"L’Humanité censuré" : l'engagement pour l'Algérie chèrement payé

Le livre
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Ecrire un ouvrage sur le journal du Parti communiste français, L’Humanité au prise avec la censure pendant la guerre d’indépendance algérienne n’est pas aisé, quand on connaît la position ambigüe du PC à cette époque. Dire PC c’est l’associer systématiquement au vote des pouvoirs spéciaux au printemps 1956 qu’il a avalisés comme tous les partis français. Et parler de l’Humanité c’était synonyme du Parti communiste français, étant son organe de presse.

Coordonné par Rosa Moussaoui et Alain Ruscio, L’Humanité censuré est un ouvrage qui montre l’autre face de ce journal qui a subi les ciseaux des censeurs des différents gouvernements français de l’époque.

La première saisie du journal remonte au 24 août 1955. Les auteurs précisent que L’Humanité a été saisi 27 fois et a fait l’objet de 150 poursuites judiciaires. Les articles incriminés traitent très souvent de la torture. Les gouvernements français ne voulaient pas entendre parler de ces pratiques bestiales que son armée a pratiquées à l’échelle industrielle. "A l’origine de certaines poursuites, il y avait le préfet de police de Paris et ancien collaborateur Maurice Papon. Le même qui  dirigea les massacres du 17 octobre 1961 et qui donna l’ordre aux forces de police de charger les manifestants, métro Charonne, le 8 février 1962", écrit Rosa Moussaoui dans sa préface. 

Comme nombre de titres de gauche à l’époque, l’Huma a payé fort son engagement de vouloir témoigner sur la guerre et les exactions de l’armée française. Dans cet ouvrage publié chez le Cherche Midi, on retrouve cette lettre de Bachir Hadj Ali, SG du PCA, à Maurice Torez, dans laquelle, il conteste la responsabilité du FLN dans le massacre de Melouza. Le témoignage saisissant de Henri Alleg sur son arrestation et les innommables tortures qu’il a subies. Ou encore ce témoignage  de Jacqueline Guerroudj, épouse d’Abdelkader, autre figure communiste qui a dirigé le maquis de la liberté. Mais il y a aussi ce témoignage d’une compagne de Djamila Bouhired repris du journal marocain El Istiqlal : "Elle était de nous toutes la plus en péril, mais elle acceptait son sort avec calme… Elle était d’une grande générosité, elle offrait ses colis, distribuait ce qu’elle recevait avec une délicatesse rare (…)".

L’humanité avait ouvert ses colonnes à des témoignages sur les exactions subies par les émigrés algériens en France. Notamment ceux qui étaient tombés entre les mains des harkis à Paris. A l’image de celui recueilli par Madeleine Riffaud dans l’édition du 7 mars 1961 bien sûr passé à la trappe par la censure du préfet Papon.  Ce dernier avait à son service une unité de harki qui a particulièrement marqué les esprits des émigrés par leur violence inouïe et leur bestialité.

Dans un éditorial titré Négociation immédiate, daté du 12 septembre 1960, René Andrieu écrit : "Personne ne peut s’y tromper : les puissantes manifestations organisées hier en plein cœur des plus grandes villes d’Algérie expriment une volonté profonde. Elles montreraient, s’il en était besoin, que  ce ne sont pas seulement les combattants de l’Aurès que se dressent pour l’indépendance et la liberté, mais un peuple tout entier. (…) Plus que jamais, il importe d’exiger avec force la négociation immédiate avec le GPRA, seule voie qui peut, dans l’état actuel des choses, aboutir à la paix et empêcher le fossé de haine et de sang de se creuser un peu plus". Bien entendu, l’éditorialiste de L’Humanité, comme toutes les voix courageuses qui s’exprimaient à l’époque pour les négociations ne fut pas entendu par le président De Gaulle, qui lanternait, préférant jouer cette année-là sur d’éventuelles divisions au sein du FLN.

