Bouteflika : 13 ans de solitudes

Aux obsèques d'Ahmed Ben Bella le 13 avril 2012
Aux obsèques d'Ahmed Ben Bella le 13 avril 2012

Avec la disparition d'Ahmed Ben Bella et de Chadli Bendjedid, Abdelaziz Bouteflika boucle ses treize années de règne dans la solitude et le remords.

Abdelaziz Bouteflika est resté seul. Ceux dont il pouvait encore réclamer quelque légitimité historique se sont éteints en ce cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, l'isolant davantage plus qu'ils ne l'ont fait de leur vivant. Ahmed Ben Bella, le premier président de l’Algérie indépendante et Chadli Benjedid dont le nom restera à jamais inscrit dans l'Algérie d'Octobre 1988, demeurent le symbole de deux périodes clé de l’Algérie de la postindépendance dans laquelle Abdelaziz Bouteflika n’en a été qu’un figurant dont les rôles versatiles ne présentent à l'histoire contemporaine de l'Algérie aucun trait de visage méritant le gros plan.

Ministre des Affaires étrangères durant le règne de Houari Boumediene, son mentor, aucune action d’éclat n’a été retenue de lui dans ses nombreux déplacements à l’étranger, réduisant la diplomatie algérienne en ces années 1970, celle des grandes réformes devant lesquelles le "Plan d'action" du gouvernement Sellal paraît insignifiant malgré les contextes différents,  à des tournées touristiques de complaisance, toujours secondé par des diplomates au fait des dossiers qui lui servaient de souffleurs. Il a d’ailleurs gardé cette habitude de l’ailleurs durant la période de son premier mandat où toutes les décisions importantes qu’il a prises, la concorde civile, notamment, ont été annoncées des pays occidentaux. Absent aux heures décisives de l’Algérie post-80, il n’aura eu finalement aucun héritage de l’ascendant de Ben Bella et de Chadli Bendjedid, ni la popularité du premier, ni le courage politique du second. De leur vivant, on ne les a pas vus à ses côtés si ce n’est qu’en des circonstances protocolaires des commémorations du 5 juillet 1962 ou, rarement, du 1er Novembre 1954.

Ahmed Ben Bella dont l’assignation à résidence a été levée par Chadli Bendjedid en 1980, a contrecarré toutes les tentatives de Bouteflika, qui, n’ayant fait que libérer Abassi Madani, salué les "émirs des maquis terroristes" a nourri le vain espoir de se poser en rassembleur, de réunir autour de lui ses prédécesseurs et d’en tirer profit des cautions politiques. C’est le vide qu’il a eu autour de lui. Ahmed Ben Bella qui a rallié la contestation de Sant’ Egidio au côté de Hocine Aït Ahmed sera pour Bouteflika l’homme de l’anti-concorde nationale et Chadli Bendjedid l’homme qui a provoqué à son corps défendant l’arrêt du processus électoral de 1992 est, jusqu’à présent, pour Bouteflika, le fiel de son règne et de sa réconciliation nationale.

Ses treize années de règne n’ont pas eu les prestigieux biographes de ses prédécesseurs: Hervé Bourges pour Ben Bella, Paul Balta pour Houari Boumediene, ni même avoir les capacités et un quelque chose à retenir et à écrire pour l’histoire politique de l’Algérie comme les Mémoires maintenant posthumes de Chadli Bendjeddid. Il est loin, très loin de l’oraison funèbre qu’il a prononcée lors des obsèques de Boumediene dont il s’est réclamé le continuateur sans en avoir la poigne, l'allure et la culture.

