Algérie : cinquante ans de jeunesse moribonde

Entre répression policière, harga et chômage, l'horizon des jeunes Algériens est obstrué
Entre répression policière, harga et chômage, l'horizon des jeunes Algériens est obstrué

"La jeunesse fera faire construire à l’Etat de vastes pénitenciers par les Chinois avec les moyens qu’il ne met pas à sa disposition pour rafistoler sa conscience aux abois."

Au lendemain de l’Indépendance, l’Algérie compte 9 millions d’âmes, possédant une jeunesse docile dont la majorité travaille la terre et élève du bétail ; elle est aujourd’hui au quadruple, dans une surface agricole utile diminuée de moitié, travaillée, autant que faire se peut, par les citoyens les plus vieux et les jeunes sont tumultueusement inactifs. Tandis que les métiers qui faisaient autrefois la fierté des terroirs et la principale raison de gagner sa vie dans le respect et la probité, n’existent aujourd’hui quasiment plus ; que le pubère qui se marie jadis avant avant vingt ans, de nos jours, dans la quarantaine, il tire des plans sur la comète pour voir comment frauder l’ « Emploi jeune » pour prendre femme– beaucoup de braves citoyens, plus ou moins jeunes, à l’époque des mouvances «Frères musulmans» puis FIS, frayaient dans les mosquées dans le seul objectif de se faire aider afin de contracter un mariage.

Malédiction, planification occulte ou simplement erreur et carence humaines de gestion des devenirs collectifs et individuels ? Le pays donne l’impression de s’être émancipé du joug colonial qu’expressément pour faire vivre à sa jeunesse tous les malheurs de la planète en une cinquantaine années de gouvernance sans réelle consultation populaire. Selon des estimations chiffrées et démontrées dans la vie courante, presque 10 millions d’âmes - la frange âgée de 18 à 40 ans - l’équivalent de tous les habitants de l’Algérie au 5 juillet 1962, possèdent une vie alarmante et il ne lui est proposé aucune perspective pour une deuxième tranche d’âge rassurante. Cette catégorie démographique, dans son ensemble, qui est censée être la colonne vertébrale de la nation, le levain pour le renouvellement, la chance pour les lendemains meilleurs, ou du moins, moins pénibles, eh bien, elle n’a carrément pas de statut sur le plan des besoins de l’Etat en forces vives.

Dans les années 1960 avant la nationalisation des hydrocarbures, les jeunes qui tentaient de s’expatrier ils avaient dans l’esprit d’aller en France, en Belgique ou ailleurs en Europe et dans le monde pour travailler et gagner suffisamment d’argent dans le but d’en envoyer une bonne partie des économies au bled afin d’augmenter le statut de la famille. Les plus prétentieux pensaient économiser le maximum pour revenir un jour se «rétablir» en montant une affaire de famille avec les enfants qui auraient entre temps grandis et ainsi ils n’auraient pas à affronter le mépris de l’exil comme leur père ou le frère aîné. Souvent des ressortissants s’expatrient juste le temps qu’il faille à amasser le nécessaire pour bâtir en Algérie et réunir la famille décemment autour de soi avec le confort nécessaire dont particulièrement la voiture, une commerciale de préférence pour, «au cas où», bouger avec.

Ce climat « migratoire »continue dans le même schéma jusqu’à la fermeture des frontières par Houari Boumediene qui instaure l’autorisation de sortie du territoire et élimine les Bureaux de main d’œuvre. Mais le travail que le système propose, il est artificiel et il ne remplit pas les conditions nécessaires à l’épanouissement de la société et de l’individu. Les usines qu’il se fait construire par le monde surindustrialisé ne cadrent pas du tout avec la mentalité de l’artisanat familial ou de la manufacture traditionnelle du village ou du faubourg, et le fruit du labeur fait à peine survivre la composante humaine. Beaucoup d’étudiants envoyés en Occident ramener des diplômes qualifiants pour faire fonctionner ces installations profitent de l’occasion pour ne pas revenir, ceux qui retournent déchantent rapidement par la faute du professionnalisme qui ne réussit pas prendre racine ; alors certains trafiquent l’impossible pour l’autorisation de sortie afin de repartir, d’autre, parce soutiens de famille ayant besoin de salaire permanent, ils se résignent au bricolage tout en sachant que l’avenir de l’industrie nationale n’a aucune chance de se développer.

Les plus malins parmi ceux-là rentrent dans la structure politique et gagnent des grades dans le domaine où ils exercent et dans l’échelle sociale jusqu’à ce qu’ils finissent pas se complaire dans le système qu’ils savent, maintenant qu’ils sont à l’intérieur, qu’il n’est que leurre et bluff pour le reste de la communauté. Il est paranoïaque de dire que Boumediene le savait, qu’il était le menteur en chef, le bluffeur en puissance, non, il avait une vision honorable pour l’Algérie, s’il ne se fut pas entre temps, fourvoyé par sa politique de l’arabisation tous azimuts au détriment des valeurs amazighes et de la prépondérance de la langue française en tant que vecteur de la science et de la connaissance, il voulait le développement concret pour son pays dans les principaux volets de l’émancipation car il ne doutait absolument pas du ressort de la jeunesse algérienne. Cependant il voyait la jeunesse avec l’œil du soldat maître plus que du tuteur bourré de ressentiment ; il voulait une jeunesse obéissante capable des travaux d’Hercule forte et obéissante et apte à tous les sacrifices, mais il n’a pas veillé à ce que son entourage exige la même chose pour les proches, qui ne faisaient pas le Service militaire et faisaient leur études à l’étranger afin qu’il reviennent pour renouveler le système qui ne tienne pas compte de la volonté populaire qui s’abrutit dans une langue officielle qui n’est pas la sienne et le mode de vie socialiste qui contraste avec les habitudes ancestrales où la propriété est sacrée.

