Halim AKLI, militant laïque : "le pouvoir politique a fait de l'islam un moyen de manipulation et de diversion"

Halim AKLI, militant laïque et principal initiateur de la première rencontre internationale laïque qui s'est tenue les 10, 11 et 12 février 2007 à Paris, parle de la laïcité, de la "reconciliation nationale" et du statut de la femme dans la société algérienne, dans cette interview accordée à Riposte laïque.

Riposte Laïque : Bonjour Halim, tu es un militant algérien se réclamant de la laïcité. Peux-tu rapidement te présenter, et nous préciser comment le mot « laïcité » est compris en Algérie ?

Halim Akli : Je suis un laïque qui milite pour un ordre juste dans mon pays. Cela passera inéluctablement par le départ du pouvoir algérien, un régime sclérosé, gangrené par la corruption, l’injustice et le crime dont les dignitaires devront comparaître, un jour ou l’autre, même à titre posthume, devant une juridiction compétente pour les années de torture, de feu et de sang dont sont victimes les populations d'Algérie. Des crimes politiques sont à ce jour restés impunis. Un corps de sécurité qui tire sur des manifestants à coup de balles explosives, des terroristes ayant à leur actif des massacres collectifs, des viols et qui sont graciés contre toute éthique ou morale en bafouant la légalité internationale et les textes en vigueur mis en place par le même pouvoir… Les victimes du terrorisme islamiste qui se comptent par dizaines de milliers sont ignorées et sommées de baisser le regard en croisant leurs bourreaux dans la cage d’escalier car devenu un voisin dans le même immeuble. Une situation kafkaïenne que seuls les décideurs algériens peuvent inventer avec un sang froid criminel. Il se trouve que le président avec un bilan qui devrait le pousser droit au TPI, fantasmait sur le Prix Nobel de la paix, une paix tout simplement détruite par une politique suicidaire et aveugle dite de « réconciliation nationale » !
Pour revenir à votre question, oui, Je suis un laïque qui croit à l’indissociabilité entre paix civile-démocratie-laïcité et qui milite pour cet idéal. Les pays dits musulmans dont le mien vivent une conjoncture similaire à celle qui a précédé le mouvement des Lumières en Europe et qui se caractérise par la manifestation des prémices de la rupture entre les sphères temporelles et spirituelles. Cela passera, tôt ou tard, par la nécessaire et l’inéluctable réforme de l’islam. D’autres part, être laïque dans mon pays, au delà de l’exigence de lutte implacable contre l’intégrisme, c’est être tout simplement authentique, c’est-à-dire que la valeur de la laïcité, sans avoir eu à la nommer, fait partie intégrante, depuis des temps immémoriaux, de notre histoire et de notre sociologie. Ainsi, nos villages, organisés sous forme de micro républiques fonctionnent depuis des millénaires sur la base des principes de laïcité. Aujourd’hui encore, dans les hameaux les plus isolés, où le terme « laïcité » sous l’effet de manipulation du pouvoir et des islamistes qui ont le pouvoir des médias, lorsqu’il évoque quelque chose, renvoie souvent à son origine occidentale ou alors, à la définition qu’en avait donné Sarkozy dans son fameux discours à Saint-Jean-de-Latran devant le pape Benoît XVI et qui présentait la laïcité comme une forme de méfiance à l’égard des religions, voire un obstacle à l’expression de celles-ci… Pourtant, dans nos villages où l’imam ne fait jamais partie du comité des notables qui légifère souvent en se basant sur le droit coutumier qui va, dans bien des situations, à l’encontre des recommandations de l’islam ! la séparation entre l’islam et la gestion de la cité (le politique) est une réalité millénaire palpable au sein de la société.

C’est assez paradoxal comme situation car, contrairement à ce qui s’était produit en France, une royauté théocratique au milieu du récent millénaire, où les pouvoirs de l’Eglise et de la royauté étaient intimement liés notamment à travers le principe selon lequel le peuple devait partager le catholicisme dont le roi tirait sa légitimité divine et qui resta la règle jusqu'en 1789, cette consanguinité politique donc est totalement absente dans la république villageoise. Fidèle à sa nature rentière et populiste ; le pouvoir autiste d’Alger s’est emparé de l’islam, dès la fin des années 50, pour en faire l’un des moyens de sa politique de manipulation et de diversion.
Cela a commencé avec la liquidation physique de l’architecte du premier texte fondateur de l’Etat algérien, la plate-forme de la Soummam adopté le 20 août 1956. Celui-ci stipulait clairement ceci : « (…) c’est une (la révolution algérienne) marche en avant dans le sens historique de l’humanité et non un retour vers le féodalisme. C’est enfin la lutte pour la renaissance d’un Etat algérien sous la forme d’une République démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues ».

