Histoire d’une énième mascarade algérienne (IIIe partie et fin)

Malade, le président candidat Bouteflika a de longues périodes d'absence.
Malade, le président candidat Bouteflika a de longues périodes d'absence.

Le climat qui règne en Algérie depuis le mois de septembre 2013 est, selon nos sources, la conséquence directe des tractations, rencontres, réunions informelles et autres conciliabules qui se sont tenus à Alger durant l’absence d’Abdelaziz Bouteflika, resté en France pour une longue période de rééducation à la suite de son hospitalisation au Val-de-Grâce.

Par Mohamed Sifaoui

Saïd Bouteflika avait tenu régulièrement au courant son frère aîné lui suggérant que des "complots" se tramaient à Alger. Les deux hommes ne comprenaient pas pourquoi le chef du DRS avait vu en tête à tête Liamine Zeroual au Club-des-Pins, pour quelles raisons des officiers à la retraite se retrouvaient le soir dans la villa de Khaled Nezzar, mitoyenne à celle du général Toufik et quel était le secret qui se cachait derrière l’assurance insolente affichée par un Ali Benflis répétant à qui voulait l’entendre qu’il allait devenir président "grâce à la volonté de Dieu, celle du peuple et celle du général Toufik".

Les frères Bouteflika, très paranoïaques et se sachant détestés voient des "complots" même lorsqu’ils n’en existent pas. ils décident alors de réagir. Pour eux, qu’il y ait cabale ou pas, il fallait asséner un grand coup en direction du patron du DRS afin de le rendre vulnérable et de lancer, à travers lui, des messages clairs à tous ceux qui, au sein de l’armée, seraient tentés d’empêcher, d’une manière ou d’une autre, Abdelaziz Bouteflika de s’assurer une présidence à vie. Le frère cadet n’hésite pas à rappeler, dès qu’il a l’occasion, qu’il serait prêt "à mettre le pays à feu et à sang" si d’aventure, on empêchait son aîné de poursuivre sa marche impériale.

Selon nos sources, les contours de cette riposte ont été décidés à Paris. Une première fois lors d’une discussion entre Saïd Bouteflika et son frère, une seconde fois lors d’une rencontre entre le très entreprenant Saïd Bouteflika – porteur d’un message confidentiel du président, resté à Paris – et le général Ahmed Gaïd Salah. Enfin, le même Saïd Bouteflika, selon notre principale source, aurait instruit Amar Saïdani afin que ce dernier enclenche les hostilités. Ce que le secrétaire général du FLN, en bon exécutant, n’allait pas tarder à faire. Le message devait être clair : Le DRS ne devait plus s’occuper de la chose politique, désormais chasse-gardée de la Présidence. Il fallait par ailleurs verrouiller l’ensemble des institutions et mettre au pas le général Toufik même si celui-ci aurait, d’après nos sources, assuré le chef de l’État de sa fidélité. Pour sa deuxième partie, le chef d’état-major allait être mis à contribution pour faire appuyer et faire valider les décisions qui allaient viser des cadres de l’Armée. Toutes ces manœuvres visaient évidemment à permettre au scénario du quatrième mandat d’être mis en scène sans embuches.

"Pourtant, affirme le haut responsable que nous avons rencontré, le Président est réellement incapable de diriger le pays. Malgré les efforts multipliés par le clan pour mettre à sa disposition les kinésithérapeutes étrangers les plus expérimentés et les médecins les plus spécialisés, il n’a pas récupéré ses fonctions les plus importantes. Certaines, motrices, fonctionnent plus ou moins normalement même s’il ne peut pas supporter la position debout, mais le plus grave c’est qu’il a de longues périodes d’absence et il est très rapidement fatigué. Il n’a plus toute sa lucidité. Il est incapable de voyager, de négocier avec des chefs d’État étrangers, incapable d’assister à des réunions internationales ou de raisonner comme il le faisait avant son AVC et, en définitive, il n’a pas la capacité de travail qu’exige la fonction. L’article 88 de la Constitution devrait s’appliquer dans une telle situation, mais les institutions sont entre les mains du Président et celles de son frère. Le chef d’état-major, Gaïd-Salah, les présidents de l’Assemblée, celui du Conseil de la Nation et celui du Conseil constitutionnel n’ont ni le charisme ni le courage ni l’indépendance ni la volonté pour agir. Le seul qui aurait pu faire quelque chose, c’est le général Toufik, mais, visiblement, il s’est refusé à cette éventualité", avant de conclure dépité "que voulez-vous ?! Malgré les critiques, notre armée est très disciplinée et ne veut plus être en première ligne. De plus, les officiers supérieurs sont, pour la plupart des carriéristes, qui souhaitent atteindre tranquillement l’âge de la retraite sans faire de vagues".

