L'inflation en Algérie : résultat d’une gouvernance chaotique

La politique de subvention et d'achat de la paix sociale est symptomatique de l'échec de la gouvernance Bouteflika.
La politique de subvention et d'achat de la paix sociale est symptomatique de l'échec de la gouvernance Bouteflika.

Au moment où une fraction du pouvoir s’enorgueillit des 190 milliards de dollars de réserves de change dues aux hydrocarbures, préoccupée par les élections locales, et surtout anticipant les élections présidentielles d’avril 2014, la majorité de la population algérienne dont 70% perçoit moins de 30.000 dinars nets par mois assiste à la détérioration de son pouvoir d’achat.

Ainsi, malgré une richesse insolente, 75/80% de la population ne voient pas le bout du tunnel. Nous avons d’un côté certains responsables inconscients, faisant des dépenses somptueuses inutiles, une corruption inégalée depuis l’indépendance politique, voulant perpétuer le statu quo pour des intérêts rentiers étroits, à l’instar des anciens régimes égyptiens, tunisiens, libyens ou actuellement syrien par des replâtrages juridiques oubliant la nouvelle donne internationale et de l’autre la majorité de la population frustrée en attente d’un réel changement, désintéressée par  cet activisme politique désuet, confrontée à une hausse vertigineuse des prix. 

Comment cerner objectivement le processus inflationniste en Algérie ?

La dernière enquête de l’organe officiel des statistiques, l’ONS, de juillet 2012 témoigne d’une accélération du processus inflationniste en Algérie risquant de s’amplifier en 2013 avec des incidences sur le pouvoir d’achat des Algériens ayant surtout un revenu fixe. Les prix à la consommation ont augmenté de 8,7% au mois de juin 2012 par rapport à la même période de l’année écoulée, situant le rythme d’inflation en glissement annuel en Algérie à 7,3% contre 6,9% en mai dernier selon l’Office national des statistiques. L’indice des prix à la consommation a enregistré une hausse de 8,67% en juin 2012 par rapport à la même période de l’année dernière. Cette hausse est tirée essentiellement par l’augmentation de 10,76% des produits alimentaires avec 17,3% pour les produits agricoles frais et 5,4% pour les produits alimentaires. Cette aggravation est la conséquence de tout un processus historique témoignant de la maladie du corps social. Sans un changement de cap de la politique économique, il y a risque de tensions sociales avec une spirale infernale : augmentation de salaires, inflation, augmentation à nouveau de salaires rendant nécessaire l’élévation du taux d’intérêt bancaire si l’on veut éviter la faillite du système financier. 

Comment faire ? S’agissant d’un problème aussi complexe que celui de l’inflation, il me semble utile de préciser que ces phénomènes doivent tenir compte de la structure et des particularités de l’économie à laquelle ils sont appliqués, les aspects de structures de l’économie internationale, de l’économie interne résultant de l’option de la stratégie de développement économique, aux schémas de consommation générés en son sein pour des raisons historiques, d’influences socioculturelles et aux composantes des différentes forces sociales pour s’approprier une fraction du revenu national. Concernant l’indice global de l’inflation, il doit être régulièrement réactualisé car le besoin est historiquement daté, les besoins évoluant. Le taux d’inflation officiel est biaisé, étant comprimé artificiellement par les subventions sinon il dépasserait les 13/14%. Un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales. Une analyse pertinente devrait lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. Certes, le SNMG a plus que doublé en passant de 6.000 à 20.000 dinars, (200 euros au cours officiel, environ 150 euros par mois au cours du marché parallèle) la dernière augmentation ayant lieu en septembre 2011, mais devant déflater par le taux d’inflation réel pour déterminer le véritable pouvoir d’achat. Aussi, une interrogation s’impose : comment est-ce qu’un Algérien, qui vit au SNMG, (200 euros par mois, soit 6,6 euros par jour alors que le kilo de viande est de 10 euros) fait face aux dépenses incontournables : alimentation, transport, santé, éducation. La cellule familiale, paradoxalement, la crise du logement (même marmite, même charges) et les transferts sociaux qui atteindront plus de 1.200 milliards de DA en 2011, soit 18% du budget général de l'Etat et plus de 10% du PIB jouent temporairement comme tampon social.

