Le gouvernement face au droit de préemption sur Nedjma et Djezzy

Karim Djoudi est-il sérieux quand il dégaine à tout-va le droit de préemption ?
Karim Djoudi est-il sérieux quand il dégaine à tout-va le droit de préemption ?

Après Djezzy, l’Algérie menace d’exercer son droit de préemption sur Nedjma selon la déclaration du ministre algérien des Finances le 10 septembre 2012 qui invoque l’application de la règle 49/51%.

Ce n’est plus une affaire entre l’Algérie et Orascom Télécom mais entre l’Algérie et le groupe russo-norvégien Vimpelcom et non plus avec Nedjma Algérie mais avec le groupe qatari Qtel. Du fait d’une vision périmée due au blocage culturel, croyant être toujours dans les années 1970, bon nombre de responsables algériens semblent avoir du chemin à faire pour pénétrer dans les arcanes de la nouvelle économie. La problématique de cette contribution est d’abord de relater les cas de Djezzy et Nedjma avant de poser l’urgence d’une adaptation de l’Algérie face aux contraintes de la réalité amère des mutations mondiales.

Le cas de Djezzy/groupe russe Vimpelcom

Selon son site 2009, présent au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique, Orascom Telecom Holding (O.T.H.) est un leader dans le domaine de la téléphonie et des nouvelles technologies. Implanté en Algérie, en Egypte, en Tunisie, au Pakistan, au Bengladesh, en Irak et, au Zimbabwe, comptant 50 millions d’abonnés dans le monde. Par décret exécutif du n° 02-219 du 31 juillet 2001, l’Etat algérien a approuvé l’octroi d’une licence d’établissement et d’exploitation d’un réseau public de télécommunications cellulaire de norme GSM à la société Orascom Telecom Holding SAE agissant au nom et pour le compte de la société Orascom Telecom Algérie pour 737 millions USD. Suite a l’appel d’offre lancé en date du 27 décembre 2003 par l’Autorité de Régulation de la Poste et des Télécommunications, Orascom Telecom Algérie a remporté également une licence VSAT en Algérie pour la somme de 2.050.000$ délivrée par le décret exécutif n° 04-107 du 13 avril 2004 portant approbation de licence d’établissement et d’exploitation d’un réseau public de télécommunications par satellite de type VSAT et de fourniture de services de télécommunications au public. OTA, selon ses déclarations, a investi 2,5 milliards USD, avec un capital humain de plus de 2900 employés. Plusieurs rumeurs couraient depuis plus de trois années, bien avant le match Algérie Egypte concernant la vente d’Algérie Djezzy filiale d’Orascom Telecom Holding (OTH). Cela a concerné d’abord Videndi SA, le partenaire français ayant démenti l’information.

