Sarkozy, Jean Daniel et le secret du 3e mandat (2e partie)

Bouteflika, Jacques Chirac et Jean Daniel
Bouteflika, Jacques Chirac et Jean Daniel

"On continue d'avoir comme gestionnaires des affaires du pays des gens qui ne croient pas à la démocratie...

Ces mêmes gens qui ont été amenés et installés à la tête du pays par un système qui perdure depuis l'indépendance. A partir de 1962, nous avons connu une usurpation  du pouvoir par des institutions qui s'inscrivaient dans la logique du parti unique. Et cela explique les développements qui nous ont amenés à avril 1999 où un président dit de "consensus" a été installé à El Mouradia à la suite d'une mascarade électorale", écrivait M'hamed Yazid, ancien ministre de l'Information au sein du Gouvernement provisoire de la République algérienne.

Juillet

Je note ce commentaire du directeur du Nouvel Observateur : "Les généraux sont loin d’avoir perdu toute influence. L’autorité de Bouteflika tire une bonne partie de sa force de ce qu’il n’existe aucun autre recours politique dans le pays."

L’auteur exprimait une urgente exhortation française : il faut sauver le soldat Bouteflika !

L’aider à l’emporter sur le "clan d’en face."

10 juillet. Nicolas Sarkozy débarque à Alger en terrain conquis. 

Il sait que deux clans l’y attendent. L’un de pied ferme, l’autre avec fébrilité. 

Le premier, celui des généraux et des "nationalistes" qui  se disent révulsés par son discours colonial et ses ambitions de reconquête, en espère un mea culpa. Le second, celui du Bouteflika, en souhaite un soutien franc pour un troisième mandat et, à travers lui, l’appui du lobby pro-israélien.

Dans ce jeu de quilles algérois, le président français privilégie Bouteflika.

Il en connaît la fascination pour la France et compte en profiter. Le terrain est mouvant. "Les généraux sont loin d’avoir perdu toute influence", avait averti Jean Daniel. Sarkozy a pris note et, fait notable, a aussitôt demandé au directeur du Nouvel observateur de l’accompagner à Alger. Il n’ignore rien des rapports de séduction qu’entretiennent le journaliste et Bouteflika ni du talent de Jean Daniel à exploiter son ascendant intellectuel sur un chef d’État fort présomptueux et à la culture superficielle. 

L’Élysée joue la carte Bouteflika sans toutefois s’engager fermement pour un troisième mandat. Il le tient, discrètement, par le nombril. Jean Daniel révèle dans son récit sur la rencontre Notre Bouteflika -Sarkozy : "Le premier partenaire de la France devrait être le président Bouteflika, avec lequel Nicolas Sarkozy a entrepris, depuis longtemps et à l'insu de tous, de tisser des liens d'estime et de sympathie. Il avait son plan. C'est du président d’Algérie que le président français a reçu les premières félicitations, à 20h10, le soir de son élection."

La manœuvre de Sarkozy à Alger tiendra alors en deux axes : flatter Bouteflika et s’imposer comme le maître du jeu. Faire ce qu’aucun président français avant lui, n’avait osé faire à Alger : parler au nom des anciens colons nostalgiques et énoncer clairement une stratégie de reconquête coloniale. "C'est la première fois que j'entends un représentant de la France abandonner l’attitude de paternalisme complexé et de protection coupable pour ne voir en elle qu'une puissance égale à celle de la France, disposant d'un immense territoire, de ressources considérables et objet de convoitises planétaires", écrira Jean Daniel dans son récit.

L’Élysée veut déloger les Américains du marché des hydrocarbures, profiter de la faiblesse géopolitique de Bouteflika pour imposer Israël à travers son Union méditerranéenne et racler les élites. L’Algérie est le premier partenaire économique de la France sur le continent africain. Les Français sont les premiers investisseurs, hors hydrocarbures, et les deuxièmes, hydrocarbures inclus, derrière les États-Unis. Un mois auparavant, le 10 juin, les États-Unis et l’Algérie avaient signé un protocole d'accord dans le délicat domaine du nucléaire civil. "C'est la signature de ce protocole qui a conduit Nicolas Sarkozy à une stratégie immédiate et offensive, préconisant, outre un rapprochement de GDF et de Suez avec la société algérienne d'hydrocarbures Sonatrach, la fourniture par la France des équipements indispensables à l'édification d'un nucléaire civil algérien. Ce sont ces données qui commandent l'avenir des relations franco-algériennes, franco-maghrébines et euro-méditerranéennes", avoue Jean Daniel.  

