Faire le "Point" avec Kamel Daoud

La une du "Point", un magazine de la droite française
La une du "Point", un magazine de la droite française

En guise de rampe de lancement à la compilation "Mes İndépendances", l’hebdomadaire "Le Point" du 09 février 2017 consacrait sa "Une" à "Kamel Daoud, l’intellectuel qui secoue le monde" depuis la fin du purgatoire vers lequel l’auraient précipité dix-neuf "(…) spécialistes l’accus(ant) d’islamophobie (et) contribu(ant) à l’isoler bien plus que l’imam (Hamadache) ne l’avait fait".

C’est avec ces mots que l’écrivain Roberto Saviano défendait (au cœur des pages d’une revue également réservée aux répliques de Michel Onfray et Bernard-Henri Lévy) un confrère injustement "persécuté" et pris pour cible par une cohorte "(…) d’experts réfutant les thèses de qui n’adoptent pas leurs éléments de langage ni leur méthode, et dont la faute est par conséquent de ne pas se conformer à une vérité d’ordre scientifique".

En effet, ils avaient eu la pertinence de remettre les choses à plat dès lors que, et sans aucune étude de terrain, le sollicité de l’heure sautait sur son cheval de bataille et embrochait d’une plume affutée des exilés pris la main dans le panier de fesses biens garnies, celles en l’occurrence d’Allemandes violentées et/ou violées par attouchements sexuels, à Cologne pendant la nuit de la Saint-Sylvestre (2015-2016). Soulignant la dangerosité et l’anachronisme des raccourcis épistolaires du chroniqueur algérien, les universitaires en question furent ramenés non pas à des désaccords inhérents à l’analyse critique du texte "Nuit de Cologne : Kamel Daoud recycle les clichés orientalistes les plus éculés" mais à une fatwa identique à celle proférée quelques mois avant du côté du prêcheur cathodique Abdelfatah Hamadache Zeraoui, le chef du parti non agréé "Essahoua". Deux condamnations fortement médiatisées auront donc suffit pour fixer le piédestal d’un "(…) intellectuel qui veut vivre, (et) pas un homme prêt au martyre". La riposte de l’auteur de "Gomorra" renvoie ici aux rapports antinomiques différenciant Jean-Paul Sartre à Albert Camus, le premier allant dans le sens de la violence assomptive préconisée chez Frantz Fanon alors que le second s’en tenait aux joies et plaisirs de l’hédonisme méditerranéen. Si avec "Meursault contre-enquête", Daoud donnait une identité à l’Arabe, son article "Cologne, lieu de fantasmes" mettait le focus sur la difficile intégration d’hommes auxquels "(…) donner des papiers ne suffira pas à les guérir du profond sexisme qui sévit dans le monde arabo-musulman", signalait "Le Monde" du 31 janvier 2016. Les recevoir, n’induisait donc pas l’immunisation "(…) de ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle, le rapport malade à la femme, au corps et au désir» précisait quelques semaines auparavant le romancier au sein du périodique "La Repubblica".

Le réhabilité-encensé offrait là une curieuse "(…) visibilité aux oubliés de l’Histoire", aux post-migrants d’un conflit sans images dont parlait en 1991 le sociologue Jean Baudrillard. Vingt-quatre années après la première guerre du Golfe (dans le prolongement de laquelle se trouve la seconde puis ensuite celle fomentée en Libye), il accentuait le trait du syndrome, s’en démarquait et pointait du doigt des "sauvages épris de chairs fraîches" sans même prendre le soin de croiser ses sources. Or, comme l’écrivait à la suite l’ami italien "Le rôle du véritable intellectuel est de vérifier (…)" des données qui se sont à postériori avérées en partie fausses, "d’offrir un éclairage différent de celui que présentent les médias, qui obéissent souvent à d’autres logiques, en particulier politiques." S’intéresser à la partie émergée de l’iceberg lorsqu’elle saute aux yeux de tous les mateurs aux aguets du moindre scoop ou buzz, plutôt que de relater sereinement des tenants qui taraudent les frustrations d’Orientaux en quête de déculturations occidentales, à l’esprit non apaisé et engoncés dans le passif des inaccomplissements, ne procède pas du travail ni de la responsabilité des débroussailleurs ou explorateurs des nouveaux paradigmes et concepts (tâches incombant à notre avis à l’intellectuel).

En fonction desquels Kamel Daoud bâtit ses "fulgurances" ? A-t-il une production suffisamment dense et exhaustive pour que ressortent clairement ceux sur lesquels se fondera l’œuvre scripturale ? Ses transgressions semblent ne s’effectuer que par tropismes interposés, comme par exemple ceux rattachés aux indispositions identitaires. Soutien de poids, le Turc Nedim Gursel arguera à ce titre, au sein du même magazine, que "L’İslam radical n’est pas compatible avec la démocratie". Oui, pas plus d’ailleurs qu’un système de parti unique, lequel perdure en Algérie sous couvert d’une prétendue presse libre. Des assertions similaires sont régulièrement assénées par d’autres moralisateurs enclins à venter "(…) ce que représente cet espace de liberté et de connaissance qu’est l’Europe", à dérouler le tapis rouge aux scribes maghrébins ou africains maîtrisant la rhétorique de Voltaire et disposés à entendre tous les vocables dédaigneux renvoyés à la face des détracteurs.