La presse financière s’est fait également l’écho de cession à Sonatrach. Le PDG d’Orascom Naguib Sawaris, le 6 mars 2010 au Journal émirati, The National, a déclaré officiellement qu’il envisageait de céder une partie de son capital ou la possibilité d’une fusion avec l’Emirati Itasal et en mars 2010 avec l’opérateur sud-africain MTN et enfin la vente au russe, le cas MTN n’étant qu’une diversion afin de faire hausser le prix de cession. En effet, Naguib Sawiris, PDG d’Orascom, dans un flash répercuté par bon nombre d’agences de presse internationales avait affirmé le 02 juin 2010 que la firme sud-africaine MTN lui a offert 7,8 milliards de dollars pour racheter Djezzy. Ainsi, le groupe russe Vimpelcom, coté à New York, annonçait avoir acheté 51,7% d’Orascom Telecom (OTH) et 100% de l’opérateur italien Wind. Au départ, évaluée à 4,8 milliards d’euros, la transaction incluait un chèque de 1,3 milliard d’euros et une prise de participation de l’industriel égyptien de 20% au sein du géant russe. Mais, entre fin 2010 -2012, Altimo et Telenor ont augmenté leurs parts dans Vimpelcom en rachetant les actions de Naguib Sawiris qui est sorti totalement du capital de Vimpelcom, un retrait qui suit de près la revente à France Télécom Orange de la quasi-totalité des parts qu’il détenait dans Mobinil, l’un des principaux opérateurs égyptiens. Pour la filiale Djeezy, l’opérateur russe Vimpelcom, propriétaire, a publié les résultats de l’exploitation en annonçant un chiffre d’affaires de l’ordre de 471 millions de dollars US (une augmentation de l’ordre de 4%) et une fulgurante ascension du nombre de ses abonnés, atteignant le chiffre de 17,75 millions. Selon le rapport du groupe, grâce au programme de fidélisation et surtout à sa formule Imtiyaz, Djezzy a augmenté son parc de 11% par rapport au premier semestre de 2011. L’EBITDA (revenus calculés avant intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisation) est passé de 284 millions de dollars avec un ratio de 60%. Le groupe russe déplore toutefois le faible taux des dépenses liées à l’investissement (CAPEX), en raison de l’interdiction toujours en cours de procéder aux transferts de devises imposée par la banque d’Algérie depuis 2009. Aujourd’hui, Djezzy détient, selon le bilan établi par les Russes de Vimpelcom, 54% des parts de marchés. Toujours selon ce bilan, Djeezy et Mobilis versent au Trésor public les deux tiers environ de la fiscalité perçue sur tout le secteur des télécommunications. Les estimations russes évaluent les actifs selon la valeur du marché, tenant compte du good will (part du marché) et pas seulement de l’investissement entre 7/8 milliards de dollars alors que les autorités algériennes, le montant fluctue entre 4-5 de dollars. Cela explique que le feuilleton n’est pas terminé. En février 2012, Vimpelcom a annoncé que le holding Orascom Telecom a déposé une demande d’arbitrage international dans le litige qui l’oppose aux autorités algériennes concernant le dossier de l’opérateur de téléphonie mobile Djezzy. Cela rappelle les conflits ayant opposé Sonatrach aux deux compagnies pétrolières, l’américaine Anadarko et la danoise Maersk, qui ont fait recours à l’arbitrage international avant de revenir sur leur décision et opter pour le règlement à l’amiable de leur différend avec les autorités algériennes, concernant l’application de la taxe sur les profits exceptionnels qui ne peut être rétroactive.

Le cas de Nedjma/groupe Qatari Qtel

Quant à l’opérateur Nedjma, il est le 3e opérateur de téléphonie mobile en Algérie. Wataniya Télécom Algérie (WTA) a obtenu une licence de desserte nationale des services de téléphonie sans fil en Algérie le 2 décembre 2003, en soumissionnant pour un montant de 421 millions de dollars US. Le 25 août 2004, Wataniya a procédé au lancement commercial de sa marque Nedjma qui dotée d’une licence d’une durée de 15 ans, WTA a adopté un programme d’investissements d’environ 1 milliard de dollars US sur trois ans. Rappelons que Wataniya Télécom, l’opérateur de référence de WTA, a été fondée en 1999 au Koweït. Il fait partie des sociétés de Koweït Projects Company (KIPCO), importante entreprise privée du Koweït avec un actif de plus de 10 milliards USD s’étant implantée notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. En mars 2007, Qtel devient actionnaire majoritaire (51%) de Wataniya Télécom Koweït et détient 80% de Nedjma. Courant 2012, l’autorité financière koweitienne a accordé jeudi au groupe qatari Qtel l’autorisation de procéder à l’acquisition de la totalité des actions de l’opérateur Wataniya Telecom, détenteur de la licence d’exploitation de Nedjma en Algérie. Le gouvernement algérien se retrouve dans le même cas du feuilleton Djezzy avec le changement de détenteur de la licence accordée aux Koweitiens pour l’exploitation de Nedjma.

