L’évaluation et la qualité à l’université en question(s)

L'université algérienne est malade des nombreuses improvisations opérées.
L'université algérienne est malade des nombreuses improvisations opérées.

Vu la baisse sensible du taux de réussite au Bac 2013, l’accroissement notable du nombre de mentions supérieures à 12 et un programme moins délesté par les grèves ou ce fameux seuil dit «3ataba», le tout comparé aux sessions des trois précédentes années, les enseignants universitaires seraient rassurés, quant aux acquis de leurs nouveaux étudiants qui devraient leur permettre de suivre une formation de meilleure qualité. L’université aura ainsi, un flux estudiantin moins aigu que prévu, donc plus gérable. La thématique de la qualité, succinctement évoquée dans cette contribution, et ayant déjà fait l’objet de maintes réflexions, constitue un prolongement à l’article de A. Derbala (1).

Par ailleurs, neuf ans après la mise en place de la réforme «LMD» par les établissements d’enseignement supérieur, la première réflexion nationale devant déboucher sur des actions concrètes, en rapport avec l’évaluation et la qualité, date à notre connaissance, d’au moins six années, puisqu’un colloque international, tenu à Alger (2) avait débattu de thèmes sur l’Assurance qualité, l’évaluation et la gouvernance universitaires, une rencontre où il a été très probablement élaboré, moult recommandations. Plus récemment, en octobre 2010, l’agence APS, rapporta, lors d’un entretien accordé à des responsables que «la rentrée universitaire aura pour slogan "la qualité des enseignements" et ceci, à travers le coup d'envoi de l'opération d'évaluation nationale des universités pour "garantir un enseignement de haut niveau qui réponde à des normes internationales".»

Avant de nous interroger sur un état des lieux en Algérie, reprenons brièvement, pour mieux cadrer la problématique, quelques aspects gravitant autour de la notion de qualité (3). Aujourd’hui, la qualité de tout service, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, est un concept mesurable, donc quantitatif. Soulignons que la première série des normes ISO (4) pour les services, date de 1979. Selon une définition, l’assurance qualité dans l’enseignement représente «les moyens par lesquels un établissement peut garantir avec confiance et certitude, que les normes et la qualité de l’enseignement qu’il dispense soient maintenues et améliorées».

La démarche qualité obéit à des procédures précises telles l’audit, l’accréditation et la certification. Les critères d’évaluation sont aussi bien internes qu’externes à l’organisme de formation. Conformément à l’article 11 de la déclaration mondiale de l’ONU, nous sommes amenés à évaluer tous les éléments concourant à la qualité de la formation dont les enseignements, les programmes, la recherche, les ressources humaines, les infrastructures, les équipements ... L’évaluation est multiforme, régulière, faite avec le consentement des acteurs en présence (étudiants, enseignants, personnel technique et administratif...), les procédures d’évaluation étant évaluées à leur tour afin d’améliorer les processus itératifs (5). En outre, convenant que les libertés académiques ont une influence majeure sur la gestion de la qualité, l’Unesco (6) établissait en 2005 des lignes directrices destinées à toutes les parties prenantes de l’enseignement supérieur, des pays de l’OCDE ou ceux du processus de Bologne. Précisons aussi, que la publication du rapport de Jacques Attali et ses collaborateurs, un document (7) à l’origine du système LMD, préconise une évaluation systématique, efficace et transparente des établissements et des enseignants, puis relève que la réussite du projet est une mise en œuvre entre les Etats, les institutions et les partenaires (syndicats, enseignants, personnel technique et administratif, étudiants..).A cet effet, la rencontre de Salamanque en mars 2001 avait réuni 300 institutions européennes en créant l’EUA (European Universities Association) et note que «l’autonomie universitaire est une condition nécessaire» pour asseoir une réforme et « l’Assurance Qualité est la clé du succès ». Des comités de suivi rassemblant des syndicats d’enseignants, d’étudiants et des représentants des établissements ont été mis en place pour «étudier l’application des textes, conduire des réflexions sur divers domaines, analyser les démarches d’innovation et assurer le bilan des procédures d’évaluation».

