La loi de la reine rouge

La mauvaise santé du président met en danger les institutions du pays.
La mauvaise santé du président met en danger les institutions du pays.

Dans le conte de Lewis Carroll, "Alice à travers le miroir", la Reine Rouge lance à la fillette : "Il faut courir aussi vite que possible pour rester à la même place." Ce conseil, affirme la revue "Science et Vie", n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd pour les spécialistes de l’évolution des espèces animales.

En étudiant les mammifères qui traînent, ils ont remarqué qu’ils disparaissent plus vite que les autres. Quant à ceux qui courent vite, ils ont tendance à devenir envahisseurs. L’homme, ce roi des mammifères ne déroge pas à la règle, à cette sélection darwinienne. Que dire de ceux qui ne marchent même pas, irrémédiablement immobilisés. On arrive fatalement au monde arabe et à sa surprenante mobilité «printanière» qui inaugure l’actualité et la clôture avec la course au sang versé et ses indéboulonnables sultans en djellaba ou costume. Un ancien responsable du FLN a dit : "Au bord du précipice, on a fait un pas en avant." Le mouvement n’est pas si innocent que cela. Si le peuple algérien existait, était sondé, il dirait que l’immobilité d’avant 1988 c’était mieux. On n’avait pas de belles voitures, on n’était pas gavé d’aliments chimiques, ni de télés et journaux soporifiques, mais on dormait mieux et malgré les frustrations, il nous arrivait de faire des projets d’avenir. D’après un sondage, à la question : "Où et en quel siècle vous auriez aimés vivre ?" une majorité d’Européens avaient répondu en Angleterre au 17e siècle. Ces êtres instruits libres intelligents veulent laisser tomber tous les bienfaits de la modernité et revenir à une vie où la nature dominait l’être humain. Si cette question a été posée aux Algériens et d’après le canevas actuel, une majorité aurait répondu à la Mecque au temps du Prophète, une minorité d’irréductibles choisirait l’ère de Massinissa, une autre, plus pratique, à l’aube de l’Indépendance de l’autre côté de la frontière afin de profiter du butin d’une guerre qu’ils n’ont pas faite, sans oublier ceux à la page qui préfèrent l’âge d’or des émirs repentis. Mais comme personne ne sait ce que les Algériens désirent, passons. On peut tout de même affirmer qu’ils veulent bouger vu le nombre de marches empêchées, avortées.

On dit que l’Empire ottoman a raté la Renaissance parce que trop empêtré dans ses problèmes de harems et de janissaires. Aujourd’hui la Turquie d’Erdogan a pris ses distances avec celle d’Atatürk qui avait renoncé à celle du sultan Souleymane, à défaut d’envahir l’Europe, le soldat turc se suicide, un tous les 3 jours (1). Pour remonter le moral de ses troupes, Erdogan remet à la mode le voile qu’Atatürk a interdit, le même scénario s’était produit en Iran avec Khomeiny et le shah. On a reproché au richissime sultan de Brunei de jouer les cigales avec des réserves pétrolières en voie d’épuisement et sa collection de voitures de luxe (130 Rolls, 367 Ferrari), son harem de maîtresses occidentales etc. Il réplique en appliquant la charia, la lapidation en tête. La religion des pauvres au secours du trône. Dans son livre Le Sujet et le Mamelouk, Mohamed Ennaji relate comment le grand Haroun el Rachid accueillit un groupe de poètes venus pour le louer et chanter ses hauts faits : "L’heure tant attendue enfin arrivée, ordre est donné de les introduire. Mais les premiers pas ne se font pas sans désagréments. L’un d’entre eux rapporte à ce propos : "Le calife venait de trancher des gorges à l’instant même. Nous avons marché jusqu’à lui en évitant les flaques de sang !"… Une telle entrée, alors que le sang coule et qu’il faille au visiteur l’enjamber, ajoute à la "hayba" (crainte) du roi et à sa légende de tout-puissant". Un autre calife qui s’apprêtait à recevoir une délégation d’Égypte ordonne à son chambellan : "Veillez à l’entrée des membres de la délégation. Bousculez-les ! Troublez-les autant que vous pouvez ! Chacun d’entre eux en arrivant à moi doit se croire perdu." Ils ont tellement été traumatisés que l’un d’eux a qualifié le monarque d’Envoyé de Dieu. Avant même l’invention des stratégies de la manipulation, les Omeyyades avaient mis au point le rituel de déstabilisation de la dépersonnalisation de la mise à mort de l’individu : « l’homme accède au roi, la poitrine remplie de frayeur et le cœur poltron, même lorsqu’il est reçu en vue d’être honoré, anobli, comblé de bienfaits et destiné à une haute charge.»Ennaji raconte que souvent les gens prenaient avec eux leur linceul avant d’être introduit chez le sultan. Or, il faut reconnaitre que cette terreur est payante même chez l’esclave évolué. À l’unanimité, les poètes, les génies arabes ont encensé leurs sultans. Ibn -Khaldoun en parlant d’Haroun el Rachid évoquait son sang royal sa lignée prophétique qui le mettaient au-dessus de l’erreur, du commun des mortels. Le poète Abou al-Atâhiya offrant au calife al-Mansour des chaussures "regretta de n’avoir pu coudre sa propre joue à la semelle afin que celui-ci marchât sur elle vers la gloire." Zamakhchari donne une idée de la colère de Dieu en la comparant à celle du roi : "C’est-à-dire la vengeance et le châtiment, ainsi que procède le roi lorsqu’il s’emporte contre l’un de ses sujets." C’est dit, dans l’imagination populaire : Dieu est au ciel et le sultan est sur terre. Des siècles ont passé et le monde arabe a changé de look mais l’élément maître-esclave reste le pivot, toute sa survie repose sur ce statuquo. "…Quand on aborde le thème de la domination de l’homme par l’homme s’imposent plus dans le monde arabe, où les mystères du despotisme s’enveloppent encore d’une aura frissonnante et sacrée. La croyance en Dieu y sert, plus ou moins explicitement, de contrepoint, voire de support à l’allégeance au chef." (1) Récemment sur le plateau de la télé privée et antirégime Al Magharibia qui émet de Londres, un expert et opposant explique pourquoi il est contre un quatrième mandat de Bouteflika : "…je lui donnerai volontiers ma voix pour un 5e, 6e, 7e,…, mais sa mauvaise santé met en danger les institutions du pays !" Que dire d’un opposant qui n’est pas expert domicilié à Algérie et s’exprimant sur le plateau d’une télé algéro-algérienne ?

