Interview de Djilali Hadjadj, porte-parole de l’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) : La corruption est une question de survie pour les dirigeants (1ère partie)

Interview de Djilali Hadjadj, porte-parole de  l’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) : La corruption est une question de survie pour les dirigeants (1ère partie)

Membre de l’ONG Transparency International, L’AACC a été désaccréditée, sur la pression du pouvoir algérien, de la 3ème Conférence des Etats-parties de la Convention des Nations unies contre la corruption qui vient de se tenir à Doha au Qatar du 9 au 13 novembre 2009. Son porte parole Djilali Hadjadj répond aux questions du Matin. Il raconte cette rocambolesque histoire et explique dans les détails comment procède le pouvoir pour couvrir la corruption et éliminer tous ceux qui le gène.

Le Matin : Comment le gouvernement a t il réussit à obtenir votre "désaccréditation"? Est ce une procédure légale?

La 3ème Conférence des Etats-parties de la Convention des Nations unies contre la corruption vient de se tenir à Doha au Qatar du 9 au 13 novembre 2009. Cela fait près d'un an que notre association - à l'instar de celles qui viennent du monde entier et qui sont accréditées auprès des Nations Unies à Vienne, avec un statut d'observateur - a été contactée par l'UNODC - l'Office contre le crime et la drogue, qui est une des agences ounisiennes-, afin d'entamer les procédures d'accréditation. Mieux encore, l'UNODC a même retenu notre association parmi celles qui étaient éligibles à un financement pour sa participation (frais de transport et hôtel), nous indiquant même que le bailleur était l'Agence de coopération du gouvernement du Royaume Uni.

Dans une première étape, notre association a été accréditée officiellement le 5 octobre 2009 par l'ONUDC - qui pilote le Secrétariat de cette Conférence -, en recevant d'ailleurs un document de confirmation, signé en bonne et due forme, et ce, après que l'UNODC ait fait le constat qu'aucun gouvernement d'un Etat-partie ne s'était opposé à cette accréditation dans les délais réglementaires. Car il faut préciser que dans le règlement interne de la Conférence des Etats-partie , adopté en 2006, lors de sa première édition, il est stipulé qu'un Etat-Partie peut rejeter la candidature d'une ONG, mais rejet qui doit être dûment notifié et dans des délais annoncés.

15 jours après avoir reçu notre accréditation, coup de théâtre : c'est la panique à l'UNODC. On nous appelle de Vienne en urgence, pour nous dire que le "rejet" de notre demande d'accréditation par le gouvernement algérien leur est parvenu hors délais, car ayant été envoyé par l'Algérie au siège des Nations unies à ....New York ( sic) !!! Et de New York, elle a été envoyée au siège de l'UNODC à Vienne ! Le représentant de l'UNODC au téléphone semble embarrassé et nous fait comprendre qu'il leur est difficile de ne pas tenir compte de ce rejet même "non réglementaire" ( car hors délai ), d'autant plus qu'une des vices présidences de la Conférence de Doha doit être confiée au gouvernement algérien ! Il va même jusqu'à nous suggérer d'intégrer la délégation d'une ONG ....d'un autre pays, mais en supprimant le financement de notre participation !

Finalement notre association recevra de l'UNODC sa "désaccrédition" le 21 octobre 2009 ! Ce qui est à proprement parlé scandaleux et unique dans les annales onusiennes, d'autant plus que notre association fait partie des ONG accréditées auprès des Nations unies à Vienne, comme on peut le vérifier sur le site web de cette organisation. Démarche illégale du gouvernement Algérien avalisée illégalement par les Nations Unies, et en violation du règlement intérieur élaboré pourtant par les Nations Unies et les Etats-Parties dont l'Algérie !

Mais plus grave encore, le gouvernement algérien - aux côtés notamment de ses homologues égyptiens et pakistanais-, est en train de faire échouer la réunion de Doha, en rejetant tout mécanisme international de surveillance de l'application de la Convention des Nations unies, en bloquant la participation de la société civile dans ce processus et en refusant de rendre public son rapport d'évaluation de l'application de cette Convention !

Le Matin : En quoi votre présence à la Convention des Nations unies contre la corruption à Doha gênait elle le gouvernement algérien?

