Mouloud Mammeri, seul contre l'empire...

Mouloud Mammeri.
Mouloud Mammeri.

Il est des hommes qui entrent dans l'histoire par la petite porte de l'infamie. Ils sont légions. Ils pérorent, complotent, assassinent, manœuvrent et nous gouvernent, mais il en est d'autres que l'Histoire accueille par sa grande porte auréolée d'honneur et de gloire. Ils pensent, construisent, instruisent et lèvent des espérances.

Par Mokrane Gacem

Mouloud Mammeri dont on commémore ces jours-ci l'anniversaire de son décès est sans conteste de ceux-là. Sa vie durant, il consacra toute son énergie à sauver de l'oubli et d'une mise à mort programmée, une langue, une culture... que dis-je? un peuple, une civilisation ! La tâche fut titanesque pour un seul homme. Elle exigea un dur labeur, du courage, une persévérance à toutes épreuves et une érudition confirmée.

S'écartant des chemins aléatoires et bruyants de la politique, il emprunta la voie difficile mais assurée et sereine des géants : celle du savoir et de la pédagogie.

Nourrit au bon sens paysan bien de chez nous, il fit le tour des idées et choisit de s'établir dans une pensée humaniste qui ne trahit jamais l'Humain et en aucun cas ne l'éloigne de sa part d'engagement quand le devoir l'appelle au cœur de la tourmente. Du combat contre le fascisme à celui de la guerre de libération, Mouloud Mammeri assuma dignement son rôle.

Homme de paix, ses domaines de prédilection étaient chevillés à sa fibre artistique et à ses racines. C'est là, qu'il trempa sa plume pour nous offrir tantôt des prairies de poésies, tantôt nous restituer une part de nous-mêmes enfouie sous des siècles de mystifications et d'arbitraires.

Bien que j'eus moult occasions de l'approcher, je n'ai pas eu l'honneur de le côtoyer. Un regret que je confesse volontiers. J'aurai tant appris auprès de cet érudit au sens entier du terme (Poète, romancier, dramaturge, anthropologue, féru de grec, de latin...) mon ignorance serait largement moins étendue qu'elle ne l'est aujourd'hui. Auprès de ce Maître fondateur incontesté et incontestable du tamazyght moderne, j'aurai bu à la source de sa science qui raviva le corps malade de Tamazgha. Il me souvient qu'au premier jour de mon installation à Alger, une force irrésistible me poussa vers les cours de tamazight qu'il dispensait à la Fac. Trop tard ! La main de fer a frappé. Les cours supprimés. Quelle fut ma déception et ma rage !

A Ath Yenni, dans mes années de collège, il arrivait parfois, à la sortie des cours, que nous rôdions mes camarades et moi, autour de l'unique table disposée devant un petit café du coin, pour l'observer disputer quelques parties de dominos avec des gens du pays. Humble, le burnous sur les épaules, il était égal à lui-même et aux autres. Rien ne le distinguait de ses partenaires. Concentrés sur leurs jeux, les quatre protagonistes se fondaient dans une même passion comme des fruits mixés dans un entonnoir. Cette proximité charnelle qu'il avait avec les siens, quelles que soient leurs conditions sociales et leurs degrés d'instruction dévoile une grande âme et un amour certain pour sa terre et son peuple. Il les porta toute sa vie dans son cœur, dans son esprit et dans ses valises où que le menaient ses pas ou le hissait son prestige. Quand la partie finit, il saluait tout le monde et rentrait chez lui, seul et pensif, en suivant le sentier qui montait au sommet de sa colline désormais sortie de l'oubli. A cette époque nous ne savions pas encore que dans sa tête tournait une usine où s'assemblaient les pièces d'un puzzle reconstituant le socle d'une identité en perdition.

Intellectuel d'une authenticité lumineuse, il était doté d'une lucidité peu commune qui l'éleva au dessus de toute compromission. Il aimait sa liberté, la préservait et ne s'en départit jamais. Les foudres de ses détracteurs ne l'atteignaient pas,. Il se savait haï mais surtout craint. le processus d'émancipation qu'il a déclenché embrase aujourd'hui toute l'Afrique du nord.

Ils avaient donc raison de le craindre. Il était seul contre l'empire, Nous sommes des millions.à suivre le sillon qu'il a tracé.

M. G.

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Commentaires (5) | Réagir ?

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algerie

merci

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Kacem Madani

«Izi la yetsazi» ! Cette simple phrase était l'un des exemples de pédagogie initiée par Dda el-mouloud à la fac centrale, dans les années 70. C’est ce que me rapportais un proche, à l’époque, car je n’ai pas eu l’honneur d’assister à ses cours. Dans ma petite caboche de parvenu, je n’avais pas de temps à perdre en assistant à des cours de berbère que je pensais maîtriser dans ses moindres tournures! Je le regrette car ces cours n’ont pas duré, Boumediene avait décidé de façon unilatérale de fermer la chaire de berbère très rapidement. L’effet retour-aux-sources prenait trop d’ampleur à son goût.

J’avais côtoyé des algérois du style « elqa3 oua elba3, oua elkhalkhal m’raba3 » qui ne connaissaient pas un traitre mot de Kabyle mais qui se laissaient envahir par un engouement indescriptible par rapport à l’apprentissage du berbère tel que dispensé par Dda el-mouloud ! A tel point que l’amphi de la fac centrale était quasiment archicomble à chaque séance, bien que les cours étaient insérés entre 12h et 14h, à l’heure de la cohue au resto-U ! Il faut croire que remplir la panse n’était pas notre priorité, à l’époque.

On ne peut malheureusement pas refaire l’histoire, mais la poussée islamiste aurait pu être stoppée net en ces périodes de révolutions tous azimuts! Boumediène et Bouteflika l’ont pensé, concocté et mis en route autrement, car ces révolutions qui faisaient naître en nous des fougues et des enthousiasmes sans limites ont été toutes canalisées vers un attracteur unique vorace, celui des « tabet yada abi lahabi » et autres « kalhou oua allahou ahadou ouellahou»! Ali Belhadj en est la preuve géante et pétillante!

Mais nom de Dieu comment est-ce possible tant de conneries humaines au pays de Slimane Azem, de Kateb Yacine et d’Albert Camus??

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