Décès de Pierre Chaulet : une vie, un combat consacrés à l'Algérie

Pierre Chaulet : le choix de l'Algérie d'Abane Ramdane.
Pierre Chaulet : le choix de l'Algérie d'Abane Ramdane.

L’ancien médecin de l'OMS et militant de la cause nationale lors de la guerre de libération, Pierre Chaulet, est décédé vendredi à l’âge de 82 ans à Alger des suites d’une longue maladie.

Dans leur livre-duo "Le choix de l’Algérie : deux voix, une mémoire" (Ed. Barzakh, 2012), dont l’écriture a été entreprise en 2007, Pierre et Claudine Chaulet, remontent le demi-siècle de leur union, de leur amour mais aussi, si intimement lié, "consubstantiel" de leur engagement disons-le, d’intellectuels engagés dans le combat pour l’indépendance de l’Algérie durant la guerre de libération nationale. Un duo qui est à l’unisson de celui de Bachir et Lucette Hadj Ali, de Jean Paul Sartre er Simone de Beauvoir, d'Aragon et Elsa Triolet.

Tandis que Pierre est issu de la troisième génération d’une famille française ayant fait souche en Algérie, celle de Claudine, son épouse, est «purement» métropolitaine. Mais leur histoire est commune. Nés au début des années mille neuf cent trente, ils vivront enfants, Claudine plus que Pierre, la montée du fascisme en Europe et sa conséquence, l’occupation nazie de la France métropolitaine qui laisse des séquelles au sein de leur famille respective. L’enfant que fut Claudine le jour de la Libération, attendant le retour d’un oncle des camps d’extermination laissera des traces indélébiles et la guide dans son choix pour la destruction du système colonial en Algérie. De même, Pierre, adolescent, dont le père a été l’un des artisans la sécurité sociale en Algérie découvre, un jour, la vraie misère, les ravages de la tuberculose dans les bidonvilles d’Alger.

Mais, ce choix pour l’Algérie passant du social au politique, n’est pas un engagement isolé. Il est porté par une prise de conscience aiguisée des idéaux de la République, de la résistance au franquisme, au fascisme, nazisme déjà si fortement ancrée dans leur milieu familial.

Au moment où, tous les deux, scellent leur destin intime et leur combat pour l’indépendance de l’Algérie vers le milieu des années 1950, lui, Algérois, elle venant de la Haute-Marne, se rencontrent fortuitement à Hydra chez André Mandouze, ancien résistant de la France libre, professeur de lettres à l’université d’Alger, pour discuter du prochain numéro de la revue Conscience Maghribine anti-colonialiste. Unis, ils se retrouvent plongés au cœur de la Guerre de libération, avec ses chefs politiques, ses textes fondateurs, ses organes de presse et ses impératifs de clandestinité.

Tandis que Pierre, au sein de la corporation hospitalo-universitaire, tente d’œuvrer à une ouverture de celle-ci sur les réalités de la médecine sociale, comme il le fait du christianisme social dans lequel sont pétries ses origines familiales, Claudine, professeur de sociologie à l’université d’Alger, armée de l’expérience tragique de ses parents soumis aux exodes durant l’occupation allemande, devient la cheville ouvrière d’actions clandestines assurant git et couvert aux "clandestins" du FLN au cœur d’Alger : Abdelhamid Mehri, Salah Louanchi et surtout Abane Ramdane qu’elle évacue d’Alger vers Blida à bord de sa 2CV, risquant même la vie de son fils Luc, alors nourrisson. Pierre, parallèlement à ses études de médecine, mène un autre front, celui du journalisme militant au sein de l’équipe rédactionnelle d’El Moudjahid clandestin avec Mhamed Yazid et Redha Malek. Ses activités pionnières en matière de médecine sociale au sein de l’université d’Alger et ses écrits, un temps signés sous un pseudonyme, n’échappent pas à la police du gouvernement Lacoste. Il est arrêté, emprisonné et expulsé en France.

Malgré les privations, le couple résiste. Retour en Algérie pour un autre procès de Pierre dans la même affaire à l’origine de son arrestation suite aux aveux de militants algériens torturés. L’année 195 accuse l’assassinat d’Abane Ramdane au Maroc officiellement déguisé par le CCE sous la mention "tombé au champ d’honneur". Sur cet épisode, Pierre, alors journaliste à El Moudjahid qui a publié cette version officielle, en consacre quelques lignes sur les critiques qui lui ont été faites à posteriori sur le fait que ni lui ni les autres rédacteurs ne sont élevés contre cette version officielle qui mettait à mal la crédibilité non seulement du journal mais aussi celle des cadres sincères de la Révolution, qui plus est, amis de la victime qui n’en ont dit mot au moment des faits. Pour Pierre, l’impératif de la destruction du système colonial l’emportait par dessus tout : "Avec le confort du recul temporel, de belles âmes journalistiques de l’Algérie indépendante se sont étonnées de notre silence d’alors (…) Mais que pouvions-nous faire, nous simples rédacteurs à El Moudjahid, devant un texte émanant de la Direction et que nous devions publier par discipline militante" Qu’à cela ne tienne, le combat continue, cette fois-ci en Tunisie où Claudine mène des actions sociales en faveur des réfugiés algériens. Pierre se familiarise au milieu de la médecine sociale.

A l’indépendance, rentrés de Tunisie, point d’euphorie. Pierre, de retour à l’hôpital Mustapha, tente d’asseoir sa vision d’une médecine sociale au profit des plus déshérités et Claudine, plus encline aux questions politiques et idéologiques, vit bien des érosions au sein des instances politiques élues dont elle fait partie. Le couple vit le coup d’Etat de Juin 65 comme une douche froide. Claudine s’intéresse, en tant que sociologue, à l’autogestion au sein de la paysannerie algérienne mais elle déchante.

Le couple vit à Alger la révolte de 1988, les premières années de la décennie noire lors de laquelle nombre de leurs collègues, ami(e)s intimes et de combat ont été assassinés. Exil en Suisse. Pierre est médecin au sein de l’OMS. Retour en Algérie pour unir leur voix testamentaire.

Dans l’entretien qu’il nous a accordé le mois dernier et réalisé chez lui à Hydra ( Alger ), Pierre considère que ce récit à deux voix "est une démarche personnelle dans le récit de nos deux itinéraires familiaux particuliers, Claudine et moi, au moment où nous entamons la dernière étape de notre vie. Raconter à nos petits-enfants ce qui a motivé notre engagement pour l’Algérie, leur décrire un monde qu’ils n’ont pas connu et qu’ils ne peuvent pas imaginer car, historiquement, notre période de vie se situe entre la fin de la période coloniale et la lutte pour l’indépendance, la période de l’indépendance et celle de la phase de l’édification nationale alors que pour les enfants d’aujourd’hui, l’édification nationale est un fait, même si elle a des imperfections."

Rachid Mokhtari

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Merci pour cet article particulièrement intéressant. Paix à l’âme de Pierre Chaulet, médecin Algérien résistant durant la guerre d'Algérie au coté du FLN. www. avis-de-deces. com/deces-celebrites/1359/Pierre-CHAULET

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anwa wiggi

Azul Fellawen,

l'Algérie vient de perdre un de ses meilleurs fils. Pierre Chaulet a consacré sa vie à servir son pays et son peuple.

La vraie Algérie doit être triste, elle vient de perdre un de ses fils, Il ne lui en reste pas beaucoup.

Mes sincères condoléances à la vraie Algérie.

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