Ferhat Mehenni : "Nous avons fait ce drapeau par respect pour nos enfants"

Ferhat Mehenni au milieu des militants de son mouvement.
Ferhat Mehenni au milieu des militants de son mouvement.

Nous reproduisons in extenso la déclaration de Ferhat Mehenni, président de l’Anavad, qu'il a prononcée lors de la levé du drapeau kabyle au parvis des Droits de l'Homme à Paris.

"Ayssetma, aytma, imdukkal n wul n teqvaylit, azul

Un peuple sans drapeau n’a pas de visibilité internationale. Son sort se règle à huis-clos, dans l’indifférence de la communauté internationale. Il se meurt à petit feu. Les peuples menacés d’extinction par assimilation, en prenant conscience de ce qui les attend, sont toujours déterminés à se battre pour survivre. C’est le cas du peuple kabyle. Ils n’ont pour eux que deux alternatives : Celle de la violence armée et celle du combat politique. Si le pacifisme peut être considéré comme l’arme des faibles, le choix de la guerre pourrait, de son côté, être vu et interprété comme celui des désespérés. Or, le peuple kabyle n’est ni faible ni désespéré. C’est en toute responsabilité que nous avons tranché et choisi notre camp, nous avons pris le parti des valeurs contre celui de la barbarie. La violence criminelle restera toujours le seul réflexe, le seul recours du pouvoir algérien aux abois, incapable d’aller dans une autre voie que celle de la politique du pire. Alors !!!…

A lui la barbarie, à nous la noblesse, à lui le crime, à nous l’honneur, à lui la honte à nous le respect, à lui la chute, à nous la liberté, à lui la mort, à nous la vie !

Le pouvoir algérien cherchera toujours à nous attirer dans le piège du terrorisme pour se donner un double avantage sur nous : celui des armes et celui de la légitimité. Il n’aura de notre côté ni l’un ni l’autre. Guermah Massinissa, le lycéen kabyle assassiné le 18 avril 2001 par les gendarmes algériens, de même que les 129 autres Kabyles tués, toujours par les mêmes gendarmes lors du Printemps Noir, resteront à jamais ceux qui incarnent les victimes d’un régime criminel. Kamel Irchan, un jeune manifestant kabyle, tout à fait pacifique, incarnera pour toujours la noblesse et l’esprit de résistance du vaillant peuple kabyle. En effet, touché au ventre par des balles explosives tirées par des gendarmes algériens, le 27 avril 2001, il eut, avant de tomber, la lucidité et le réflexe surhumain et immortel, d’écrire de son propre sang, le mot LIBERTE sur un mur de Kabylie. C’est à lui, à Guermah et à tous les Kabyles abattus par le pouvoir algérien que nous dédions ce drapeau kabyle. C’est à Matoub Lounes dont l’assassinat a été maquillé pour être attribué au Groupes Islamiques Armés alors que c’étaient des éléments des services algériens qui l’avaient exécuté le 25/06/1998. C’est à Bennaï Ouali, Amar At Hemmuda et Mbarek At Menguellet que nous adressons nos respects en levant pour la première fois de manière solennelle ce drapeau. C’est à Abane Ramdane, Amirouche et Krim Belkacem qui avaient tué en eux le Kabyle qu’ils étaient avant de se faire tuer ou se faire donner par l’Algérien qu’ils voulaient faire naître en chacun d’entre nous.

Je pense à Me Mecili, abattu à Paris le 07 avril 1987, et dont l’assassin a été renvoyé dare-dare à Alger où il coule des jours qui ne doivent être troublés que par le remords. C’est aussi à mon fils Ameziane abattu le 19 juin 2004, également à Paris, pour punir notre aspiration à la liberté kabyle, que je pense en levant ce drapeau.

Nous ne dévierons pas de notre objectif. Regardez ce que nous avons réalisé sans autres moyens que ceux de nos convictions et de notre détermination à arracher le droit du peuple kabyle à son autodétermination !

C’est en étant forts de la justesse de cette option pour un combat politique, que nous avons créé le MAK dans le feu du Printemps Noir en 2001. Depuis nous ne cessons d’avancer. Cela nous a amenés à doter la Kabylie de nombreux attributs de souveraineté. Il en est ainsi de la mise sur pied de l’Anavad, le 1er juin 2010. Est venue ensuite, la carte d’identité kabyle que même des personnes âgées, atteintes par de graves maladies, se sont empressées d’obtenir avant leur terme fatal. Être enfin kabyle, en avoir la preuve à travers une carte d’identité délivrée par une autorité reconnue, est moralement apaisant et réconfortant.

Nous avons créé Siwel.info, une agence de presse kabyle pour rendre compte quotidiennement de l’évolution du combat politique de la Kabylie pour sa liberté. Nous avons mis en circulation l’hymne national kabyle. Il lui manquait le drapeau. Il n’y a pas d’hymne sans drapeau et il n’y a pas de drapeau que ne glorifie pas un hymne.

Aujourd’hui, nous y sommes.

Si nous sommes parvenus à le faire c’est d’abord par respect pour nous-mêmes en tant que peuple et en tant que nation, en tant que Kabyles conscients de nos droits nationaux. Nous avons fait ce drapeau par respect pour nos enfants auxquels nous avons le devoir de préparer un avenir digne de celui des grandes nations du monde.