Quelles sont les raisons fondamentales du retour à l’inflation ?  

Bien que dialectiquement solidaires, je recense quatre raisons essentielles du processus inflationniste en Algérie. Premièrement : la faiblesse de la production et de la productivité interne du fait que 97/98% des exportations sont le résultat des hydrocarbures à l’état brut et semi-brut, les 2.3% hors hydrocarbures fluctuant depuis plus de 20 ans pour un montant dérisoire entre 900 millions de dollars et 1,5 milliard de dollars. C’est que plus de 90% du tissu économique sont constitués de PMI/PME organisées sur des structures familiales, ne possédant pas de management stratégique, ne pouvant pas faire face à la concurrence internationale. Les importations couvrent 70/75% des besoins des ménages et des entreprises dont le taux d’intégration ne dépasse pas 10/15%. On peut démontrer facilement que le taux de croissance officiel hors hydrocarbures de 5/6% a été permis pour 80% via la dépense publique et qu’il ne reste pour les entreprises véritablement autonomes créatrices de richesses, pouvant évoluer dans un environnement concurrentiel mondial, moins de 20% du produit intérieur brut. Nous avons évidemment la croissance démographique et le versement de salaires sans contreparties productives. La population, selon l’Office des statistiques était de 36,3 millions d’habitants au 1er janvier 2011 et à 37,1 millions au 1er janvier 2012. Le taux de chômage officiel est estimé à 10% entre 2010/2012, mais incluant les sureffectifs des administrations, des entreprises publiques, les emplois dans la sphère informelle et les activités temporaires de moins de six mois, pour partie des emplois improductifs. Or, le taux d’emploi est fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité. Dans son rapport d’octobre 2011, le FMI note que l’Algérie doit faire plus pour diversifier son économie et sortir de sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures, notamment pour dynamiser l’emploi surtout parmi les jeunes dont le taux de chômage dépasserait pour certaines régions 25/30%. La vraie richesse ne peut apparaitre que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et c'est là est toute la problématique du développement

La deuxième raison de l’inflation est la non-proportionnalité entre les dépenses monétaires et les impacts. La dépense publique est passée successivement de 55 milliards de dollars en 2004, à 100 milliards de dollars en 2005 puis à 140 milliards de dollars fin 2006 et qui a été clôturée entre 2004/2009 à 200 milliards de dollars, mais faute de bilan on ne sait pas si l’intégralité de ce montant a été dépensé. Dans un Conseil des ministres le dernier trimestre 2011, le président de la République a affirmé qu’entre 2004/2013 plus de 500 milliards de dollars seront mobilisés. Pour un programme d’investissements publics 2010/2014, le gouvernement a retenu des engagements financiers de l’ordre de 286 milliards de dollars et concerne deux volets, à savoir le parachèvement des grands projets déjà entamés entre 2004/2009, l’équivalent de 130 milliards de dollars (46%) et l’engagement de projets nouveaux pour un montant de près de 156 milliards de dollars. D’une manière générale selon un rapport pour la région MENA 2010, l’Algérie pour des pays similaires dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats, démontrant une mauvaise gestion pour ne pas dire une corruption socialisée. Et l’Etat algérien continue de dépenser sans compter en lançant des projets non fiables à terme économiquement souvent pour des raisons de prestige. Tant qu’il y a la rente. Mais l’Algérie peut-elle continuer de vivre de l’illusion de la renter sur la base d’un cours de 70 dollars pour le budget de fonctionnement et 40/50 dollars pour le budget d’équipement si le cours des hydrocarbures baisse au risque d’une hyperinflation ? Peut-on continuer dans cette voie suicidaire des assainissement répétées des entreprises publiques,  plus de 50 milliards de dollars entre 1971 et 2011, avec des recapitalisations répétées des banques publiques contrôlant 90% du crédit global, avec des  clients souvent non bancables, dont plus de 70% des entreprises publiques sont revenues à la case de départ, et sans relèvement des taux d’intérêt, d’une faillite du système bancaire freinant l’investissement ? Cette masse monétaire sans contreparties productives alimente le processus inflationniste.