Cet ouvrage nous replonge à travers ces articles dans des moments de la lutte pour l’indépendance. Des espèces de focus sur des militants algériens, communistes ou nationalistes du FLN, lesquels, pris dans leur ensemble, disent  toutes les difficultés pour les journalistes d’écrire ou de témoigner avec justesse pendant les sept ans et demi qu’a duré la guerre pour l’indépendance.

En ce sens, les Algériens ont connu aussi ces pages blanches synonymes d’articles interdits de parution. Dans les années noires du terrorisme islamistes, l’imprimatur était en vigueur en Algérie. Et nombre de journaux ont vu leurs pages sorties avec des espaces blancs victimes de ces visiteurs du soir des imprimeries de l’Etat. Dans une postface, Rosa Moussaoui écrit que "tout au long de la guerre, une violente bataille politique opposa le pouvoir et la presse d’opinion favorable à l’ouverture de négociations avec le FLN ou franchement acquise à la cause de l’Algérie algérienne". L'écriture journaliste contre la censure et le silence était ainsi l'autre lutte qu'ont mené les partisans de la lutte pour l'Algérie pendant cette terrible guerre. Et ce livre illustre parfaitement encore une fois l'inanité et les limites de la censure quand un combat est juste et mérite d'être mené. Pour avoir tiré de l'oubli ces écrits, L'Humanité censuré mérite qu'on y attarde et qu'on le lise.

Kassia G.-A.
L’humanité censuré, aux éditions Cherche midi

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Atala Atlale

L’engagement d’un journaliste, d’un politique ne peut être perçu toujours d’une manière absolue. L’homme a sa force mais aussi sa faiblesse, somme toute humaine, il y a - je dirais - des similitudes à observer avec le parcours d’un pays, d’une nation, une sorte de clair–obscur à connaître à comprendre, voire à justifier. Notre révolution n’a pas livré toutes ses vérités, une partie reste à connaître, ses acteurs encore en vie se doivent de livrer ce qui est enfoui dans leur mémoire. L’article de « L’humanité censuré » évoque Djamila Bouhired, Henri Alleg, tout deux victimes de tortures durant la guerre de libération, d’autres bien évidemment sont à ajouter dans la longue liste des victimes le l’armée coloniale, je pense particulièrement à Hassiba Benbouali dont le lycée de jeunes filles de kouba porte le nom ; - cette commune m’est très chère - morte en 1957 avec le petit Omar, Ali la Pointe et un troisième dans une maison à la Casbah, dynamitée par les parachutiste français. Ces faits sont connus et rapportés par les biographes, historiens ou documents officiels. D’autres par contre ne sont pas encore accessibles ou tout simplement protégés. Une forme de censure aux raisons inavouées. Le problème de la censure m’apparaît comme un bouclier mettant à l’abri des personnages qui ont des choses à se reprocher, sinon comment faire admettre le silence sur des faits moralement répréhensibles. Les gouvernants ou partis français qui ont eu à gérer des événements politiques durant la guerre d’indépendance de l’Algérie, sur le sol français ont eu peut être leurs propres motivations ou inquiétudes devant les premiers signes d’une défaite coloniale. En conclusion j’estime que la censure n’est pas toujours une protection justifiable. Elle est même néfaste bien souvent

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Mohand ait mohand

Faut rendre hommage au PCF. même si son temps est révolu

Dire que l idée même d'un pays nommé Algérie a germé dans les rang de ce parti, Un pays de prolétaires de travailleurs en opposition a la France bourgeoise, impérialiste.

Aujourd'hui ca nous parait a tous évident que l Algérie est un pays un peuple.... Mais faut imaginer ca dans les 1910, 1930 les choses ne sont pas aussi claires. Je vois mal comment mon grand père aurait eu un éclaire de génie qu un Kabyle et un Telemcenais sont compatriotes.

Et rendre Hommage au courage de ce parti qui a ose défier les plus ultras des colons (Le pen aujord'hui est un gentil) pour que le bougnoule soit reconnus en tant qu humain déjà