Riposte Laïque : Après la période sanglante des quinze dernières années, le président algérien, Bouteflika, a entrepris ce qu’il appelle une grande entreprise de réconciliation nationale. Qu’en penses-tu, et, dans les faits, comment cela se traduit-il ?

Halim Akli
: Que puis-je penser d’une politique qui accorde l’impunité à des égorgeurs, des violeurs de fillettes, des assassins barbares qui ont décidé de renvoyer l’Algérie dans le Moyen Âge sinon qu’elle est, elle-même, un crime abominable ? Comment qualifier une politique qui évite sciemment de désigner les terroristes islamistes par leur nom en mettant sur le même pied d’égalité la victime et le terroriste islamiste à travers le terme générique de « tragédie nationale » sinon qu’elle est un second assassinat pour les 200 000 victimes de la barbarie islamiste. Comment qualifier une démarche qui muselle la liberté d’expression en interdisant toute critique sous peine d’être mis au cachot en place et lieu de ceux qui, des années durant, ont égorgé et semé la terreur et qui se retrouvent comme par enchantement des enfants gâtés de la république bananière de bouteflika, sinon que la démarche est une entreprise visant à imposer l’amnésie collective.

Dans les faits, cette politique a conduit l’Algérie dans une voie dangereuse qui se caractérise par la recrudescence des actes terroristes notamment par la régénération des réseaux qui étaient à bout de souffle en 1998. Les kamikazes des derniers attentats perpétrés en Algérie sont en partie des terroristes islamistes qui ont été libérés dans le cadre de la politique dite de réconciliation de Bouteflika.

Je tiens ici à éviter tout équivoque en soulignant que la situation de 1998 n’était aucunement le fruit d’une quelconque politique dite éradicatrice du pouvoir de l’époque puisque les tractations de coulisses, dans les prisons et les maquis, entre le pouvoir et les terroristes, tendant à ramener ces derniers à "la raison", n’ont jamais cessé, exception faite à la brève parenthèse courageuse de Boudiaf qui n’avait duré, hélas, que six mois. La défaite militaire des terroristes islamistes en 1998 était le fruit de la jonction entre les efforts de la résistance citoyenne, à travers les forces politiques progressistes, les mouvements de femmes, les groupes d’autodéfense…, contre la bête immonde et la lutte des forces de sécurité de « proximité », dont les éléments sont issus des couches populaires ; précision nécessaire pour ne pas inclure dans mon propos les responsables militaires qui étaient derrières toutes les politiques de compromission, que dis-je, derrière la régression permanente qui a produit et manipuler l’islam politique dont ils tentent aujourd’hui de circonscrire la nuisance aux limites qui ne mettraient pas en péril leur propre maintient aux commandes de la rente pétrolière.

« La charte pour la paix et la réconciliation nationale » est une pure trahison d’Etat contre tous ceux ceux et toutes celles qui se sont lancés sans réserve dans la lutte antiterroriste croyant le faire pour qu’une certaine idée de l’Algérie des lumières puisse triompher enfin sur l’obscurantisme et le sous-développement incarnés par les islamistes et les tenants du pouvoir. Cela a eu pour effet direct une déception nationale profonde mais éparse, ce qui a produit une attitude étourdie au niveau de larges pans de la société. A terme, celle-ci est vidée de son énergie car privée de tous ses repères. Favorisée par la flambée des prix du baril de pétrole et l’entretien de la misère qui frappe de plein fouet les populations, la corruption a été mise à contribution dans une entreprise de mise au pas de la société et des forces syndicales, politiques et autres. L’information est filtrée systématiquement et les médias lourds, déviés de leurs prérogatives de service public, sont transformés en machine de propagande officielle. A cela s’ajoutent beaucoup d’éléments présentés ici en vrac telle que le renforcement du discours religieux, l’introduction de l’enseignement de la religion à tous les niveaux de l’école publique, introduite même, à partir de cette année, comme épreuve au baccalauréat et qui figure parmi les points que dénoncent les lycéens dans les manifestations de rue qui secouent depuis une dizaine de jours les villes d’Algérie. Des milliers de mosquées sont en construction dans des villages et quartiers qui n’en ont jamais émis le besoin quand les seules réalisations notables en dix ans de règne de bouteflika se limite à la dévastation des ressors de la société, 124 assassinats en Kabylie en 2001, un projet d’une gigantesque mosquée qui dévorera au moins 3 milliards de dollars et un énième putsh qui offrira au régime, au courant de l’année en court, une énième constitution sur mesure qu’il sera, du reste, le premier à violer.