"On peut faire l’amitié sans un traité d’amitié."

Sarkozy annonça la couleur avant même de poser le pied sur le sol d’Alger.

Dans une interview accordée, la veille de son arrivée, au quotidien El-Watan, il fait comprendre que l’époque des mamours chiraquiennes était révolue et que les promesses de Chirac sont à oublier. 

Il poursuivit par l’affront : "Je suis pour une reconnaissance des faits, pas pour le repentir, qui est une notion religieuse et n’a pas sa place dans les relations d’État à État." En plus clair, pas question de remords sur la colonisation. Il enchaîna par l’ambition de l’Hexagone de mettre la main sur Sonatrach. "Nous avons besoin de sécuriser nos approvisionnements en gaz pour le futur (…) On ne peut donc que souhaiter un rapprochement entre les compagnies françaises — GDF, mais aussi Suez et Total — et Sonatrach." Il termina par l’équation du mépris : on chassera les émigrés sans grande qualification ("On ne peut ignorer la question des personnes en situation irrégulière, à l’égard de laquelle j’ai pris des engagements vis-à-vis du peuple français qui m’a élu."), mais on gardera les cerveaux ("Quant à l’immigration choisie, c’est autre chose (…) Il est normal que, comme c’est le droit de tout pays souverain, nous décidions des critères qui vont nous amener à les sélectionner. Il faut d’ailleurs bien distinguer cette immigration, destinée à répondre aux besoins de la société et de l’économie françaises, de la situation de vos compatriotes qui séjournent en France pour se former et ont vocation à retourner dans leur pays…")

Pour ceux qui auraient raté l’interview, Nicolas Sarkozy répète son message le lendemain, en présence du Président Bouteflika : "Je ne viens ici ni pour blesser ni pour m’excuser. Je ne veux pas blesser les amis et je n’imagine pas que ces amis voudraient me blesser à leur tour. Je respecte l’Algérie pour ce qu’il est, son histoire, ses hommes d’État. Je souhaite seulement que la France soit considérée de la même façon. Je souhaite que  vos compatriotes prennent l’histoire de la France telle qu’elle est. Chacun porte, sur ses histoires respectives, le regard qu’il souhaite."

Bouteflika encaisse en silence.

Il sait que cette volée de bois vert lui est, avant tout, destinée, lui qui a demandé à la France de reconnaître ses crimes et de présenter ses excuses. Mais il n’est pas d’humeur à répliquer. Ses objectifs ont changé : l’heure est à gagner les bonnes grâces de la France et des réseaux de Sarkozy pour un troisième mandat. L’honneur national attendra. L’ordre, strict, est de ne surtout pas porter la contradiction au président Sarkozy. Il sera observé par les journalistes, comme le confirme le journal Le Monde par cette révélation : "Au cours de la conférence de presse, seul M. Sarkozy a pris la parole. Le service de presse avait fait passer la consigne : pas de questions à Notre Bouteflika … " Mais le silence est observé surtout par les "opposants" du clan d’en face : aucune voix discordante ne viendra contrarier le président français qui, pourtant, n’a pas ménagé les propos blessants. Du coup, l’événement prend des allures d’une grande abdication nationale. "Le traité d’amitié entre les deux pays n’est pas d’actualité mais du côté algérien on s’est fait une raison", conclut Le Monde

"Bouteflika a décrété publiquement, et s'adressant à moi, que son homologue français était un "patriote", qu'il défendait son pays de la même manière que lui-même le faisait", rapporte Jean Daniel.