En définitive, on arrive à la conclusion que le seul rival fiable du Raïs c’est la santé du Raïs. Tant qu’elle durera, il durera. Le grand poète Al-Farazdaq ne "voyait dans la société arabe que deux pôles bien distincts, les puissants et les serviles, le roi est "celui chez qui les gens ne parlent pas." Les choses n’ont pas évolué, quand on veut parler, on ne sait plus parler on a peur de parler ou bien personne ne nous écoute. Certes l’Islam a eu du mal à conquérir le pays des Amazighs contrairement à l’Égypte et à la Syrie, mais sa victoire fut totale. Au pays de Saint-Augustin aucun chrétien n’a survécu. L’élève berbère a dépassé le maître arabe dans la voie d’Allah sans accéder à une quelconque reconnaissance. Seule la tribu des Qorayches fabrique les seigneurs. Cette frustration a amplifié les divisions des Hommes libres et des convertis issus des grandes civilisations. Aujourd’hui, nos dominants se réclament de cette ascendance si fructueuse et la Kabylie, rescapée d’une trahison incestueuse ancestrale, n’a que les agitateurs qu’elle mérite. En France, la Bretagne a fait revivre son bonnet rouge qu’elle a inventé au 13e siècle pour protester contre un impôt. En Inde, on proteste contre la corruption, le viol, en Thaïlande contre la loi des repentis, en France contre l’énième impôt et le mariage pour tous, en Grèce contre la politique d’austérité, l’assassinat d’un militant, de deux au maximum…Chez les Arabes, quand on proteste, c’est les partisans d’un calife contre les partisans d’un autre calife en aiguisant les longs couteaux. Avant l’interdiction des coups à l’école et avec l’avènement de la psychologie, une expérience a été faite sur les enfants. On a formé deux groupes l’un avec un enseignant usant de l’ancienne méthode qui ne badine pas avec les punitions et l’autre, moderne avec moult psychologies. Après un mois, les chercheurs remarquent que les premiers cobayes menés à la baguette étaient violents divisés avec des résultats désastreux contrairement aux autres où régnait une atmosphère zen et bien studieuse. Le monde arabo-musulman a été dressé pour obéir à Néron divinisé depuis l’an 0, un diable remplaçant de Dieu sur terre, ce dressage infernal a fini par détraquer nos gènes.

En Algérie, malgré le calme officiel, la violence est omniprésente en vase clos de la victime à la victime, la sécurité ne tient qu’à la paille du gourbi. Nous avons intériorisé notre infériorité, c’est fichu. Les Tunisiens pourtant bien placés pour sortir de la malédiction, se retrouvent dans une position défensive à l’ère de l’après-Ben Ali. Idem pour les Egyptiens, la facture du non au système Moubarak s’alourdit de jour en jour, quant aux Turcs, on islamise en douceur la laïcité. Pour les Iraniens, le problème est d’abord la malchance d’être chiite face à une Amérique fidèle à son amour sunnite. Sans parler des pays arabo-arabes qui préfèrent bouger en déstabilisant l’Ouma qui leur échappe. Historiquement la démocratie est fille de la laïcité. Jules Ferry parlant de l’éducation de la femme française affirme : elle appartiendra à l’école ou à l’église. Les dirigeants du monde arabe ont pensé à leur printemps avant l’heure en faisant de l’école une mosquée et de la mosquée une école pour maintenir leur essence "divine" jusqu’à la fin quitte à faire exploser toute la planète. Or le problème c’est qu’ils ont fabriqué leur propre mosquée et ont copié l’école de Jules Ferry en coquille vide. Maintenant, notre hantise ce n’est pas que notre enfant soit expulsé de l’école mais qu’il soit kidnappé à la porte de l’école.