Un drapeau est un repère, un marqueur identitaire d’un peuple, d’une nation. Avec lui, on ne peut plus s’égarer. Même si nous avons l’obligation d’aller vers les autres dans le cadre de la mondialisation et des valeurs d’ouverture et de générosité dont nous ne devrions jamais nous départir, nous avons notre drapeau qui nous rappellera à jamais, en tous lieux et en toutes circonstances, notre appartenance, notre identité, notre langue et notre terre d’origine. Il nous ordonne de l’incarner avec dignité où que nous soyons.

C’est un drapeau plein de sens.

Il est composé de deux couleurs essentielles. Le bleu représente la liberté et notre attachement aux valeurs universelles. Le jaune incarne la Kabylie et son ancrage dans la Méditerranée africaine, en même temps que son insertion dans le monde.

L’Aza rouge exprime nos origines et notre rattachement à la grande famille amazighe.

Enfin, les rameaux d’olivier dont les feuilles ont été stylisées en losanges sont là pour exprimer à la fois notre aspiration à la paix et notre besoin de renforcer l’identité artistique kabyle. La volonté de les rendre en deux couleurs, le jaune et le bleu obéit à deux préoccupations, l’une d’ordre technique, l’autre symbolique.

Sur le plan technique, moins il y a de couleurs sur un drapeau, plus il est facile à mémoriser. Sur le plan symbolique, le fait que dans le bleu, le rameau soit jaune exprime la protection de la Kabylie par la liberté, et inversement, le rameau bleu sur fond jaune dit l’amour de la Kabylie pour la liberté qu’elle a pour devoir de protéger.

Les olives sous forme de pois adoucissent les angles aigus des feuilles, elles symbolisent la fécondité de la terre Kabyle et celle du génie de la Kabylie.

Enfin, permettez-moi d’ajouter un mot sur la symbolique de l’olivier en citant le grand écrivain kabyle Mouloud Mammeri.

"(...) L’arbre que je préfère est l’olivier. C’est l’arbre de mon pays. Celui-là a toutes les vertus. Il est fraternel et à notre exacte image. Il ne fuse pas d’un élan vers le ciel comme vos-arbres (je veux dire ceux du nord de la Méditerranée, d’Europe centrale et l’Asie). Il est noueux, rugueux, il est rude. Il oppose une écorce fissurée mais dense aux caprices d’un ciel qui passe en quelques jours des gelées d’un hiver furieux aux canicules sans tendresse. Il a traversé les siècles (...)".

Je déclare le drapeau kabyle levé aujourd’hui comme le drapeau officiel de la Kabylie, désormais l’emblème national kabyle.

Félicitations pour la Kabylie et sa nation.

Je salue ceux qui, en ce moment lèvent ce drapeau en même temps que nous à Milan. Je salue particulièrement la municipalité de Montpellier qui, sur l’esplanade où sont dressés les drapeaux du monde entier, a accepté de mettre l’un d’entre eux en berne pour hisser à sa place, le drapeau de la Kabylie. Je salue ceux qui, dans six heures vont lever ce drapeau à Washington. Je félicite ceux qui l’ont déjà levé à Montréal.

Nous le lèverons le 25 avril à Evians, le 26 à Marseille, le 30 à Bruxelles et le 02 mai 2015 à Toulouse. Nous prévoyons de le faire dans la plupart des pays européens.

Je ne peux terminer sans adresser mes félicitations au club de football de Vgayet, le MOB qui accède à la finale de la coupe de cette année et à ses supporters qui ont entonné l’hymne national kabyle.

Pour sourire, rappelons que le pouvoir ordonne toujours aux policiers de fouiller les supporters des équipes kabyles de football pour leur arracher leurs drapeaux berbères ou les déchirer pour les humilier. Désormais, c’est le pouvoir lui-même qui va être tenté de commander les drapeaux qu’il confisquait pour les leur offrir, à condition de ne pas brandir le drapeau kabyle. Même les hommes politiques qui interdisaient à leurs militants, par algérianisme, de manifester avec le drapeau amazigh seront désormais libérés pour le porter eux-mêmes. Le combat pour la Kabylie a fini par faire admettre au pouvoir algérien et à ses relais que, devant le danger kabyliste, il est urgent de lever l’interdit sur les symboles amazighs.

On le voit, ce drapeau kabyle, cet emblème béni par son peuple, est libérateur. Vive le drapeau, kabyle.

J’appelle toute la Kabylie à honorer ce drapeau ce 20 avril à Tuvirett, Vgayet et Tizi-Ouzou. Comme j’appelle tout le monde à aller le 27 avril à Icherriden pour symboliquement, là où, hier, Fadma N soumer et ses résistants étaient tombés, le peuple kabyle se relève aujourd’hui. Anda neɣli iḍelli ara nekker ass ayi

Tanemmirt

Ferhat Mehenni

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Commentaires (21) | Réagir ?

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mohamed ouerness

Les kabyles sont les héritiers de la Pensée amazighe selon le Grand historien Younes ADLI.

Ce qui veut simplement dire que la disparition de la Kabylie signifierait l'extinction à jamais des Amazighs.

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mohamed ouerness

Annay aqvayli d azamul n tnekkit Taqvaylit.

D ticreťt n weghref imi yuzzelen idammen.

D tajmilt iy imaghrasen n 2001 ugar akin. 1963....

D lefnar ger igharfan (igduden /leğnas) n umadal.

Imawlan nughen s wannay afransis, r nan amennugh s wannay adzayri.

Tasuta n 2001 terfed amennugh s waylas.

Aylas d ANNAY AQVAYLI.

Azamul n timunent.

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