Le prétexte qu’avanceraient y compris certains de ceux qui se disent, au sein du système, opposés au quatrième mandat ce serait l’absence d’une "alternative crédible". Ali Benflis est jugé "incompétent et mou", Mouloud Hamrouche n’est pas apprécié par beaucoup de hauts galonnés, Abdelmalek Sellal est désigné comme étant "un rigolo sans charisme" et Abdelaziz Belkhadem "n’est pas digne de confiance" en raison de ses accointances idéologiques avec les tenants de l’islam politique. Seul Ahmed Ouyahia semble avoir les faveurs d’une large partie du sérail.

Cette source n’hésite pas à afficher son scepticisme : "J’ignore si le président a décidé de rempiler en toute conscience ou s’il a été poussé par son entourage immédiat. Par contre, je n’ai aucun doute sur l’influence qu’exerce sur lui Saïd Bouteflika, qui est depuis près d’une dizaine d’années quasiment le vrai président. Ou peut-être le mauvais génie du Président. Et encore davantage depuis l’été dernier".

Nous insistons alors pour connaître les motivations profondes qui poussent Ali Benflis à crédibiliser, de cette manière, une élection jouée d’avance. Certaines de nos sources estiment qu’il aurait touché une importante somme d’argent en contrepartie de sa participation pour légitimer la victoire de Bouteflika alors que d’autres le décrivent comme un "illuminé croyant gagner par la seule volonté divine". Toujours est-il, il semble clair et évident que Ali Benflis, quelles que soient ses réelles motivations, a décidé de prendre part, vers la fin de sa carrière publique, à une mascarade pensée et concoctée par ce système dirigé par le duo Bouteflika/Toufik.

Que va-t-il se passer après le 17-avril ? Question légitime s’il en est. D’après nos sources, Belkhadem, Sellal, Gaïd Salah et quelques autres vont être écartés au profit d’une nouvelle équipe. Le poste de vice-ministre de la Défense serait supprimé après le limogeage du général Gaïd-Salah qui interviendrait, au plus tard, quelques mois après le début du quatrième mandat. Bouteflika qui ne montre jamais clairement ses intentions, aurait néanmoins à choisir, selon notre source, entre les généraux Hamel, Taffer et Benali. Mais ce serait ce dernier qui aurait déjà ses faveurs pour être le futur chef d’état-major de l’Armée.

"Même si le choix du Premier ministre n’est pas définitivement tranché, affirme l’une de nos sources, il semble que ce sera Ramtane Lamamra qui assumera cette fonction". Mais c’est Ahmed Ouyahia qui revient avec le vent en poupe. Il aurait déjà reçu quelques assurances et il sait qu’il est très probable qu’il devienne le successeur naturel d’Abdelaziz Bouteflika, à la suite de son décès. Pourquoi lui ? D’abord, il a su créer un consensus autour de son nom. C’est un homme élevé par le système et il a une "culture de l’État" qui incite les barons du régime à penser qu’il ne manquera pas d’assurer la totale impunité au clan présidentiel. "Il n’est pas dans la tradition, dira le haut responsable que nous avons questionné, de lancer une chasse aux sorcières contre la famille ou les proches des anciens présidents. Et Ouyahia n’est pas homme à chercher des poux dans les têtes, sauf si on le lui demande", conclue-t-il ironique. De plus l’ancien chef du gouvernement est décrit comme "proche de Toufik et du DRS et de beaucoup d’officiers supérieurs". Et cette même source précise : "En 1999, il devait succéder à Liamine Zeroual. C’était l’une des options qui avait été retenue, mais certains responsables de l’époque, notamment Mohamed Betchine, s’y étaient violemment opposés. Aujourd’hui, il sait que son heure est venue. Il va essayer d’être très diplomate avec tous les segments du pouvoir afin que le consensus qui existe déjà autour de sa personne se renforce. Il va également essayer de gagner en popularité, car il sait qu’il n’est pas très aimé par la rue, les médias et par certains responsables au sein du RND et du FLN". Il est vrai qu’en tant que serviteur docile du système, Ouyahia s’est toujours engagé à accomplir toutes les besognes du système. Il n’a jamais contrarié le chef du DRS et le président lui voue une certaine estime en raison de sa docilité.

