
Faire diversion n’est pas lutter contre la culture de l’amnésie, c’est l’entretenir
Si l’entreprise du Dr Sadi s’était limitée à une biographie du colonel Amirouche, tout ce que l’Algérie compte d’opinions impartiales auraient loué cette initiative, surtout que l’auteur a procédé à des recherches approfondies, livré des documents inédits et recueilli de nombreux témoignages (dont celui du regretté Mustapha Laliam) qui sont dignes de foi. Malheureusement, ce récit est surtout l’occasion pour le président du RCD de régler des comptes post mortem avec le président Boumediène qui n’est plus là pour répondre, alors que le témoignage du colonel A. Bencherif paraÎt d’autant plus sujet à caution, que H. Boumediène l’avait écarté du commandement de la Gendarmerie nationale, en 1977. Ceci dit, on ne peut que s’étonner que le président du RCD prenne parti dans les querelles internes au sérail, au sein duquel il pense pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie, après avoir, pourtant, voué aux gémonies l’ensemble des élites dirigeantes issues de deux prétendus coups d’État, celui de 1962 (contre le GPRA) et celui de 1965 (contre A. Ben Bella). La pseudo-réplique du colonel Chadli à l’invite du président Boumediène de se préparer à quitter l’institution militaire est récupérée par S. Sadi pour planter une banderille de plus sur le tombeau de H. Boumediène, comme s’il s’agissait pour lui de voler au secours d’un démocrate patenté, alors que c’est sous le régime de Chadli que S. Sadi a été emprisonné et torturé. Qu’il sache, en tout cas, que le président Boumediène s’apprêtait à renouveler le personnel politique dirigeant et à amorcer une graduelle mais réelle démocratisation du régime, en se gardant, toutefois, de brutaliser le cours de l’histoire. Le président Boumediène est décédé il y a près de 32 ans. Les occasions qui se sont présentées à ses successeurs de faire repartir l’Algérie du bon pied auront été nombreuses mais aucune, semble-t- il, n’a été saisie. Il n’est pas plus acceptable de faire endosser au colonialisme français l’ensemble des errements de l’indépendance que d’attribuer au président Boumediène les causes de l’impasse dans laquelle se serait, selon le Dr Sadi, enferré notre pays. Le réquisitoire contre H. Boumediène aurait été admissible s’il avait émané de personnalités pouvant se prévaloir d’une autorité morale incontestable et d’états de services démontrant leur attachement aux valeurs de la liberté et de la démocratie. Or, il n’en est rien. Quel bilan peuvent présenter aujourd’hui les partis autoproclamés démocratiques, et ce, depuis 1989 ? Ont-ils, par exemple, créé des écoles de formation pour les jeunes citoyens avec au programme l’initiation à l’histoire de l’Algérie, afin de pouvoir prévenir précisément et de lutter contre la culture de l’oubli et la manipulation de l’histoire ? Ont-ils contribué à l’éducation du public ? Ont-ils renouvelé leur personnel dirigeant ? Ontils expliqué à leurs adhérents d’abord, à leurs sympathisants ensuite, les nombreux retournements tactiques qui ont émaillé leurs itinéraires respectifs ? S. Sadi n’a-t-il pas cautionné la candidature de A. Bouteflika à la magistrature suprême en 1999 en lui apportant un soutien sans réserve jusqu’en 2001, prenant alors prétexte des évènements de Kabylie pour se retirer. Ignorait-il, à ce moment-là, le passé qu’il juge aujourd’hui peu glorieux de l’ancien compagnon de H. Boumediène ? Tel parti aujourd’hui dirigé et ceci depuis 1963 par un zaïm, qui plus est, à partir du territoire helvétique, peut-il interpeller les dirigeants politiques actuels à propos de leur exceptionnelle longévité au pouvoir ? Tout cela qui exige beaucoup d’efforts, de patience et une ascèse intellectuelle et morale exigeante, ne peut évidemment se ramener à une vaste opération de diversion consistant pour ses auteurs à exhumer, selon un tempo qu’ils sont les seuls à maîtriser, des évènements douloureux de notre passé. Cette entreprise, parce qu’elle est encombrée d’arrière-pensées, n’a que peu à voir, même si elle sacrifie à quelques vérités, parfois oubliées, avec la réhabilitation de la réalité historique.

A. M.

Par Ali Mebroukine
Professeur d’université

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Commentaires (69) | Réagir ?

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Mohammed

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Je voudrais dire à Salim Bensalem, qui s'agite beaucoup sur ce forum, que ce n'est pas bien de mépriser une institution millénaire, telle que Al Azhar, et qu'on ne dirige pas un pays, comme l'a fait feu Boumediène, avec une intelligence moyenne.

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Salim Bensalem

@houari Boumediene : quelle histoire dois-je réviser, la vraie (que j'ai appris de mon père, mes oncles et ceux qui ont participé à la guerre de libération) ou celle qui m'a été enseignée par l'école de Boukharrouba Mohamed, ALLAH yarhmou (quand même), Alias Houari Boumédiène, qui a pris le Pouvoir en détronnant (Coup d'Etat de 1965), Ben-Bella, lui même porté au Pouvoir, par les Armées des frontières dont le Chef était, justement un certain Houari Boumédiène. Si l'Algérie a failli être divisée, c'est parcequ'il y a eu ce "coup de force". et il a fallu que le Peuple dise "7 ans barakat" et l'abnégation et l'amour que les vrais Maquisards portaient à ce pays pour qu'ils "laissent" le pouvoir aux "charognards", ... pas parceque ton Idole aime l'Algérie, .. ton Idole, tout ce qu'elle aimait c'était le Pouvoir, ... rien que le Pouvoir, ... vas faire un tour à El Affroun, tu y trouveras des témoins qui se rappellent ce qui s'est passé en 1966, quand l'aviation "algérienne" pilotée par des russes tiraient sur la population ! et si tu ne me crois pas, tu peux toujours demander à Ben-Bella, .... il est toujours vivant, ... mais fais vite !!! tu m'excuseras pour le tutoiement

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