Point de discours pour Ben Bella, décédé à 95 ans. Il s’est contenté de signer le registre de condoléances dans lequel il n’a fait qu’exprimer son affliction. "Immense est ma douleur, indicible est ma peine et Dieu est témoin que je compatis au sombre chagrin de tous ceux qui lui sont chers en Algérie et de par le monde en cette pénible épreuve",a-t-il écrit. Quel discours aurait-il tenu sans qu’il ne lui soit compromettant? Point de discours officiel aussi pour Chadli Bendjeddid, à peine un communiqué distant, au verbe teinté de démagogie, sans valeur historique à l’homme de la rupture d’Octobre 88, un écrit qui nourrit plus de polémiques par son ton froid et  apprêté, marqué par le sceau du fatalisme mortifère. Sur le registre de condoléances, il a eu ces quelques mots d'une nécrologie surfaite qui ne renvoient à aucune date historique de l'Algérie, si ce n'est que le terme de "moudjahid" est associé "aux enfants des nations arabo-musulmane": “Avec la douloureuse disparition de son ancien président, le moudjahid Chadli Bendjedid, l’Algérie perd un de ses vaillants et braves enfants qui ont honoré leurs engagements devant Dieu. Les réalisations qui jalonnent le parcours riche de cet homme qui a toujours servi son pays et son peuple en tant que moudjahid, chef militaire et président, resteront à jamais dans les cœurs et les esprits de ses compagnons, de tous les Algériens, des enfants des nations arabo-musulmanes et de tous ceux qui ont lutté et continuent de lutter à travers le monde pour la liberté. C’est une grande perte mais telle est la volonté de Dieu. C’est avec résignation devant Sa volonté que je prie Dieu Tout-Puissant d’accorder à notre défunt Sa sainte miséricorde, de l’accueillir en Son vaste paradis et d’assister sa famille en cette pénible épreuve. A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons"

Pour l’un et pour l’autre, il décrète un deuil national et organise de grandioses obsèques comme pour exprimer un vieux et lancinant remords qui le taraude de n’avoir pu ou pas eu l’aura que ces deux présidents ont conservé jusque dans leur mort et qui semblent le narguer. 

Abdelaziz Bouteflika est resté seul et cette solitude n'est pas celle d'un chef d'Etat qui, après avoir accompli sa mission, se retire, la gloire faite, pour écrire, réfléchir, non, cette solitude génère l'angoisse, une perte de repères sécurisants. D'autant qu'il n’a aucune date historique à laquelle, comme Ben Bella, Boumediene, Chadli, Zeroual, Boudiaf ont la leur, légitimer ses treize années de règne, le plus long, avec celui de Houari Boumdienne, de l'histoire politique de l'Algérie indépendante. Aucun de ses discours, de ses actes, de ses décisions ou même de ses lâchetés, n’ont été retenus.

En désespoir de cause, il fait voter une loi criminalisant l’opprobre au chef de l’Etat, se sachant n’avoir ni la stature populaire de Ben Bella, ni le coup de poing sur la table de Boumedienne, ni la formation militaire et la présence d’esprit de Chadli. On pourrait même dire qu’il a nagé à contre-courant de l’histoire faite par ses prédécesseurs dont il a trahi le parcours et la mémoire. De Ben Bella et Boumediene, il a mis en berne le sentiment nationaliste qui animait ces derniers, dérouté le projet de société mis en oeuvre par Boumediene et fait de la démission forcée de Chadli la compromission avec l’islamisme politique.

R.N

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Commentaires (9) | Réagir ?

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Khalida targui

Non monsieur RN, Bouteflika a fait certes pire mais les anciens n'ont pas fait mieux, le drame de l’Algérie c'est ses rais, ne jetez pas des fleurs ni sur Ben Bella ni Boumedienne ni Chadli, ils font partie prenante du drame seul Boudiaf a été tué avant de commencer car celui là a dit Non à la malédiction algérienne. Tous pourris! La Tunisie a eu Bourguiba et le Maroc un roi, classés mieux que nous dans tous les domaines sans pétrole ni gaz, expliquez nous le miracle.

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ali Foughali

Dhi Thmeddith bwas n'bouteflika adichrek itij fel dzaier

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