Boualem Sansal observé de Suisse : " La Shoah vue par un Algérien "

 Boualem Sansal observé de Suisse : " La Shoah vue par un Algérien "

Le quotidien suisse "Le Temps" consacre un article au dernier livre de Boualem Sansal "Le Village de l'Allemand. Ou le journal des frères Schiller " . Analyse à lire.

Boualem Sansal n'a pas peur des situations extrêmes. Il s'y lance avec colère et témérité, avec un sens de l'ironie et de l'absurde très personnel, mais aussi avec sincérité et humanité. Dans Harraga, son précédent roman (Gallimard, 2005), il promenait une adolescente enceinte, court vêtue, ultra-maquillée, têtue et complètement inconsciente, dans les rues d'Alger. L'humour désespéré, les solidarités improbables y côtoyaient le drame de l'immigration clandestine et son lot de victimes.

Dans Le Village de l'Allemand ou le journal des frères Schiller, son cinquième roman, l'écrivain, qui écrit en français, fait face à l'Holocauste, «une affaire à damner Dieu lui-même». Il est né en 1949, vit près d'Alger et son ambition est notamment de faire partager à ses compatriotes l'histoire de la Shoah, même s'il avoue avoir peu d'illusions sur la diffusion du roman chez lui. Son livre, Poste restante (Gallimard, 2006), lettre d'un homme en colère adressée à ses compatriotes, n'a pas été autorisé en Algérie.

Boualem Sansal attaque son sujet avec hardiesse, mais prend des précautions en exergue: «Il y a des parallèles dangereux qui pourraient me valoir des ennuis», dit-il mais il ajoute, toujours en exergue: «Je m'en fiche, ce que j'avais à dire, je l'ai dit, point, et je signe.» Et de signer, non pas de son nom d'écrivain, mais de celui de Malrich Schiller, l'un de ses héros, deux frères mi-Allemands mi-Algériens chargés de se coltiner la mémoire du génocide. Le «journal de Malrich» rédigé entre 1996 et 1997 constitue la trame du livre. Celui de son frère, Rachel, directement en prise avec l'histoire nazie, écrit entre 1994 et 1996, s'y inscrit avec une typographie particulière: mise en abyme qui est aussi une mise à distance, car ce qu'il a à dire est violent.

«Avec ses prénoms Rachid et Helmut, on a fait Rachel, c'est resté.» Voilà pour l'aîné, débarqué en 1970 en France à 7 ans. Il est le grand frère, celui qui a réussi. Ingénieur, il a épousé une Ophélie blonde ravie à une mère «mordue du Front national». Le massacre soudain de ses parents restés en Algérie va le placer brutalement, le laissant «seul comme personne au monde», face à une révélation: son père était un bourreau nazi reconverti en héros de la libération en Algérie où il s'est installé et marié. Malrich, son petit frère - contraction de «Malek et Ulrich» - arrivé en France en 1985, à 8 ans, gosse de banlieue enrôlé brièvement par un groupe islamiste local, apprendra sur le tard toute l'affaire. Il en conçoit un dégoût durable pour les extrêmes qu'il envisage d'abord de combattre par la violence. «C'est bête à dire, confie-t-il à son journal, mais je ne savais rien de cette guerre, de cette affaire d'extermination. Ou vaguement, ce que l'imam en disait dans ses prêches contre les juifs et des bribes attrapées par-ci, par-là. Dans mon esprit, c'était des légendes qui remontaient à des siècles.»

Placés face à une double horreur - celle du massacre des parents en Algérie, celle, historique, du rôle de bourreau du père - les deux héros, et en particulier Malrich l'enfant de la cité, vont tenter de comprendre, d'apprendre, de digérer leur situation, de s'inventer une issue en s'aidant de ce qu'ils connaissent. Rachel en voyageant sur les traces du père, Malrich en envisageant de tuer des islamistes avant de se convaincre que «dire la vérité» est la plus sûre des parades. Malrich, jeune homme en deuil des siens, fils de bourreau et ancienne recrue islamiste lui-même, rapproche sans cesse islamisme et nazisme dont les méthodes et les idéologies se ressemblent, insiste-t-il. Boualem Sansal n'est pas loin de partager l'opinion de ses personnages. En Algérie, «nous vivons dans un environnement marqué par le terrorisme, nous voyons bien que la frontière entre islamisme et nazisme est mince», a-t-il dit au Nouvel Observateur.

«Le crime est tellement lisible, il est ce que nous connaissons le mieux, ce que nous imaginons le plus facilement, il est ce qui nous est donné à voir, à entendre, à lire, à longueur d'année. Il est notre totem planté au cœur de la terre, visible depuis la lune.» En faisant se «télescoper» les lieux, les noms, les époques, Boualem Sansal cherche à crier l'universalité du crime, et à prendre sa part aussi, en tant qu'Algérien, de l'histoire de l'Holocauste.

Malgré ses traits forcés, malgré un côté brouillon, malgré un ton sombre, le roman de Boualem Sansal apparaît comme le livre généreux d'un homme en colère. Son premier souci est l'humain face à la barbarie sous toutes ses formes, qui n'en finit pas de l'indigner. Il aborde ces questions graves d'une manière simple et directe sans prétendre jamais être seul à détenir la vérité.

Eléonore Sulser, (Le Temps) Samedi 2 février 2008

Titre: Le Village de l'Allemand. Ou le journal des frères Schiller.
Auteur: Boualem Sansal
Editeur: Gallimard
Autres informations: 264 p.

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Ahcene dahnane

Mais, lisez dabord et jugez ensuite.

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aamti beghoula

je n'ai pas eu l'occasion oou l'honneur de lire ce livre là alors pas de jugement sur sa qualité, une chose m'intrigue es ce que les gens sont prets a vendre leur ame au diable pour plaire à ceuw qui lui ont donné le gite, j'aurais aimé que mr SANSAL prenne exemple sur mr BENCHICOU et la polémique sur le dérnier film DE MR jean pierre LIEDO des principes, c'est des principes ils ne doivent pas changer

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