Riposte Laïque : Penses-tu qu’aujourd’hui, en Algérie, la situation des femmes s’améliore, ou régresse ? Le port du voile et du niqab progresse-t-il ? La disparition du Code de la Famille , demandée par des associations de femmes, est-elle relayée par des organisations politiques représentatives ?

Halim Akli : Le code de l'infamie est toujours là et ce n’est certainement pas les quelques amendements qui lui sont apportés qui vont faire d’un texte rétrograde et discriminatoire, inspirée de la charia, un texte libérateur qui en fera, à son tour, des femmes algériennes des citoyennes à part entières. Dans la nouvelle forme du code de la famille, il est accordé à la femme algérienne qui représente plus de 50% de la population, le droit de choisir son tuteur ! Vous vous rendez compte ?

La polygamie est toujours permise, en croyant nécessaire de préciser que l’accord de la première épouse est requis sachant que l’autre devoir sacré de l’épouse c’est d’être obéissante à son mari, à défaut de quoi, le divorce est prononcé à la simple demande de l’époux.

La situation de la femme est pire que ce qu’elle fut dans le passé et ce, malgré les apparences trompeuses puisque la femme est aujourd’hui étudiante, médecin, avocate, ministre…etc. Seulement, la femme ministre doit soumission à son époux qui peut être illettré. L’avocate est harcelée continuellement dans la rue pour l'obliger à se voiler. Le voile et le niqab progressent et régressent en fonction des conjonctures sociopolitiques de sorte que la femme algérienne s’est vue voilée et dévoilée plusieurs fois depuis l’indépendance confisquée. Sur un autre plan, la femme qui travaille est souvent victime d’harcèlements sexuels dont seul le silence lui garantie son maintient dans son poste. A l’ombre du chômage endémique et de la misère qui range 90% de la population, la prostitution est partout et le voile est souvent le moyen non pas de voiler les cheveux mais la prostitution. Voilà à quoi est réduite aujourd’hui la condition de la femme en Algérie. Bien entendu, des femmes « debout », des vraies, existent fort heureusement mais il est m’est très pénible de constater chaque jour un peu plus leur isolement les unes des autres, voire l’une de l’autre, une façon de dire combien la démobilisation est profonde comme l’est le désenchantement qui semble hypnotiser partis politiques, tissu associatif, société civile dont l’activité est réduite au minimum.

Suis-je pessimiste ? je ne le crois pas. En brossant un tableau avec le soucis d’être le plus proche de la réalité, ce qui est politiquement incorrecte, je n’ai fait que relever un constat réaliste pour interpeller les consciences, nombreuses, afin de rompre avec leur isolement et tenter une convergence citoyenne républicaine et laïque ; seule alternative salutaire pour le pays.

Riposte Laïque : Comment as-tu réagi aux propos du président de la République , lors de son dernier séjour en Algérie, parlant d’islamophobie, et faisant le parallèle avec l’antisémitisme ?

Halim Akli : Personnellement, je n’ai pas été surpris par la confusion des genres du reste propre à la rhétorique sarkozyenne. Au-delà, c’est la raison économique qui guide le « pragmatisme » de la politique étrangère de l’Elysée et cela ne date pas d’aujourd’hui, puisque l’Algérie n’a toujours été qu’un marché énergétique pour la France et la France , l’ancienne puissance coloniale pour l’Algérie officielle.

Sinon, Il convient de souligner qu’à Alger, c’était la rencontre entre deux hommes dont l’un présente l’Eglise comme la victime de la loi de 1905 et l’autre les sanguinaires islamistes de l’arrêt du processus dit électoral de 1992 qualifié de "première violence" par Bouteflika lui-même !

