École algérienne: entre cours de soutien, niqab, bismillah et défis de la modernité

Nouria Benghebrit, ministre de l'Education.
Nouria Benghebrit, ministre de l'Education.

En marge de l'ambiance de fébrilité préélectorale du scrutin des mairies et des assemblées de wilaya, qui se teindra le 23 novembre prochain, et à la périphérie de la logorrhée de commentaires sanctionnant l'entrée en scène du gouvernement Ouyahia, particulièrement avec son projet de financement non conventionnel - autrement dit, la mise en branle de la planche à billets-, l'actualité de l'école algérienne continue à bénéficier des feux de la rampe, mais sous l'angle des procès en sorcellerie intentés à la ministre de l'Éducation nationale, Mme Nouria Bengherbrit, par les milieux les plus conservateurs de la société, qui se trouvent être aussi les cloaques les plus rentiers dont la majorité des animateurs ont envoyé leur progéniture évoluer sous d'autres cieux.

Évidemment, cela ne date pas d'aujourd'hui. Depuis l'arrivée de Mme Benghebrit au département de l'Éducation en mai 2014, elle est devenue la cible attitrée de ce rebut de la société, pour la simple raison qu'elle entend donner un autre destin à l'école algérienne, celui de l'efficacité, de la modernité, de l'éducation à la citoyenneté et de l'adéquation avec les réalités économiques et sociales du pays. C'est là, à leurs yeux, un lourd chef d'accusation, passible des tribunaux d'inquisition, que ces milieux n'ont pas hésité à dresser via une presse arabophone qui leur est acquise et soumise, et, aussi, par le truchement certains canaux des nouvelles télévisions privées "offshore", semant désordre et débilité, aussi bien dans ce domaine que dans bien d'autres.

On en est arrivé à ce que la meute de cette engeance fouine dans la généalogie de la ministre et demande, en grosses manchettes, qu'elle "dégage!". Entretemps, le Maroc vient d'introduire, à partir de la rentrée scolaire de septembre, l'enseignement de la langue française en première année primaire.

La médiocrité : "acquis social" ?

Le secteur de l'éduction apparaît ainsi comme étant le moins serein de tous les secteurs de l'activité nationale, et ce, depuis au moins le début des années 2000, lorsque l'ancien ministre, Boubekeur Benbouzid, introduisit le seuil des cours à soumettre aux examens du baccalauréat (aâtaba, en arabe), lâcha le souci de la pédagogie et du contenu des programmes au profit de seules question sociales soulevées par les syndicats, et laissa l'école soumise à la violence, à la consommation de la drogue et à d'autres fléaux, dont la fraude aux examen et la notation complaisante ne sont pas des moindres.

Le seuil des cours à réviser, les élèves de terminale parvenaient à l'arracher et à l'exhiber sous forme de "trophée" qui leur ouvrait la voie pour une révision minimale, portant par exemple sur les cours reçus lors des deux premiers trimestres, et pour une note au baccalauréat supposée être à leur portée. Cette faveur anti-pédagogique de la fixation d'un seuil de révision, acquise de "haute lutte" par la pression de la rue, était devenue pour les élèves un véritable "acquis social".

On ne peut assurément pas se méprendre sur le fait que l'école, avec ses neuf millions d'élèves, constitue une instance majeure au sein de la société. Cette dernière la nourrit, l'encadre, la promeut et la juge. On ne va à l'école simplement par plaisir d'apprendre de façon évasive et désintéressée. L'école est là, instituée par le système social depuis des siècles, pour reproduire le savoir et le savoir-faire, tout en inculquant les valeurs culturelles et l'esprit de citoyenneté. La finalité étant, d'une part, une promotion sociale censée être assurée par un autre relais, la sphère économique - après un passage par l'université ou d'autres structures d'apprentissage pratique -, et, d'autre part, la formation de citoyens conscients et responsables de leurs devoirs et de leurs droits.

Aujourd'hui, ce sont malheureusement des valeurs qui, en Algérie, sont en train d'être oblitérées par un dangereux détachement vis-à-vis de cette noble institution qu'est l'école, et ce, dans toutes ses étapes, du primaire au lycée; et même au-delà, à l'université. Ce détachement symboliquement bien marqué - grèves, violence dans les enceintes scolaires, consommation de drogue, indiscipline générale frisant la rébellion, baisse vertigineuse de niveau - est, par une forme de curieux paradoxe, inversement proportionnel à l'"attachement" et à l'intérêt matériel que les pouvoirs publics manifestent à l'endroit de ce secteur. L'on ne veut pour preuve que les grandes réalisations d'infrastructures et équipements dans le cadre des trois plans quinquennaux mis en œuvre depuis 2000, dans le cadre des programmes des Hauts Plateaux et du Sud, et à la faveur d'autres enveloppes financières que les pouvoirs publics mobilisent à titre complémentaire.