La troisième raison du processus inflationniste, est la dévaluation  rampante du dinar, 70-75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées étant importés et  la distorsion entre le taux de change officiel et celui sur le marché parallèle, les vendeurs s’alignant souvent sur le cours du marché parallèle. Le tarissement de l’épargne de notre émigration ou certains voyages ponctuels vers l’étranger, du fait de l’allocation devises limitées, souvent invoqués ne sont pas les seules explications. On peut établir un coefficient de corrélation entre la cotation du dinar et l’évolution du cours des hydrocarbures pour un taux d’environ 70%, 30% étant dues aux phénomènes spéculatifs et aux sections hors hydrocarbures bien que limitées et que sans hydrocarbures la cotation du dinar s’établirait à entre 300/400 dinars un euro, selon l’offre et la demande, l’économie algérienne étant une économie totalement rentière. En effet, se pose le problème de la cotation du dinar qui n‘obéit pas aux règles économiques. Ces mesures ponctuelles sans vision stratégique sont souvent édictées principalement pour freiner les importations suite à l’importante augmentation des salaires et ont des répercussions négatives tant pour les opérateurs que sur le pouvoir d’achat des citoyens.

La quatrième raison du processus inflationniste est la dominance de la sphère informelle, produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat, en fait à la nature du système rentier ou existent des liens dialectiques entre cette sphère et la logique rentière avec des situations monopolistiques et oligopolistiques de rente avec des liens extérieurs, non intéressées par l’émergence d’entreprises productives, expliquant d’ailleurs la marginalisation du savoir et des compétences. Cette sphère informelle en Algérie contrôle 65/70% des segments de produits de première nécessité auxquels plus de 70% des ménages consacrent presque l’intégralité de leurs revenus (marché fruits et légumes, poisson, viande rouge et blanche, textile et cuir) et sans compter les factures de plus en plus élevées de l’eau et de l’électricité qui absorbent une fraction importante du revenu des ménages pauvres et moyens accroissant leur endettement. La masse monétaire a été évaluée dans le rapport de la Banque d’Algérie à 2.439 milliards de dinars fin 2010, 33, 87 milliards de dollars dont 40% contrôlée par la sphère informelle soit 13,55 milliards de dollars limitant la politique monétaire de la Banque centrale avec une importante intermédiation financière informelle mais avec des taux d’usure accroissant l’endettement des ménages qui s’adressent à cette sphère. L’importance de cette masse monétaire captée, favorise une concentration du revenu au niveau de cette sphère avec des tendances monopolistiques et souvent oligopolistiques (quelques offreurs pour une multitude de demandeurs) et alimente comme analysé précédemment, la demande au niveau du marché de la devise parallèle et l’évasion fiscale évaluée à environ 3 milliards de dollars par an.

Le constat en Algérie est l’absence d’une véritable concurrence, avec une tendance monopolistique faisant que les circuits entre le producteur et le consommateur (les grossistes informels) ont tendance à se rallonger, la marge commerciale pouvant représenter 2 à 3 fois le prix de production (surtout dans le domaine agricole), ce qui ne peut que décourager le producteur immédiat et l’orienter vers des activités spéculatives et fait que la politique d’encadrement des prix peut s’avérer d’une efficacité limitée, en fonction des moyens mis en œuvre, dans la mesure où le contrôle des prix repose sur le détaillant qui ne fait que répercuter ces surcouts de distribution. 

Quelle conclusion ? 