Sarkozy me rappelle qu’en 1801, Bonaparte revenait sur l’idée de séparation entre l’Eglise et l’Etat lorsqu’il signa le concordat avec Rome.
Il a déjà annoncé la couleur en 2004 dans son ouvrage « La République , les religions, l’espérance » (Editions du Cerf) intervenu à la veille du centenaire de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il agit pour un islam gallican et professe un catholicisme transalpin partisan de l’extension des pouvoirs du pape. C’est aussi Sarkozy qui convoque l’islam pour pacifier les banlieues et qui était opposé à la loi de mars 2004 interdisant les signes religieux à l’école.

Les propos de Sarkozy à Alger ne m’étonnent guère. Il était en face d’un islamiste en alpaga. Quant à cultiver sciemment la confusion entre l’anti-islamisme et l’islamophobie pour l’assimiler à l’antisémitisme, sans vouloir paraître alarmiste, je ne dirai pas plus que cela : Sarkozy est en train de jouer avec le feu et la paix civile en France risque d’en accuser le coup.

Riposte Laïque : Vois-tu l’émergence possible, en Algérie, d’une force politique qui se réclame des principes laïques et féministes, contre les islamistes, et contre le régime des généraux algériens ?

Halim Akli : Cette force est en gestation, elle sera la fusion des forces existantes qui feront leurs propres mutations pour se hisser au niveau de l’exigence historique. Je suis confiant quant à l'issue de cette perspective républicaine et laïque qui ne manquera pas de produire une maturité à même de réduire les différents conjoncturels souvent superflus. Il y’a une attente forte au niveau des couches sociales ; la nature abominable de l’islam politique est aujourd’hui admise par la majorité des citoyens. Le pouvoir en place, plus que jamais coupé des gouvernés, quoique, ceux-ci étant fragilisés par la précarité sociale et économique entretenue intentionnellement et qui peut constituer pour un temps encore un vivier pour l’islamisme qui se nourrit justement des frustrations et de la misère; cela ne tiendra pas devant le torrent d’espoir que suscitera l’émergence d’un cadre fédérateur qui ne pourra se permettre d’hypothéquer son propre aboutissement en n’ayant pas le courage et la lucidité de mettre en avant son socle laïque et féministe comme vous dites ! C’est cela la véritable réconciliation de l’Etat d’avec la société dont la consécration de la laïcité en constituera un gage de crédibilité et une espérance d’un ordre capable de faire la différence entre le bien et le mal et de consacrer la paix civile.

Pour favoriser l’émergence d’un tel espoir, il y’a lieu d’espérer le réveil des forces laïques en France, en Europe et ailleurs pour une solidarité active et intégrant dans la laïcité qui ne devrait pas être assimilée à une coquille vide car, au-delà d’être un espace de cohabitation et non de promotion des religions, elle se devra de protéger l’école, enjeu principal, selon l’esprit de Jules Ferry et enfin, investira les domaines économique et de la communication qui sont déjà le terrain où se livrent toutes les batailles et où se gagneront toutes les guerres.

INTERVIEW réalisée par Pierre Cassen in www.ripostelaique.com/halim-akli-militant-laique.html

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Commentaires (13) | Réagir ?

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Larbi Hamid

connaissant Halim, je ne m'étonne guère de sa façon de voir les choses. En fait, c'est là l'expression d'un homme qui ne se voile pas la face, qui scrute la société Algérienne et qui prend le temps de déduire les conclusions les plus franches sans tomber sous l'emprise de la peur ! Je ne cesserai de te dire, Halim, que je partage ce sentiment de rejet de cette mouvence islamiste qui freine l'évolution ! Puisse un jour l'Algérie suivre le chemin du développement ! L. H.

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Mhemmed Uccen

Voilà le genre de discours qui manquent sur la scène politique algérienne: lucide, riche en enseignement et résolument courageux. Parler de cette sorte là de l'islam, de ces gueux qui nous gouvernent mais aussi et surtout des terroristes intégristes, c'est, à mon avis, la première fois que cela a lieu. D'aucuns pourront biensîr trouver à redire, surtout par rapport à la place de l'islam dans l'Algérie dont nous rêvons, mais, ça sera toujours une manière de se protéger contre les retombées d'un positionnement aussi courageux et révolutionnaire. Pour ma part, je dis chapeau bas à M. Halim AKLI. Tous, sans exception, ceux à qui j'ai montré l'interview sont séduit et n'ont pas manqué d'exprimer leur envie de voir de tels hommes et femmes s'exprimer et surtout de tels prises de positions se répéter. Mhemmed

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