Débarquons maintenant dans nos universités, pour tenter de voir ce qu’il en est ressorti, en matière de différentes évaluations, neuf années après la mise en place du LMD, suivi du colloque international d’Alger de 2007, ses recommandations, et après l’annonce des responsables du secteur, en 2010, tout ceci en vertu de ce qui a été évoqué plus haut, comme procédures, outils, recommandations, opérations et lignes directrices. Soulignons, pour l’illustration, qu’un sondage est l’une des techniques d’exploration, une méthode statistique d'analyse (8) qui fait partie des outils d’évaluation, ou simplement dit, un questionnaire. Il est alors plus aisé et plus direct, de faire un tour d’horizon de la question, sous forme de questions.

Alors a-t-on procédé à une évaluation des démarches qualité, dans nos universités ? Ceux qui décident ont-t-ils lancé un sondage, par évaluation externe, pour trouver une réponse à la question précédente ? En supposant maintenant, que nos gestionnaires surplombent les diverses étapes, dotés qu’ils seraient, des outils s’y afférents, qu’en est-il des enseignants, quant à leur implication ? Comment et pourquoi ? A-t-on suffisamment sensibilisé, informé, formé, mobilisé, associé les divers partenaires ? Quand cela, comment et pourquoi ? A-t-on instauré un système continu d’évaluation interne ? Quand ça, sinon pourquoi ? La communauté universitaire a-t-elle seulement une idée, même vague, de ces notions qu’on appelle les processus d’amélioration continue, l’accréditation, la certification, les outils statistiques, l’analyse des données et autres ? Sinon pourquoi ? Où en est-on au niveau de la Traçabilité des multiples données ? Comment et pourquoi ? Où en est-on pour l’évaluation des infrastructures et des ressources humaines ? Comment et pourquoi ? Où en est la bonne gouvernance qui exige notamment, une formation adéquate en management, de nos responsables, en dehors de leurs compétences scientifiques respectives ? Comment cela ? Et qu’est-il advenu des recommandations du séminaire international de mai 2007 ? Comment ça ? D’autre part, peut-on parler de qualité à l’université si nous n’appliquons pas une démarche similaire au niveau des paliers de l’éducation nationale ? Et pourquoi pas ?

En somme, qui, quoi, où quand, comment, combien, pourquoi ? C’est-à-dire autant de questions, qui devraient avoir, chacune une réponse. Soulignons que les qualiticiens n’ignorent pas que les diverses techniques utilisées pour toute évaluation, donc pour toute projection, sont des outils d’aide à la décision. La rhétorique a dès lors, très peu de place, face aux graphes, distributions, diagrammes, gaussiennes, et autres entités mathématiques tant éloquentes. D’autre part, les coûts liés au démarrage de la démarche qualité sont évidemment significatifs et nécessitent une ressource humaine compétente et formée pour les besoins de la démarche, bien que l’on soit unanime à affirmer, qu’évaluée à moyen terme, c’est la non-qualité qui coûte les yeux de la tête. A cet effet il n’y a qu’à voir les dégâts de notre système éducatif, en dépit d’importants moyens engagés. Pourquoi cela ? Il s’agirait aussi, de tenir le langage de la vérité. Et à propos de la communication institutionnelle d’une manière générale, de la démarche qualité à l’université en particulier, jetons un coup d’œil sur le site web du ministère (9), celui qui gère nos universités, hauts lieux du Savoir.