On ne peut analyser correctement le processus de l’inflation en occultant son essence à savoir la faiblesse de la sphère réelle, la sphère informelle et ses incidences sur le pouvoir d’achat des Algériens. Le malaise social s’amplifie à travers toutes les régions et la majorité des catégories sociales. La grande démobilisation aux dernières élections législatives du 10 mai 2012, malgré des dépenses sans précédent, où taux d’abstention, bulletins nuls et non inscrits ont représenté environ 75% de la population en âge de voter en est le témoignage vivant. La même tendance risque de se reproduire pour les élections locales, montrant le désintérêt de la population confrontée à la dure réalité quotidienne.

Le processus inflationniste que l’on comprime artificiellement par des subventions montre l’absence de régulation ne s’attaquant aux fondamentaux renvoyant au manque de cohérence et de visibilité de la politique socioéconomique pour préparer l’après hydrocarbures, l’épuisement étant dans au maximum dans 16 ans pour le pétrole, dans 25 ans pour le gaz conventionnel, avec une population de 50 millions. Comme ces réserves de change estimées à 190 milliards de dollars au 1er juillet 2012, richesse virtuelle provenant des hydrocarbures dont la facilité est de les placer pour 83% à l’étranger, en partie en bons de trésor américains et en obligations européennes, à des rendements presque négatifs pondéré par l’inflation mondiale, alors qu’il s’agit de les transformer en richesse réelle.

Force est de constater que depuis 1986, l’Algérie est dans une interminable transition n’étant ni une économie étatisée, ni une véritable économie de marché concurrentielle, dans le cadre de l’interdépendance mondiale à l’instar des pays émergents, expliquant le peu d’efficacité tant de la régulation politique, sociale et économique. Il s’agit essentiellement d’éviter cette illusion bureaucratique, ce juridisme, en s’attaquant au fonctionnement de la société, en fait de réaliser de véritables réformes promises mais non réalisées à ce jour. Le statu quo actuel où  il semble que certains responsables soient tétanisés par les évènements extérieurs, (cours des hydrocarbures, Syrie, Sahel), qui seront déterminants pour leurs aveniers personnels, pas forcément celui de l’Algérie, est néfaste pour le pays. Face à cette situation, l’inquiétude vis-à-vis de l’avenir, l’absence de morale et la faiblesse de la gouvernance tant centrale que locale, avec ce retour accéléré de l’inflation, qui contribue à une concentration du revenu au profit d’une minorité rentière, la plupart des Algériens veulent tous et immédiatement leur part de rente, reflet du divorce Etat/citoyens, quitte à conduire l’Algérie au suicide collectif

Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur d’universités

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Mouloud FEKNOUS

L'Algérie en soi est devenue un pays informel.

Depuis 1962, aucune création de richesse par la production n'a vue le jour. La politique menée depuis 50 ans a eue pour seul souci le calme social. Les politiques d'industrialisation menées auraient dûe être le tremplin pour un décollage réel a condition de permettre aux petites sociétés privées d'exister et de relayé le secteur public, rien de cela n'a été fait. L'agriculture, mieux vaut ne pas parlé du désastre de la bétonnisation et de la distribution des terres.

dans tous les pays du monde qui se respectent, et dont les politiques ont le souci de leur pays, tous les grands chantiers sont des occasions pour créer des emplois et aussi pour développer les industries locales qu'en est - il dans cette chimère qu'est devenue l'Algérie ? Alors l'inflation a un ou a dix chiffres est un souci ? Non c'est du khorti puisque l'infaltion existe de fait !

La plus grande inflation qui touche ce pays vient des pseudo experts qui le ventre bien rond se gargarisent avec des mots creux par manque de courage, il vaut mieux carresser la bête dans le sens du poil pour obtenir quelque poste ou quelque service.

Le dysfonctionnement persistera tant que l' algérien continuera à se dire chacun pour soi et que l'autre se démerde, tant qu'il n'aura pas compris que lorsque le bateau coule il n'y aura pas de rescapés surtout que le commandant et son équipage ont déjà quitté le raffiot.

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ali Foughali

Le malheur c'est qu'ils ne reconnaissent pas leur défaite.

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