Cela fait 10 ans que l'AACC est "fliquée", surveillée, harcelée et subit toutes sortes d'intimidations dans les conférences internationales, et ça a commencé en 1999 à Durban en Afrique du Sud, où l' "envoyé très spécial" du gouvernement algérien a adressé un rapport volumineux à sa hiérarchie sur les "agissements" du représentant de notre association !

Notre association avait même été empêchée de participer à d'importantes réunions comme en 2002 à Prague et en 2003 en Afrique du Sud, des procès à l'encontre de son porte parole ayant été programmés aux mêmes dates !!!!

En 2004 à Berlin, lors de l'AG annuelle de Transparency International, un "agent" de l'ambassade Algérienne, a semé la panique au sein de l'assistance après avoir cherché partout les participants algériens !

En 2005 à Nairobi ( Kénya), c'est là aussi un "agent" de l'ambassade algérienne qui débarque à l'hôtel où est hébergé le représentant de notre association - pourtant invité du gouvernement kényan-, le harcelant au téléphone à partir de la réception !

En décembre 2006, pourtant accrédité à la 1ère Conférence des Etats-Parties de la Convention des Nations unies contre la corruption, le représentant de notre association n'a pu se rendre à Amman , car convoqué entre-temps à Alger chez un juge d'instruction pour une affaire qui remontait à.....2001 !

Sollicité par le Secrétariat de la Conférence des Etats-parties - lors de sa seconde édition en 2008 en Indonésie -, sollicitation réglementaire, notre association avait produit et diffusé à cette occasion un rapport " d'évaluation parallèle" de l'application par l'Algérie de la Convention des Nations unies contre la corruption, évaluation au plus près de la réalité et faite sur la base d'un questionnaire établi par les Nations unies. Cette évaluation par notre association n'a certainement pas été du goût du gouvernement algérien qui avait fourni son propre rapport aux Nations unies - mais sans le rendre public : une rapide comparaison du contenu de ces 2 rapports n'était pas du tout favorable au gouvernement algérien.

C'est une des raisons qui l'ont amené à sévir davantage contre notre association - surtout en Algérie, et à l'occasion de cette 3ème Conférence à Doha, mais peine perdue pour le gouvernement dont l'attitude a été abondamment dénoncée lors des premiers jours de cette Conférence : notre association a toujours continué de produire ses "évaluations parallèles" de l'application en Algérie de la Convention des Nations unies contre la corruption !

Le Matin : Alors que la corruption s'est généralisée, quelle sont les organes de lutte et de préventions de la corruption en Algérie?

Nombre d'observateurs et de spécialistes de l'Algérie s'interrogent à juste titre : comment ce pays, qui possède un potentiel humain magnifique, un territoire gigantesque, une histoire millénaire et de fantastiques ressources naturelles, peut‑il près de 50 années après son indépendance, compter près de la moitié de la population au‑dessous du seuil de pauvreté et parallèlement, une caste de nouveaux riches issus des cercles du pouvoir ?

Pour comprendre l'avènement et l'extension de la corruption en Algérie, il est essentiel de revenir sur l'exploitation des hydrocarbures d'économie. En effet, l’"or noir" nourrit depuis des décennies une véritable culture de la rente. Cette forme de pensée mortifère place en toutes circonstances le calcul égoïste et borné de l'argent facile à répartir, au‑dessus de la préoccupation de l'avenir d'un peuple. N'est‑ce pas là, une des sources principales de tous les malheurs qui se sont abattus sur ce pays depuis l'indépendance ?

La finalité de la corruption en Algérie n’est pas seulement l’enrichissement et la survie économiques, elle est aussi profondément politique : c’est la survie politique des dirigeants qui est ici en jeu.

Prenons l'exemple de la lutte contre la corruption : elle est avant tout politique. Information, transparence, contrôle, réforme, participation populaire, citoyenneté sont les maîtres mots d'une avancée nécessaire qui se déclinerait en libertés à conquérir, en responsabilités à prendre, en ouvertures du pouvoir à d'autres secteurs de la société. Il faudrait pratiquer des brèches dans le mur bétonné du silence, redéfinir la loi pour ramener les institutions près du peuple, casser les monopoles politiques, militaires et économiques pour donner à cette société la possibilité de se battre pour elle‑même et de devenir une société de citoyens et enfin, déstructurer les réseaux de la corruption, mais la justice est complètement inféodée au pouvoir.