Dirigeons nous vers le lien consacré à l’assurance qualité. Nous ne trouverons qu’une seule page. Squelettique, orpheline. Car, rien de plus, dans cette unique page, qu’ un étalage de la définition de l’assurance qualité (fournie ci haut), tel un smoking exposé dans une vitrine, une définition que nous pouvons retrouver dans une flopée de sites consacrés à la question, suivie de deux liens se rapportant, l’un à des principes, l’autre aux attentes. Si vous cliquez sur ces derniers, vous allez alors, être téléporté vers une université du pays qui vous apprendra qu’ elle a tenu un séminaire sur l’assurance qualité, rehaussé par la présence de l’ ancien ministre, avec des photos comme preuves à l’appui du déroulement de l’évènement ; une quantité impressionnante de photos, et très peu de documents instructifs. Allez y comprendre quelque chose. Mais il n’y a pas photo !

Bref, pour revenir à nos questions, les partenaires sont-ils «mis au parfum» ? Si c’est top secret, il faut le dire, la famille universitaire comprendra. Autrement, elle ne pourra pas deviner. Quant au «coup d’envoi de l'opération d'évaluation nationale des établissements universitaires» selon les termes utilisés par les responsables de la tutelle, début octobre 2010, donc trois années ficelées, le coup d’envoi est apparemment parti, mais, depuis cette date, l’envoi est suspendu, car nous n’avons encore rien vu, rien entendu. Nous avions seulement lu, comme tout le monde, en 2010, que la rentrée universitaire 2010, aura un slogan.

Au final, l’adhésion et la mobilisation de la communauté universitaire, avec ses différents acteurs, n’est concevable, que lorsque tout projet est largement communiqué, puis défendu par une argumentation concise, comme un plus un font deux, pour rassurer les universitaires. L’écrasante majorité de la famille universitaire déçue (faisons un sondage, externe celui-là, sinon pourquoi ?) notamment, par les évidents effets d’annonce qui ne durent que le temps de l’annonce, veut bien croire, que l’on ne nous refile pas de la littérature, faite de slogans creux, de mots pompeux, de discours verbeux. 

Rachid Brahmi

(1) Ali Derbala. «Le LMD : un nivellement vers le bas dans le contexte algérien» El Watan 18 septembre 2013

(2) Colloque international : Le système LMD entre implémentation et projection. Alger, mai 2007.

(3) Cruchant, L. La qualité Paris, PUF 1998.

(4) Site web ISO

(5) S Shiba, A Graham et D Walden In édition Dunod 1997 : 4 révolutions du management par la qualité totale.

(6) http://www.aeqes.be/documents/guidelines_F.indd.pdf

(7) http://media.education.gouv.fr/file/94/9/5949.pdf

(8) André, G Laurent. La méthode statistique Paris PUF 1968

(9) Le site mesrs.dz a été consulté durant le mois d’aout écoulé, puis les trois premières semaines de septembre. Rien de changé, le webmaster semble être encore en congé.

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Commentaires (5) | Réagir ?

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dahmane lardjane

il est reconnu qu’à l’embauche de nouveaux enseignants, les départements ou facultés utilisent peu les critères et les moyens appropriés pour évaluer les habiletés d’enseignement des candidats. De plus, pour la constitution du dossier académique à l’embauche, il n’est nullement mentionné une recommandation aux nouveaux enseignants de se procurer une certification ou une formation à la pédagogie témoignant de leurs habilités à l’enseignement. La même remarque est valable concernant la recommandation d'une formation continue à la pédagogie universitaire pour les enseignants en exercice et notamment à la pratique de l’enseignement.

De plus, il n’y a aucune pondération pour la formation à la pédagogie dans le dossier académique. Ceci n’est pas stimulant pour les nouveaux candidats à l’enseignement supérieur à s’engager dans une formation continue en matière de pédagogie. En effet, le maximum des points attribués pour le dossier académique lors de l’embauche d’un enseignant est centré sur la participation à des séminaires. Ceci favorise et valorise la qualité de chercheur et non pas celle de l’enseignant. Le nombre d’années d’enseignement représente une pondération quantitative importante du dossier académique à l’embauche, et ceci ne nous renseigne ni sur les habilités ni sur la qualité pédagogique des enseignements.