La visite de Nicolas Sarkozy à Alger s’était terminée par une lourde défaite diplomatique pour le pays et, curieusement, par une brillante victoire du clan Bouteflika . Ce dernier semble avoir pris le dessus sur ses rivaux qu’il a forcés à faire le dos rond. Il a semblé s’imposer comme seul interlocuteur de Sarkozy, au prix d’une énorme humiliation pour le pays.

Le lendemain, c’est lui-même qui applaudit au "rapprochement de vision entre les deux bords de la Méditerranée" dans un message à Sarkozy à qui il rappelle que "nos récents entretiens à Alger nous ont permis de constater la concordance de nos visions et la convergence de nos approches quant aux conditions de réalisation du partenariat d’exception entre nos deux pays."  

Le triomphe français semblait total. De Tunis, Sarkozy exulte : "Je crois que le Président Bouteflika est devenu un ardent ambassadeur de l’union méditerranéenne."

Dans la foulée, le chef de l’État français annonce que le renouvellement des contrats d’approvisionnement à long terme de Gaz de France à partir du territoire algérien était "bien parti", allusion à l’alliance GDF-Sonatrach. 

Un grand boulevard s’offrait à la France sur le sol algérien. "Si le président français tient sa promesse de s'engager personnellement dans une coopération maghrébine et méditerranéenne dont l'axe serait en quelque sorte Paris-Alger, le voyage officiel d'État de décembre prochain de Nicolas Sarkozy à Alger pourrait déboucher sur un accord historique", prédit Jean Daniel.

Mais c’était là, parler trop tôt.

Qui avait déjoué le marchandage ?

Est-ce Sarkozy qui avait trop traîné les pieds, provoquant le dépit du président-candidat algérien ou est-ce le clan rival qui avait repris l’initiative, jugeant que Bouteflika avait dépassé la ligne rouge ? Toujours est-il que le 29 juillet, le ministre de l’Energie et des mines Chakib Khelil annonce le rejet par l’Algérie de la proposition française d’alliance entre Sonatrach et Gaz de France. En novembre, les Affaires étrangères évoquent «beaucoup de choses à clarifier dans le projet d’Union méditerranéenne, proposé par le Président Sarkozy» suggérant un possible boycott par le Territoire.

Puis coup de théâtre ! À quelques jours de la visite d’État de Nicolas Sarkozy à Alger : la privatisation du CPA est suspendue par le gouvernement ! Les raisons invoquées seraient liées à "la crise bancaire internationale", mais personne n’est dupe.

Paris venait d’attiser le jeu de quilles algérien et d’affaiblir le président Bouteflika.

La visite d’État de décembre à Alger dont Nicolas Sarkozy s’apprêtait à faire un moment d’estocade, s’annonçait mal.

L. M.

Sources diverses

Plus d'articles de : Notre feuilleton : Révélations sur Bouteflika

Commentaires (5) | Réagir ?

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elvez Elbaz

De quel droit utilise t il l'argent du trésor algérien, l'avion de la présidence, destinée pour les visites de travail uniquement selon les statuts de la présidence, pour aller se la dorer en suisse au frais de l'algérie?

Abdelaziz bouteflika a été condamné par le tribunal de la cour criminelle d'alger à rembourser les sommes colossales reliquats des AE qu'il avaient détournées sur ses comptes suisses. Et le voilà, en suisse et ailleurs, entrain d'utiliser à son profit personnel l'argent du trésor algérien pour les dépenser en voyage personnel avec tous les frais de la logistique qui va avec.

De quel droit ya hagar l'algérie algerienne?!

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faroudja Oumerry

Trois petites choses me viennent à l'esprit a la lecture de cet article. Alain Rob Grillet et le roman moderne, la chanson de Bazziz : idour 3la el hiboussa et ne veut pas vider ses intestins et on ne sait pas s, il s'agit de constipation ou de desir de meler les choses de faire croire à quelque chose d'élaboré d, intelligent.

< Boutef, tout comme ceux qui l'ont précédé n'ont jamais été des lhommes d etat. ils ont géré le pays comme un douar et on veut leur preter une dimension sophistiqué.

quant au clan adverse de monsieur LM, cela me fait juste rire, il y a les services, les big boss et il y a les les fonctionnaires de la presidence, de la justice, du gaz et de la presse. point c'est tout.

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