En tout cas, après sa mort et l’avènement de Chadli Bendjedid, la jeunesse va connaître – et jusqu’à aujourd’hui encore – le pire des châtiments temporels. La reprise à bras-le-corps avec le monde étranger par le fameux Programme antipénurie et la suppression de l’autorisation de sortie du territoire va crescendo attiser les dépits de vivre en Algérie. Le jeune voyage et observe que les pays les plus en retard en Europe, les Etats du bloc de l’Est, sont un paradis par rapport à l’Algérie, ces pays de l’"économie planifiée" où l’entité féminine, déjà, ne constitue pas un tabou monstrueux. Lorsque, "enfin", les autorités daignent avouer que les caisses de l’Etat sont vides et que la nation, accablée par la dette, est entre les mains de ce qui se décide ailleurs, hélas la boucle est définitivement bouclée entre les populations et les factions qui régentent. La mouvance islamiste, berbériste, syndicaliste, le silence des intellectuels, est le sentiment de ras-le-bol réagissant à un système qui ne peut désormais plus rien pour le pays mais qui ne veut pas lâcher les rênes. Il se fait fomenter le "5 octobre", juste pour massacrer dans le vif de la jeunesse qui a vraiment cru son jour arriver – dont Sid-Ali Benmechiche, un journaliste responsable du reportage à l’APS, dans la force de l’âge, que j’ai vu en train de rendre l’âme touché par des balles tirées par des soldats algériens qui protégeaient le siège de la Direction générale de la sûreté nationale, en plein exercice de ses fonctions – et de laisser dire que l’Algérie fait une seconde révolution parce que des milliardaires qui n’ont rien foutu de bon pour leur pays et qui côtoient la plèbe dans le désarroi, et qui vont patienter l’ouverture démocratique les affranchissant vis-à-vis de la justice en leur blanchissant surtout leurs fortunes. Il y avait, à la veille d’octobre 88, des milliardaires avec des cartes du FLN, dans la mouvance islamiste, dans le camp berbériste et même dans le camp des fractions qui défendent le monde du travail, proche de la Centrale syndicale – que Benhamouda Abdelhak n’hésitait pas à montrer du doigt..

Seulement la jeunesse algérienne, comme toutes les jeunesses du monde, sait qu’elle ne reste pas éternellement jeune mais il faut que le sacrifice de sa jeunesse ne doit pas s’accompagner en s’accommodant par anticipation du sacrifice de la jeunesse de sa propre progéniture. Dans le concert de l’Histoire du temps présent, c’est exactement ce qui s’est passé pour la communauté algérienne qui a l’âge de l’indépendance : la génération qui a "grandi" dans ses vêtements, sa maison, sa rue, son quartier. Cette génération se battait de toutes ses forces pour un confort matériel ou moral et quand elle l’atteint elle aimait bien continuer de vivre en Algérie malgré toutes les privations "collatérales" au souci global du développement. Chaque école, chaque hôpital, chaque tronçon de route, chaque groupe d’habitations, bâti ici et là, est tributaire de lambeaux entiers arrachés à la jeunesse algérienne depuis que l’emblème national flotte aux frontons. Elle s’asphyxie aujourd’hui en même temps que ses enfants de tout ce qui s’est fait par le concours d’une seule faction pensante, décidant et agissant selon le modèle de la Régence ou du Gouvernorat étranger. Pendant la période coloniale, il y avait la jeunesse du colon, à sa disposition le paradis de l’Occident industrialisé et protégé par la force du canon, à côte d’une jeunesse indigène crevant dans l’enfer de l’asservissement, qui se fond un foyer à peine adolescente inculte pour renouveler les bras de la tâche.

C’est quoi la jeunesse en Algérie au Premier novembre du cinquantenaire ? Quel est son rôle, son poids, sa valeur, dans l’essentiel de ce que représente l’Algérie pour elle-même en tant que nation et dans les échanges à travers le reste du monde ? Sinon simplement un démoniaque retour au statut du double collège qui définit la jeunesse par rapport au côté de la rente.

Nadir Bacha

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Commentaires (5) | Réagir ?

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khelaf hellal

Je me corrige ci-dessous : " La vie sans musique serait tout simplement une erreur. " une citation du philosophe Allemand F. Nietzsche mais pas de Goethe. Excuses.

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khelaf hellal

La culture c'est le rai et la musique de cabarets et plus encore pourquoi -pas? voilà des clichés réducteurs comme celui de @ Laib Baiid qui tuent dans l'oeuf toute manisfestation culturelle dans notre pays ou qui tendent à en faire une sorte de malédiction. Toutes les jeunesses du monde entier aspirent à s'ouvrir de grands espaces de liberté et de culture, à lutter pour plus d'émancipation, de loisirs et de défoulement dans la vie , chez nous, les jeunes préférent au contraire se fixer eux-mêmes des interdits, des layadjouz à tout va, de se poser eux-mêmes dans la tête des barreaux d'enfermement idèologique et religieux qui les empêchent de s'ouvrir l'esprit (open-minded behavior) et de vibrer au diapason de ce monde extérieur qui nous entoure. "La vie sans la musique est une erreur " nous enseignait le grand philosophe et dramaturge Allemand : Goethe.

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