De la fraude électorale en Algérie

L'Algérie a eu de tout temps du mal avec les élections transparentes.
L'Algérie a eu de tout temps du mal avec les élections transparentes.

Si l’on revient à l’histoire de l’introduction de l’institution électorale en Algérie, nous constaterons qu’elle a toujours été caractérisée par des fraudes massives.

Ce qui est curieux, c'est que les auteurs de ces fraudes ne sont que très rarement des candidats aux élections mais souvent des fonctionnaires non pas zélés mais instruits par le Gouvernement à bourrer les urnes, à favoriser telle ou telle liste voire même à manipuler les listes électorales en y inscrivant des électeurs qui n’y ouvrent pas droit. 

Annexée à la France par une Ordonnance Royale datant du 24 février 1834, l’Algérie s’était vue soumise à l’Ordre colonial usurpateur de son territoire, de son identité et surtout de sa volonté populaire. Ainsi, l’histoire institutionnelle voyait-elle s’instaurer la réalité d’un Etat avec deux systèmes ou deux ordres politiques voire plus. Un Ordre Royal en France métropolitaine issu de la monarchie de Juillet 1830 et un Ordre colonial en Algérie. Même lorsque, à l’issue de la Révolution de février 1848, l’ordre républicain fut restauré par la proclamation, par les Révolutionnaires, de la Seconde République, le statut de l’Algérie ne connaîtra pas d’amélioration. Bien au contraire, c’est sous l’ordre républicain des 2ème, 3ème et 4ème Républiques que la colonisation de l’Algérie se consolidera. (Sénatus-consulte, Décret Crémieux, Code de l’indigénat etc.)   

Des réformes du code de l’indigénat furent lancées par la promulgation de la loi du 04 février 1919. Cette loi reconnaît dans son deuxième titre que les indigènes musulmans algériens ne sont pas citoyens français. Elle introduit dans son article 12 que "les indigènes musulmans sont représentés dans toutes les assemblées délibérantes de l’Algérie (délégations financières, conseil supérieur du Gouvernement, conseils généraux, conseils municipaux, commissions municipales, djemaas de douars) par des membres élus, siégeant au même titre et avec les mêmes droits que les membres français". Mais cette même loi dans son article 13 disposait que des décrets spéciaux statuent sur la composition du corps électoral indigène. Des conditions draconiennes étaient imposées aux Algériens : Il fallait être âgé de 25 ans accomplis, avoir une résidence de 2 ans dans la commune, avoir servi dans les armées françaises, être propriétaire, fermier ou commerçant, être employé ou retraité public, être membre d’une chambre de commerce ou d’agriculture, être titulaire d’un diplôme, au minimum certificat d’études primaires, être titulaire d’une décoration, avoir obtenu une récompense dans un concours agricole ou industriel. Des conditions d’empêchement. (1) 

L’ordonnance du 07 mars 1944 accorde le statut d’électeurs à tous les Algériens musulmans âgés de 21 ans et plus mais dans le cadre d’un second collège. Le Statut de l’Algérie adopté le 20 septembre 1947 maintient également les collèges séparés avec une sous-représentation très importante des musulmans. (2)

Le 11 avril 1948, l’Administration coloniale confia à Edmond Naegelen, nommé gouverneur général d'Algérie en remplacement d'Yves Chataigneau, jugé trop faible, d’organiser de "bonnes élections". Ces élections furent organisées par ce Gouverneur général et furent caractérisées par une fraude jamais vue dans l’histoire.  Des candidats du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques furent enfermés (Aïn-Bessem dans la wilaya de Bouira), dans la commune de Dechmia (à Sour-El-Ghozlane), il y eut 7 morts etc. Dans un rapport que j’ai remis au Président de la Commission de la wilaya de Bouira de surveillance des élections locales, le capitaine Mohamed Saïki, j’accusais Ahmed Ouyahia de s’inspirer d’Edmond Naegelen dont les "élections propres" ressemblaient aux "bonnes élections" du Gouverneur général. 

Il faut remarquer que le statut de l'Algérie du 20 septembre 1947 définit l'Algérie comme un groupe de départements doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière. Un gouverneur général nommé conserve le pouvoir exécutif, le législatif reste du domaine de l'Assemblée nationale française. L'Assemblée algérienne a des attributions essentiellement financières. La représentation y est dite "paritaire": 60 délégués du premier collège, 60 du second. Le premier collège comprend 464 000 citoyens français (hommes et femmes), et 58 000 musulmans". Le deuxième 1 300 000 électeurs "musulmans". On dénombre alors en Algérie 922 000 Européens et 7 860 000 «Musulmans». Les clauses qui annonçaient des progrès réels (suppression des communes mixtes, indépendance du culte musulman, enseignement de l'arabe, droit de vote aux femmes "musulmanes"), restent des promesses vaines parce que soumises à des décisions de l'Assemblée algérienne et subordonnées à l'impossible majorité des deux tiers. (3)

Après le 3ème congrès du Front de Libération nationale tenu à Alger, du 16 au 21 avril 1965 et l’adoption de la Charte communale de 1967, les Algériens pouvaient élire des délégués communaux aux assemblées populaires communales dont les listes étaient présentées par le Parti. En plus des conditions d’éligibilité fixées par l’Ordonnance n°67-24 du 18 janvier 1967, les statuts et le règlement intérieur du Front en imposaient d’autres conditions telles que le statut social. Ainsi les commerçants, les industriels en étaient exclus du fait que le Parti les assimilait à des Bourgeois. Seuls les travailleurs et les paysans avaient le droit de se présenter aux élections municipales. Bien sûr, le code de l’indigénat n’était pas complètement abrogé des esprits des Algériens. Toutes les élections de l’Algérie indépendante (à l’exception du Référendum d’autodétermination), organisées sous l’égide du parti unique furent manipulées. L’Administration a même formé une catégorie de fonctionnaires chargés d’organiser ces élections « honnêtes ». 

Les formes de la fraude sont multiples : manipulation des listes électorales, découpage électoral, encadrement des bureaux de vote, nombre de ces derniers, commissions de contrôle des élections etc…

Pour conclure, nous pouvons dire que le rapport de l’Algérien à l’institution électorale a de tous temps était un rapport d’usurpation de sa volonté par le pouvoir en place. 

Le changement par les urnes, les Algériens n’y croient plus. Du fait de ces manipulations, de la fraude et des promesses jamais tenues, l’institution électorale est décrédibilisée et les Algériens doivent réfléchir à d’autres formes de luttes pour l’édification de la démocratie. 

Abdellaziz Djeffal

(1) Hervé Andrès, Droit de vote :de l’exclusion des indigènes colonisées à celles des immigrés, manuscrit auteur publié dans N/P, [email protected]

(2) Idem. 

(3) André Mandouze, Mémoires d'outre siècle: D'une résistance à l'autre, Ed. Viviane Hamy, 1998

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Commentaires (3) | Réagir ?

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Nachabe Madih

Autrement dit, c'est toujours la colonisation. Il faut donc carrément un 54 bis pour déloger le pouvoir colonisateur algérien.

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Abdellaziz DJEFFAL

Le rapport dont il est question dans ce papier, remis au Président de la Commission de Surveillance des Élections locales, date d'octobre 1997.

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