Ainsi, l’Oranais acquiescera mollement, en hochant de la tête, les dénigrements que François Busnel, le présentateur de l’émission "La Grande librairie", lancera le jeudi 16 février 2017 à l’encontre des 19 chercheurs évoqués plus haut. Son mépris envers eux n’avait d’égal que les éloges enjouées prononcées sur l’invité d’honneur devenu une espèce de produit marketing à emballer afin qu’il surfe au-dessus de la mêlée des supposés trancheurs de têtes, secoue le cocotier du jardin de fleurs que cultivent à longueur de tribunes les sirènes avertissant des "territoires perdus de la République". Pendant que l’Hexagone penche dangereusement vers une extrême-droite galvanisée par le Brexit anglais et les poussées "trumpistes", Angela Merkel tente de maintenir le cap de sa courageuse décision (accueillir plus d’un million de réfugiés) qui, bien que liée à la démographie germanique, méritait plus d’attentions et égards.

À vouloir trop exposer les évidentes causes de l’extrémisme religieux, et concomitamment capitaliser légitimement les sunlights de sa notoriété, c’est la chancelière d’outre-Rhin que Kamel Daoud fragilisait, et avec elle les digues maintenant encore l’espoir de faire reculer les vagues brunes grondant à l’horizon. Leurs incessants ressacs n’augurent rien de bon, sauf peut-être pour les djihadistes en herbe ou les "Observateurs hors pair" auquel appartiendrait celui qui, bousculé de toutes parts douze mois plutôt, exercera, à l’instar de chauffeurs de bus maltraités, son droit de retrait. Touché mais pas coulé, car harnaché d’une bouée de sauvetage le maintenant à flot, il naviguera quelques temps à vue, puis, requinqué de convictions, reviendra aux terrasses ensoleillées de la Maison-France pour, soutiendront les réseaux parisiens habilités, y faire figure de référence, voire de boussole nécessaire à une société angoissée.

Traitant du régime fossilisé et corrompu de l’Algérie, de son islamisme rampant et identités ou sexualités compressées, le penseur livre, par le biais de ses "İndépendances", les tabous et affects de l’autre rive mais aussi des interrogations relatives aux relations prorogées avec la colonie d’hier, la Palestine d’aujourd’hui, l’altérité, la présence-absence au monde, bref à des sujets du registre culturel, politique et philosophique. À ceux-ci manquent des approches artistiques relatant de cinéma, théâtre et peinture, des visites qui, le sortant des "obsessions pamphlétaires", le placeraient, à notre sens, vraiment au niveau de l’intellectuel éclairé.

Nous ne savons pas, comme le prétendent les journaux de la capitale française, si ses permanents regards sur l’actualité algérienne (publiés au Quotidien d'Oran) ont été les plus scrutés du pays. Par contre, s’affirmer péremptoirement "(…) l'espace de beaucoup de projections, de contradictions, de passion", c’est accréditer l’hypothèse farfelue de l’œil cosmique déjà avancée par l’ex-Premier ministre Manuel Valls, apporter de l’eau au moulin d’Ahmed Bensaada, le responsable de "Kamel Daoud: Cologne, contre enquête". Dans cet essai à charge (truffé de redondances et poncifs), le docteur en physique l’accuse d’emprunter l’habit du supplétif docile, en somme de se prosterner devant certains néoconservateurs décidant des prix à remettre lors des salons littéraires. Contrairement à lui, nous accordons des circonstances atténuantes à un born-again qui, "cause rupture", agite tout de même les frontières d’un champ de réflexions abandonné par des élites gauchisantes s’en remettant au renouveau dans l’authenticité pour recycler en Algérie ce qui leur reste d’enchantements postrévolutionnaires.

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

Paris, le 02 mars 2017.

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (2) | Réagir ?

avatar
gestion

verry nice post, thanks for share

http://virtuelcampus. univ-msila. dz/inst-gtu/

avatar
Massinissa Umerri

L'essentiel, ce n'est pas l'interet ou critique, que lui portent les Francais, mais les autres... LE RESTE DU MONDE... Imaginez-vous, qu'il y a 8 milliards de bidules sur terre. L'autre essentiel, c'est la certitude que tres peu d'Algeriens le lisent, et encore moins connectent avec lui (parmis les siens biensur) - L'arabo-islamisme, fait ravage... J'ecris aussi, mais jamais en Francais - except des commentaires ici. Les Francais, incluant mon ex-femme, ne vous apprecient que si vous leur bourrez les oreilles de Slama Alikoum, en ricanez a la gueule en Anglais ou Allemand - Comme le ferait Trump. Il ne s'est pas encore prononce' sur eux, cewila...