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dahmane lardjane

Pour faire de nos universités des lieux de formations crédible et innovant, un point est souvent oublié : la pédagogie. Or c'est par la pédagogie que fonctionne l'université en tant qu'instance de transmission des connaissances et du savoir. En effet, afin de mieux répondre aux besoins actuels des sociétés de savoirs, plusieurs facultés et écoles des différentes disciplines, en Algérie et ailleurs dans le monde, entreprennent actuellement de nécessaires réformes de leurs cursus d'études et une valorisation des enseignements. Dans ce contexte, il est important, voire essentiel, de suivre une démarche cohérente pour élaborer ces programmes disciplinaires selon les normes des sciences de l'éducation et de renfoncer les pratiques enseignantes par des démarches d'apprentissage à la pédagogie universitaire.

Il est important de signaler d'emblée que ce n'est pas l'expertise ou les connaissances disciplinaires de l'enseignant qui sont mises en cause, mais les processus d'enseignement en termes de stratégies et d'encadrements pédagogique des apprentissages. La plupart des enseignants enseignent selon un modèle traditionnel transmissif et à partir de leur contenu ou de leur expertise disciplinaire en absence de support pédagogique adéquat. De plus, l'acte d'enseigner est plus au moins planifié, voir improvisé et parfois fait appel au bon sens. Il arrive également que le professeur enseigne par intuition.

Par ailleurs, la plupart des enseignants sont motivés afin de procurer des apprentissages de qualité à leurs étudiants, mais ils n'utilisent pas les bons moyens pour y parvenir. Par moyens, on fait allusion surtout aux soutiens didactiques et aux conseils pédagogiques pertinents en vue d'améliorer leur enseignement. En effet, le premier constat est l'absence de formation pédagogique aux enseignants pour améliorer leur processus d'enseignement au regard de l'évolution rapide des connaissances dans le domaine de l'éducation.

Pour des apprentissages de qualité centrés sur le développement de compétences chez les étudiants, les enseignants auront besoin d'une formation à la pédagogie ciblée et d'environnements d'apprentissage propices à leur développement intellectuel et professionnel. De plus, les enseignants auront besoin de réseau de partage de leurs vécus d'enseignants et de leurs expériences professionnelles en milieu universitaire. En effet, selon Elbe «enseigner et apprendre sont des activités interchangeables, on ne peut enseigner sans apprendre et on ne peut apprendre sans enseigner»

De plus, lorsqu'un universitaire commence à enseigner à l'université, il est en général étudiant au doctorat où il vient de finir une thèse ou un post-doctorat sur un sujet extrêmement pointu. Une fois qu'il obtient un poste d'enseignant, il s'agit alors de prendre en charge un ou plusieurs enseignements qui sortent de sa spécialité stricte. À vrai dire, il est même plutôt rare d'enseigner exactement dans son sujet de thèse. Et c'est là que les problématiques de l'acte d'enseigner se posent sérieusement.

Par ailleurs, les enseignants font face à plusieurs défis auxquels ils sont appelés à s'adapter tels que le renouvèlement rapide des connaissances, la problématique linguistique, l'intrusion des nouvelles technologies dans l'enseignement, les caractéristiques des étudiants, leur responsabilité administrative et de chercheur, leur contexte socioprofessionnel et finalement leur responsabilité socioculturelle. «Comment font-ils pour s'adapter à ces environnements», se demandait Ramdsen.

L'apprentissage à la pratique de l'enseignement supérieur représente le premier chainon pédagogique dont un enseignant universitaire aura besoin pour développer les compétences enseignantes et procurer des pratiques pédagogiques centrées sur les étudiants et les apprentissages. En effet, «personne ne commence par bien enseigner. Enseigner à l'université ça s'apprend» Herbert Kohl.

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