La Pacification, le livre noir de six années de guerre en Algérie

La couverture du livre.
La couverture du livre.

Initialement paru en 1960 à Lausanne, au moment où la guerre d’Algérie battait son plein, ce livre de Hafid Keramane fut immédiatement interdit de diffusion en France.

Dévastateur pour le colonialisme français, il dénonçait, preuves irréfutables à l’appui, l’horreur de la répression et des exactions commises par l’armée française à l’encontre du peuple algérien alors en lutte pour son indépendance. Tous les faits relatés dans l’ouvrage avaient soigneusement été vérifiés et authentifiés afin qu’aucun d’entre eux n’affecte la crédibilité des autres. Le témoignage est accablant pour ce qui était alors présenté comme une pacification. Deux années auparavant, le témoignage d’Henri Alleg – La Question – puis La Gangrène montrant que la torture avait envahi la France et ses commissariats, avaient montré la réalité de ce qui faisait déjà système. L’atrocité de la répression devait être connue et le faire savoir devenait un acte de résistance à la guerre. Ce livre diffusé en sous-mains en France connut malgré tout un retentissement international et contribua à affaiblir les positions onusiennes et diplomatiques du colonialisme français.

Relu plus de 50 ans après il conserve toute sa force et sa capacité d’indignation. Car, au-delà de la torture, ce qu’il relate c’est les bombardements, les villages incendiés, les exécutions sommaires, les enfumades, les corvées de bois, les camps de regroupements, … bref, toute l’horreur d’une guerre totale qui n’osait dire son nom et à laquelle les "anciens" d’Indochine apportèrent leur "savoir" et leur expérience. Hélas aussi, une guerre où l’on envoya plus d’un million de jeunes Français, appelés ou rappelés et qui marqua toute une génération.

Republié aujourd’hui, ce livre apporte aussi beaucoup sur les conditions dans lesquelles il le fut à l’époque. Car le préfacier d’aujourd’hui n’est autre que son éditeur d’origine, Nils Andersson, vivant à l’époque à Lausanne où il animait une maison d’édition militante, La Cité. Son témoignage sur ce "front éditorial" de la résistance à la guerre d’Algérie est précieux. On comprend d’emblée que les conditions d’expressions n’ont rien à voir avec celles de l’ère d’internet et de ses s réseaux sociaux. à l’époque une saisie, une interdiction de diffusion constituaient des armes de tout pouvoir en place et présentaient une certaine efficacité pour contrer l’expression de la vérité. La censure qui touchait la presse et l’édition était efficace. Et il convenait de s’organiser pour y résister. Cette préface éclaire ce contexte et montre les liens de connivence – et non de concurrence – qui se tissèrent entre les éditions de Minuit animées par Jérôme Lindon, les éditions Maspéro complétées par leur célèbre libraire La Joie de Lire, et La Cité-éditeur à Lausanne, auxquelles je me permettrai de rajouter les éditions Feltrinelli en Italie. Un réseau éditorial militant d’opposition à la guerre d’Algérie s’est ainsi constitué. Ces livres n’auraient pu voir le jour sans ce travail décisif.

Michel Rogalski

Directeur de la revue Recherches internationales

La Pacification (Présenté par Nils Andersson)

(Les Petits matins, 2013, 317 p., 16 €)

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (0) | Réagir ?