L’élite kabyle : un puzzle éclaté !

L'élan d'espoir suscité par l'élite du printemps 80 (ici des détenus du MCB de 1985) a vu leur majorité replonger dans l'anonymat.
L'élan d'espoir suscité par l'élite du printemps 80 (ici des détenus du MCB de 1985) a vu leur majorité replonger dans l'anonymat.

Ce que je dis de la Kabylie a toute les chances d’être valable pour les autres régions d’Algérie ou tout au moins certaines d’entre elles. Mais je ne m’autorise pas, dans cette contribution, à parler en leur nom. Aux acteurs de chaque région d’exprimer leur vision. Il faut raison garder et avoir l’humilité de parler de ce qu’on connaît le mieux !

Des rêves brisés

La Kabylie est devenue, depuis quelques années, une vaste salle d’attente tant jeunes et moins jeunes n’entrevoient de solutions à leurs projets que sous des "cieux plus cléments". La ruée vers l’Europe et le Canada est devenue l’idéal collectif et connaît un grand coefficient d’accélération; l’US Lottery distributrice du fameux sésame Green Card, système du mirage américain de captation de forces vives, tourne à plein régime au pays d’Abane Ramdane !

Dénicher des parents ou grands-parents qui auraient bénéficié de la nationalité française pour services rendus directement ou indirectement à l’ordre colonial est désormais un sport national rendant espoir aux jeunes et moins jeunes dont les rêves sont brisés par un système algérien anachronique.

Empêché d’inventer un avenir collectif heureux dans son pays, le Kabyle choisit la dignité du départ solitaire malgré des fourches caudines impitoyables posées tout au long du chemin de l’exil.

Depuis 1962, l’Algérie n’a connu aucun homme d’État digne de ce nom et capable de saisir les aspirations individuelles et collectives des Algériens, capable de prendre acte de leurs différences, aucun homme d’État en mesure de pressentir les facteurs du déclin inexorable d’une nation dont le peuple et ses élites ont consenti un lourd sacrifice pour vivre librement et décemment.

Face à un système politique verrouillé de toute part, la Kabylie ne peut vivre ses spécificités linguistique, culturelle, cultuelle, économique, éducative, etc. Toute approche interculturelle est vouée aux gémonies !

Une Kabylie attractive

Dans ce contexte qui perdure et qui a visiblement de beaux jours devant lui, se mobiliser pour un changement institutionnel radical est, plus que jamais, une exigence historique. Les élites kabyles (surtout l’élite politique) doivent s’atteler à définir concrètement un projet consensuel pour leur région, un projet qui échappe aux idéologies hégémoniques d’Alger, vassale depuis longtemps d’un Moyen-Orient arabo-narcissique. Elles doivent s’atteler à lui arracher des prérogatives politiques larges comme c’est le cas au Québec, au Pays Basque, en Ecosse, etc.

La Chine elle-même où règne encore le parti unique a admis le principe d’"un pays, deux systèmes" pour permettre à la province de Hong Kong de vivre sa spécificité ! Naturellement, il ne s’agit pas d’entrevoir des utopies irréalisables et productrices d’inquiétudes et de déceptions. Il ne s’agit pas, non plus, d’aller systématiquement à contre-sens des intérêts géopolitiques majeurs de l’Algérie, ni de déconstruire le pays. Il s’agit de bâtir, pas à pas, un projet rassembleur, réaliste, atteignable qui tienne donc compte des rapports de force en présence tant à l’échelle nationale qu’internationale, qui permette d’inventer un procédé négocié de solidarité inter-régionales.

La finalité est de rendre la Kabylie attractive et si une telle utopie devenait réalité, à coup sûr, les autres régions pourraient adopter le mécanisme en l’ajustant à leurs besoins. Alors, un effet de domino peut se déclencher sur l’ensemble du pays et de la région.

Vaincre les egos

Mais une telle perspective, pourtant à portée de main, serait impossible si l’élite kabyle restait éclatée. Une telle optique serait inenvisageable si chaque leader cherchait à rallier les autres à sa propre vision. Cette démarche ne serait qu’un vœu pieux si chaque leader se comportait en égocrate comme le font les apparatchiks d’Alger. Cela s’avérerait impossible si chaque parti ou acteur politique estimait que lui seul représenterait la Kabylie, que lui seul incarnerait les intérêts supérieurs du peuple kabyle, que lui seul détiendrait la solution.

L’élite politique kabyle existe bel et bien mais elle se présente pour l’heure comme un puzzle éclaté. Pour en recoller les morceaux, le dialogue est un impératif incontournable, un préalable à toute idée de changement. Mais le dialogue appelle d’abord à assouplir (faute de pouvoir les enterrer) les rancœurs accumulées, à sortir des bouderies infantiles, à avoir le courage de la modestie ! Ces élites en sont-elles capables ? Politiquement oui tant leurs promesses (fautes de programmes) sont proches, psychologiquement c’est une autre affaire tant le travail sur soi se heurte à des égos quelque peu démesurés !

A l’évidence, ce cheminement peut être salutaire. Il doit, pour perdurer, respecter l’identité de chaque groupe. Il ne s’agit pas, en effet, de chercher béatement à s’unir mais à créer des conditions favorables aux alliances, fussent-elles conjoncturelles.

Hacène Hirèche

Universitaire et consultant

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Commentaires (26) | Réagir ?

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gtu gtu

Très intéressant et éclairant article. Merci !

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gestion

merci bien pour le site

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