L’action de Wataniya Telecom cotée à 2.2 DWK (7,78 $) a fait l’objet d’une offre publique d’achat (OPA) pour la valeur de 2.6 DWK (9,02 dollars), soit une marge de l’ordre de 20%, les 239 millions d’actions koweitiennes étant évaluées à environ 2,2 milliards US$. Ce qui dénote la volonté des Qataris d’investir le marché maghrébin, le groupe qatari ayant investi en 2011, la somme de 1,2 milliard de dollars US pour le rachat des parts d’Orascom dans Tunisiana dont il dispose désormais de la moitié du capital. L'opérateur Qatarien (Qtel) vient de publier les résultats financiers de sa filiale Algérienne Watania Telecom Algerie-Nedjma, où il est indiqué que la part de marché de Nedjma s'établie à 30% à la fin du premier semestre 2012. Ce chiffre est réalisé grâce à l'évolution du nombre d'abonnés de l'opérateur qui passe désormais à 8,55 millions à la fin du premier trimestre 2012 contre 8,51 millions à la même période de 2011.Les investissements, quant à eux, sont passés de?87,5 millions de dollars à 132,5 millions de dollars soit une augmentation de 51% et les parts de marchés sont portées à 30%. À noter que les 2 milliards d’investissement consentis par Nedjma depuis 2004 dont 1 milliard en investissement direct englobent également l’achat de la licence qui a été payée cash. Nedjma n’a commencé à réaliser de la profitabilité qu’à partir de 2009. Toujours selon Qtel, les revenus de sa filiale algérienne ont nettement progressé pour s'établir désormais à 241.1 millions de dollars à la fin du premier trimestre 2012 (contre 219.7 millions de dollars), soit une progression de 10%. L'EBITDA (entre le premier et le deuxième trimestre 2012) est passé de 87,4 millions de dollars à 95 millions de dollars soit une augmentation de +9%. Entre le premier semestre 2011 et le premier semestre 2012, il est passé de 149 millions de dollars à 183 millions de dollars soit une augmentation de +23% (31% en dinars Algériens). Il est utile de rappeler que la concurrence ente les deux opérateurs étrangers a connu une polémique récente. Pour les responsables de Nedjma, la valeur du marché est concentrée à 55% par l’opérateur dominant, dont le chiffre d’affaires dépasse la somme des deux autres opérateurs de 20%. Pour l’opérateur Nedjma, avec un investissement de 2 milliards de dollars – investissement cumulé depuis 2004 jusqu’à aujourd’hui pour les deux opérateurs –, Djezzy a généré 12 milliards de dollars de chiffre d’affaires, alors que Nedjma en a réalisé trois. Selon Nedjma, il existe une concurrence déloyale. Nedjma pose plusieurs questions à l’autorité de régulation : pourquoi le consommateur algérien ne peut-il garder son numéro de téléphone en changeant d’opérateur ? Pourquoi est-il interdit aux opérateurs de lancer des promotions, de baisser les prix des téléphones et des puces pour les abonnés prépayés ? A quand la licence 3G ou 4G? Comment ne pas rappeler que leclassement 2012 effectué par la compagnie NetIndex, portant sur l'importance du débit Internet, classe l'Algérie à la 176e place sur 176 pays, étant dernière (0,95 Mbps), alors qu'elle était à la 172e place (0,96 Mbps) en 2011.