S’agissant de l’impunité, notre source précise toutefois que c’est le clan présidentiel qui va lancer une chasse aux sorcières au lendemain du 17-avril. "Ils vont faire payer, d’une manière ou d’une autre, tous ceux qui se sont opposés au quatrième mandat. Saïd Bouteflika est un homme haineux et revanchard. Beaucoup plus que son frère aîné d’ailleurs". Ainsi apprend-on qu’une offensive serait lancée contre certains médias, mais aussi contre des acteurs de second ordre, comme Mohamed Chafik Mesbah, dont le rôle de manipulateur et de lobbyiste, exaspère Saïd Bouteflika. Pour donner quelques arguments, notre source raconte une anecdote. "Durant l’été dernier, raconte-t-elle, Saïd Bouteflika passait une soirée bien arrosée avec quelques-uns de ses amis dans un bar du Boulevard Montparnasse à Paris. Il avait tellement bu qu’il a eu un malaise assez sévère. Une sorte de coma éthylique. Il a perdu connaissance et il est tombé sur le trottoir. Chafik Mesbah a appris la nouvelle, le soir même, par le biais du général à la retraite Mohand Tahar Yala. Il s’est alors empressé, dès le lendemain, d’appeler Aboud Hichem et plusieurs autres médias pour les informer de cet incident espérant qu’il soit rendu public. Voilà une illustration de l’activisme de Mesbah contre le clan présidentiel et Saïd Bouteflika ne l’ignore pas. Il sait par ailleurs que cet ancien officier du DRS, protégé par Toufik, est mêlé à une affaire de terres agricoles dans le domaine de Bouchaoui et à une autre affaire avec les services des Douanes". Notre source conclue en souriant : "À la place de Mesbah, je prendrai contact, dès à présent, avec un bon avocat".

Toujours est-il, au-delà des anecdotes qui ont le mérite de révéler le côté crasseux de certains de ceux qui agissent au sein du sérail ou à sa périphérie, il apparaît que ce serait Ahmed Ouyahia qui va, à partir de son nouveau poste de Directeur de cabinet, avec un statut de "ministre conseiller", accomplir le travail quotidien du Président. Ce dernier va être confiné à un rôle de représentation, signant une lettre adressée au peuple par-ci et recevant, par là, pour rassurer la galerie, quelques dignitaires étrangers.

Toujours est-il cette tragicomédie appelle quelques questionnements et présente des équations avec des inconnus. Qu’en sera-t-il du rapport entre Ahmed Ouyahia et Saïd Bouteflika ? Mais de plus, ce dernier arrivera-t-il à faire partir le général Toufik ? Selon notre source, le patron du DRS ne partirait pas tant qu’Abdelaziz Bouteflika est officiellement au pouvoir. La même source indique : "Même s’il a été égratigné par les attaques qu’il a subies, Toufik garde sa capacité de nuisance et peut compter encore sur de nombreux soutiens, au sein du système, qui estiment qu’il représente une sorte de point d’équilibre".

Décidément, elle est bien drôle cette Algérie, transformée en gérontocratie dont les équilibres ne reposent pas sur des institutions solides, mais sur une guignolesque momie faisant office de président et un patron des "services" dont on ne sait plus s’il s’agit d’un Raspoutine, d’un Docteur Folamour ou du créateur de Frankenstein.

M.S.

Lire aussi :

* Histoire d’une énième mascarade algérienne (II)
* Histoire d’une énième mascarade algérienne (I)

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Commentaires (8) | Réagir ?

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wahab benidir

Mr Sifaoui ne nous dit pas qui a nommé le dernier gouvernement, le président du Conseil Constitutionnel. Qui a signé les décrets ? Etant entendu que le président de la république en était incapable, l'AVC ayant fait des ravages.

Avec tout ça, comment Bouteflika pouvait gérer les affaires du pays :

- une paralysie partielle ou complète du côté gauche du corps (appelée « hémiplégie »), y compris la perte possible de tonus musculaire ou de la maîtrise du côté gauche du visage;

- une perte de sensation partielle ou complète du côté gauche du corps;

- une incapacité à reconnaître des objets familiers ou à en comprendre l’usage;

- une difficulté à déterminer les distances et les formes ou à s’orienter;

- des comportements impulsifs, des sautes d’humeur ou un manque de jugement;

- une perte de mémoire à court terme;

- une absence de reconnaissance du côté gauche du corps ainsi que des personnes et des choses se trouvant du côté gauche (appelée « négligence unilatérale gauche.

L’AVC peut avoir des effets physiques, émotionnels, comportementaux et sociaux. Il peut aussi modifier la capacité d’une personne à penser et à apprendre. Vu que le cerveau comporte des voies qui « s’entrecroisent », les dommages causés au côté droit (hémisphère droit) du cerveau touchent le côté gauche du corps et les dommages causés au côté gauche (hémisphère gauche) du cerveau touchent le côté droit du corps.

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mohamed ouklou

les militaires ont trahi le peuple, après avoir imposé le candidat <<le moins mauvais>>qui s'est avéré le plus pietre parmis les six, celui qui a dilapidé 500 milliards $ et qui a verrouillé toutes les institutions qui ont été rehabilitées par son predecesseur, monsieur zeroual, l'etat est devenu privé, un etat de voyous qui emploie des voleurs de la pire espece, rien que des delinquants qui gravitent en toute impunité autour du pouvoir, c'est aux generaux qui ont des sangles de mulet à la place des ceintures d'assumer leurs responsabilités.

maintenant tous ceux qui tombent rendent des comptes, plus de secret bancaire, tous leurs milliards seront gelés.

il faut debarrasser dabors la maison de tous ces voleurs et ensuite parler de vote

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