Non seulement l’arsenal législatif et réglementaire algérien adopté ces dernières années en matière de prévention et de lutte contre la corruption est très indigent et très incomplet, mais il n’est même pas appliqué : 2 exemples parmi tant d’autres le démontrent. Le 1er, l’agence gouvernementale contre la corruption, malgré toutes ses limites réglementaires, n’est toujours pas mise en place, plus de 3 ans et demi après sa création ! Second exemple, le processus de déclaration de patrimoine est éclaté et dispersé, sans mécanisme de suivi et de contrôle, et donc inappliqué à ce jour : que fait le 1er Président de la Cour suprême qui a la charge de ce processus pour les plus hautes fonctions exécutives et les parlementaires ?

Le Matin : Que font les institutions "traditionnelles"de contrôle et de répression ?

Elles sont neutralisées, instrumentalisées, et versent dans la complaisance, lorsqu’elles ne sont pas carrément détournées, voire corrompues. Où est passée le Cour des comptes, notamment ses chambres territoriales ? Les chambres territoriales, au nombre de 9, sont chargées de contrôler les finances des collectivités territoriales (wilayas et communes) relevant de leur compétence géographique. Les chambres territoriales peuvent également contrôler les comptes et la gestion des organismes publics auxquels les collectivités territoriales concèdent des concours financiers ou détiennent partiellement ou majoritairement leur capital. Et l’Inspection générale des finances, centrale et régionale ; et les inspections des ministères ? Et les brigades économiques et financières de la Sûreté nationale et de la gendarmerie nationale ; et les inspections du commerce et de la répression des fraudes ; Et les inspections des impôts ? Etc.

Lui rappelant de très mauvais souvenirs, Bouteflika ne veut plus entendre parler de la Cour des comptes ! Créée en mars 1980 surtout pour régler des comptes au sein du pouvoir, la Cour des comptes a eu pour "premier client", un certain....Abdelaziz Bouteflika : le dossier à charge n'a pas été difficile à remplir tellement l'impunité était la règle pour tous ceux qui ont eu à occuper, de très longues années durant, des fonctions ministérielles importantes. Arrivé au pouvoir en 1999, Bouteflika a tout fait pour ignorer la Cour des comptes, refusant par exemple de publier le rapport annuel de cette institution au Journal officiel, alors que c'est une obligation législative : son prédécesseur a eu au moins le mérite de le faire à deux reprises. N'eût été la consécration constitutionnelle de cet organe de contrôle, on peut penser que Bouteflika aurait dissout la Cour des comptes. Il a essayé depuis, suite aux recommandations de la Commission qui a planché sur la réforme des institutions de l'Etat, de substituer à la Cour des comptes une Inspection générale de l'Etat placée directement sous la tutelle de la présidence de la République, mais visiblement ce projet n'était pas pour plaire aux autres décideurs du pouvoir. En attendant, la Cour des comptes agonise, dirigée par le même commis du pouvoir depuis plus de douze ans ! C'est la même chose pour l'Inspection générale des finances ( IGF) - la "grande muette" nouvelle version, alors que les affaires de corruption se multiplient dans les Institutions et administrations publiques dont elle a réglementairement en charge le contrôle, contrôle qui vient d'être élargi aux Entreprises publiques économiques ( EPE). Cet énorme déficit des organismes de contrôle est aggravé par une absence totale d'échanges d'informations et de coordination entre eux !

Suite 2ème partie

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Commentaires (10) | Réagir ?

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tarlahmam

j'aimerai savoir en toute naiveté es ce qu'il un organisme qui gère l'argent de l'Algérie? comprenez-moi.. comment justifie t'on tout l'argent dont se sert à volonté le président et les hauts fonctionaires pour des futilités.. qui contrôle le budget de l'état.. l'internet éxiste.. dénoncez messieurs... dénoncez

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james bond

des nombrilistes nous gouvernent, n'attendez rien de ces voyous 'leurs valises sont pretes a la moindre tempete ils rentront chez eux, ce n'est pas de la régolade c'est de pure vérité, combattre la corruption c'est se faire hara kiri, pauvre peuple qui continue a soufrrir ds l'indéférence.

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