L’Algérie doit s’adapter aux pratiques des affaires internationales

Le droit de préemption (ou droit de préférence) est un droit légal ou contractuel accordé à certaines personnes privées ou publiques d'acquérir un bien par priorité à toute autre personne, lorsque le propriétaire manifeste sa volonté de le vendre mais pas à n’importe quel prix, au prix du plus offrant. La clause de préemption, qu’elle soit prévue dans les statuts ou stipulée dans un pacte extrastatutaire, a pour objet de réserver aux associés existants, ou à certains d’entre eux, un droit de priorité sur les titres dont la cession est envisagée. Dès lors qu’elle limite la libre négociabilité des titres, la clause de préemption doit être interprétée de façon restrictive. Par exemple, en doit des affaires les statuts d'une société peuvent prévoir un droit de préemption sur les parts sociales ou actions de l'entreprise au profit des associés ou des actionnaires, afin d'éviter qu'une personne non agréée puisse acheter une partie du capital social. Quand un droit de préemption existe, le propriétaire doit notifier, préalablement à la vente, son projet de vente au titulaire du droit de préemption. Le titulaire du droit de préemption a généralement un à deux mois pour faire connaitre sa réponse. A défaut de réponse dans ce délai, il est réputé avoir renoncé à son droit de préemption et le propriétaire peut alors vendre son bien librement, mais aux mêmes conditions. Si le bénéficiaire décide de préempter, il le fait aux conditions financières demandées par le vendeur. Il ne doit pas être confondu avec droit d’expropriation strictement encadré par la loi. La différence fondamentale entre un droit de préemption et une expropriation est que dans le premier cas, le propriétaire prend l'initiative de vendre (mais le bénéficiaire du droit de préemption se substitue à l'acheteur) alors que dans le cas d'une expropriation, le propriétaire n'est pas vendeur, et sa dépossession est effectuée d'autorité par l'expropriant, le "juste prix" est alors déterminé par une autorité impartiale. Dans ce cadre du droit de préemption, une loi peut-elle être rétroactive ? Selon l’éminent juriste Portalis l’office de la loi est de régler l’avenir ; le passé n’est plus en son pouvoir.

Partout où la rétroactivité serait admise, la sûreté n’existerait plus. Que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouvait craindre qu’après coup il serait exposé au danger d’être recherché dans ses actions ou troublé dans ses droits acquis, par une loi postérieure ? Sauf rares exceptions, en droit international, un acte administratif rétroactif est irrégulier et peut donc être annulé en tant qu’il est rétroactif et ne doit entrer en vigueur que postérieurement à son édiction, devant être, en principe plus favorable pour le client afin d’éviter de pénaliser les clients déjà présents et devant figurer dans le cahier des charges au moment du contrat. En a-t-il été pour le cas de Djezzy et Nedjma ? Qu’en sera t-il de l’application des dispositions de la loi de finances complémentaire 2009 algérienne qui stipule un taux d’imposition à 20% du taux de l’IRG applicable aux plus values de cession de la partie étrangère (Article 47 Loi de finances 2009) et qu’en vertu de l’article 62 "toute transaction qui ne respecte pas les dispositions légales ne sera pas avalisée par les pouvoirs publics et sera déclarée nulle", article précisant que "l'Etat ainsi que les entreprises publiques économiques disposent d'un droit de préemption sur toutes les cessions de participations des actionnaires étrangers ou au profit d'actionnaires étrangers". Or cela pose problème lorsque cette société est cotée en bourse et qu’elle cède non pas la totalité mais des ventes d’actions partiellement, pratique quotidienne au niveau des bourses mondiales où s’échangent chaque jour des centaines de milliards de dollars (fusion et cession des grandes compagnies), qui est le principe du fonctionnement de l’économie mondiale. Tout au plus, comme analysé dans plusieurs contributions au niveau national et international, l’Algérie peut donc faire prévaloir les clauses contenues dans le cahier des charges où l’autorité de régulation doit être averti avant toute transaction en application l’article 19 du décret exécutif n°01-124 du 9 mai 2001 que tout projet de cession par le titulaire de la licence doit avoir l’Accord auprès de l'Autorité de régulation. Aussi y a-t-il urgence pour l’Algérie de s’adapter aux nouvelles mutations mondiales et d’intégrer la théorie de l’intelligence économique qui met nettement en relief ces mutations. Malheureusement, du fait du blocage culturel, avec une vision périmée, croyant être toujours dans les années 1970, les responsables algériens semblent avoir du chemin à faire pour pénétrer dans les arcanes de la nouvelle économie.

Pr Abderrahmane Mebtoul, expert international

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