Cours informels de "soutien" et affairisme

Les milliards de dinars mis dans la construction de lycées, d'écoles et de collèges- avec leurs dépendances: laboratoires, cantines, salles de sport, stades,…- peinent à se traduire en résultats concrets sur le plan de la pédagogie et du niveau de formation. Pire, au moment où étaient, et sont toujours, consentis ces investissements de l'État, couplés aux efforts de revalorisation de la ressource humaine, via le statut particulier des enseignants qui a nettement amélioré leur traitement salarial, on assiste à une déviation de la mission de l'école à travers les cours particuliers qui ont pris l'allure d'un "système clandestin" à l'intérieur du système éducatif. La contrebande et l'économie informelle, dénoncée pendant des années par les pouvoirs publics et la presse, ont élu domicile dans le système éducatif. Des bicoques, des garages en chantier, au milieu de la poussière de ciment, dans des appartements, sont dispensés aux candidats au baccalauréat des cours dits de "soutien", à raison de 3000 à 5000 dinars par élève. Ces cours sont dispensés par des enseignants de lycées qui, pendant les cours officiels, font dans la "rétention" de l'information (cours et exercices) pour "rabattre" les élèves vers les lieux où ils assurent des cours payants. Un couple d'enseignants de lycée, qui se livrent à une telle activité, cumulent- entre le salaire de la fonction publique et les honoraires reçus des parents d'élèves- des traitements qui dépassent parfois 200 000 dinars.

Dans ce cercle vicieux, il n'y a que les élèves et leurs parents qui sont pris dans le piège d'une réelle descente aux enfers. Même si une partie des parents d'élèves se trouvent être des enseignants eux-mêmes, ces derniers sont mieux lotis pour dénicher un autre "destin" à leur progéniture que les parents d'élèves de zones rurales, enclavées, qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts.

La ministre de l'Éducation nationale, qui a hérité d'une situation aussi kafkaïenne, a tenté de s'opposer à cette vision réductrice et dangereuse et à cette pente glissante de la médiocrité par laquelle les élèves et les enseignants préparent un examen aussi noble que le baccalauréat.

Mal lui en prit ; elle subira la foudre des élèves, chauffés par une pratique qu'ils ont intériorisée comme un véritable droit. Les réformes annoncées, aussi bien dans la pédagogie et le contenu des programmes que dans les différentes phases d'évaluation, ne pouvaient pas faire, ipso facto, que des heureux. Cette vision configure une véritable révolution dans l'acte pédagogique. Il n'en fallait pas plus pour que les tenants d'un système obsolète, accrochés à l'obsession d'une idéologie désuète, chevauchent la cause des référents identitaires arabo-islamiques, supposés menacés dans les réformes de l'école. Le dernier événement en date est celui de la formule introductive, rituelle, habituellement insérée au début des livres scolaires et des cahiers d'écolier- la basmala-, qui vient d'être supprimée par le ministère de l'Éducation. Cette une "affaire" qui a défrayé la chronique, fait exploser les réseaux sociaux et vaut à Mme la ministre d'être vouée aux gémonies. Presque en même temps, une autre "affaire" a éclaté, ayant goulûment alimenté les réseaux sociaux. Il s'agit de la décision d'interdiction de porter le voile intégral et le niqab dans l'enceinte de l'école, prise au début du mois au milieu du mois en cours par la ministre de l'Éducation, décision qui a suscité naturellement le courroux du courant islamiste qui niche dans les appareils politiques et administratifs algériens.

Contexte de patente adversité

Après que le ministère leur eût fait oublier, depuis 2014, la fixation d'un seuil de leçon à réviser, révision, les candidats au baccalauréat ont pu franchir le Rubicon, en se livrant à toutes formes de fraudes et de tricherie pour opérer un copiage collectif, souvent public, imposé de force aux surveillants, et surtout aux surveillantes. La "rébellion" des élèves a atteint ainsi des sommets inédits. On nage carrément dans l'absurde, d'autant plus que les moyens technologiques de la communication moderne permettent toutes les dérives.

Le gouvernement était pris au piège de certaines décisions précipitées prises au milieu des années 2000, décisions ou pratiques qui ont conduit à une déliquescence du secteur, et particulièrement de son volet pédagogique. Pour réviser l'organisation, la pédagogie et le mode d'évaluation de l'école algérienne, il est requis plus que des professions de foi ou des discours sans lendemain. Aujourd'hui, les franges les plus éclairées de la société, les élites culturelles et les organisations politiques du camp démocratique soutiennent les efforts que Mme Bengherbit est en train de consentir dans un contexte de patente adversité. Une adversité doublement sustentée: d'une part, par les forces rentières rétrogrades ou oligarques, qui ont des alternatives plus florissantes à offrir à leur progéniture, y compris sous d'autres latitudes, et, d'autres part, par les nostalgiques d'une idéologie religieuse et baathiste dépassée par l'histoire. À cette guerre idéologique et culturelle, qui dure en réalité depuis le début de l'Indépendance et qui prend en otage l'école algérienne, un élément de poids est venu se greffer, celui de la crise de la rente pétrolière. La persistance de la crise sera un allié de taille pour tous ceux qui luttent pour une école républicaine, citoyenne, arrimée à la modernité et en prise directe sur les réalités économiques du pays.

Amar Naït Messaoud

Plus d'articles de : Analyse

Commentaires (17) | Réagir ?

avatar
algerie

merci

avatar
algerie

جزاكم الله خيرا

visualisation: 2 / 17