Maintenant, notre hantise ce n’est pas que le président brique un énième mandat, mais le chaos qui se déclenche à chaque fois que le sacre est effleuré. Alors, la loi de la Reine Rouge nous fait peur, le risque est abyssal. Le philosophe Fukuyama dans La fin de l’histoire et le dernier homme écrit : "Notre propre expérience nous a apparemment enseigné que le futur cache des diableries nouvelles et inimaginables plus certainement qu’autre chose, depuis les dictatures fanatiques et les génocides sanglants jusqu’à la banalisation de la vie par le consumérisme moderne et que les désastres sans précédent nous attendent, depuis l’hiver nucléaire jusqu’au réchauffement général de la planète". Ce politologue économiste philosophe américain d’origine japonaise assure que le 20e siècle a fait des Occidentaux des pessimistes, c'est-à-dire que seul ce siècle a failli contrairement à tous nos siècles arabes. Notre avenir s’annonce au mieux pareil au présent et notre présent se révèle pire que le passé. "L’histoire du monde arabe ploie sous le poids d’événements lourds qui en bouchent l’horizon. La mémoire regorge de sacré, de personnages mythifiés et d’autres maudits... En gagnant en hauteur, le lien d’autorité, originellement terrestre, mit désormais en relation les extrêmes : la toute-puissance et l’insignifiance." (2) Le pétrole a rendu l’esclave inutile, "expulsable", "tuable" à volonté. Nous sommes de plus en plus insignifiants pendant que la toute-puissance s’élève vers le ciel en multipliant les remparts blindés. Avant au moins la porte du sultan était identifiable, pouvait s’entrouvrir et le regard de la victime croiser celui de son bourreau.

Mimi Massiva

(1) France 24

(2) Régis Debray (Mohamed Ennaji, Le Sujet et le Mamelouk)

(3) Mohamed Ennaji (Le Sujet et le Mamelouk)

Plus d'articles de : Forums

Commentaires (7) | Réagir ?

avatar
Bachir ARIOUAT

Il semblerait que ce Monsieur, a pour lecture, le chant des alouettes arabes et celles des gazelles de l'Asie, comme tout nos compatriotes qui se considère cultivé, parce qu'ils ne connaissent que quelques bribes du coran, où ils écoutent les prêches des Imams dans les mosquées.

Ces derniers, les connaissances qu'ils ont, sont celles des Hadith et du coran, ils ne connaissent rien dans l'histoire des arabes, moins encore des autres religions, hypocrites qu'ils sont ils sont dans la négation et le mensonge toutes leurs vies.

Le peuple ignares, à qui ont choisi la lecture des livres, pour qu'il devient docile comme des agneaux, en plus feignants ils ne se donnent pas la peine de prendre un livre d'histoire où de sciences, ceux qui sortent de ces méthodes, dès qu'ils ont la possibilité de fuir, ils s'en vont, c'est ainsi que l'Algérie se retrouve hantée par les paroles de l'au delà, de l'enfer ou du paradis, au grès de l'humeur et l'humour du moment et du vent.

avatar
Guel Dring

@ Mr Khelaf Hellal : Le sentiment religieux "défini" par Joseph Joubert ne peut en aucun cas être cité comme référence, puisque dépendant du courant idéologique qui le crée. Un Chrétien ne peut en aucun cas traduire ce sentiment - que ressent autant que lui un musulman - dans la mesure où il croit en Jésus comme "fils de Dieu". C'est pareil pour les Jésuites et autres croyances. La conclusion en est tout à fait le contraire de ce que conçoit un musulman, qui considère que les hommes étant tous été créés, personne n'a de faveurs plus qu'un autre que ce que Dieu lui aura accordé. Et c'est là le péché qui reste impardonnable :

4/48. "Certes Allah ne pardonne pas qu'on Lui donne quelqu'associé. A part cela, Il pardonne à qui Il veut. Mais quiconque donne à Allah quelqu'associé commet un énorme péché. "

C'est le caractère type du musulman qui ne se "plie" pas devant une autre personne non pas par orgueil mais par conviction. De même, le musulman qui a la responsabilité de gouverner un pays

ne peut en aucun cas abuser de son pouvoir. Et c'est là qu'il y a confusion. Parce qu'à voir un président assister à une prière commune de l'Aid n'est pas une garantie de son intégrité, mais une image qu'on veut faire passer, qui ressemblerait en fin de compte à une imposture.

Finalement Joseph Joubert conçoit, en tant que moraliste, que s'agenouiller devant Dieu c'est être

appelé à le faire devant le roi. Ça serait plutôt une suggestion mal cachée (de son orgueil) pour justifier un acte de dévotion à qui de droit : il y a toute une distinction entre un roi et le Roi des rois : Dieu.

visualisation: 2 / 7