Algérie-France : un juillet proportionnel

Le peuple algérien n'a jamais abdiqué devant la colonisation menant des centaines de révoltes.
Le peuple algérien n'a jamais abdiqué devant la colonisation menant des centaines de révoltes.

"Cette tendance à l’agression constitue le facteur principal de perturbation dans nos rapports avec notre prochain". Sigmund Freud

Le texte promulguant le 14 juillet comme fête nationale officielle de la France fut adopté en juillet 1880. C’est-à-dire cinquante ans après l’occupation de l’Algérie par ce même pays. Que peut-on dire de ces cinquante années, du point de vue de l’Histoire de France et de celui de l’Histoire d’Algérie ?

Assurément beaucoup de choses sur l’une comme sur l’autre. Au moins la France était le pays le plus puissant sur la surface de la Terre et l’Algérie, une immense contrée disparate, habitée de Berbères, de Maures, d’Arabo-berbères, de Berbéro-Maures, de Turcs, de Berbéro-turcs, de Turco-Maures, globalement musulmans, parlant des dialectes du berbère et de l’arabe, et d’une communauté juive existant depuis les premières périodes numides. Le modèle social commun était le schéma tribal obéissant, en gros, aux préceptes de l’Islam mais surtout au cumul des valeurs de la tradition définissant, les uns des autres, des sous-groupes éthniques, dans les tribus du nord comme dans celles du sud. Selon certaines sources érudites, la population dans ces contrées, en bord de mer, dans les plaines intermédiaires, dans les Hauts Plateaux de l’est comme de l’ouest, dans les régions désertiques, à cette époque, serait de quelque 3 millions d’habitants. Mais jamais, pour quelque intérêt de communauté qui puisse être, un regroupement de grande masse n’a été enregistré avant les rassemblements de l’émir Abdelkader, cheikh Bouamama, El Mokrani. Bref.

Grandeur et décadence

La France ayant réussi le passage du statut de l’absolutisme monarchique à celui d’une fédération républicaine garantie par les principes démocratiques, avec les périodes sanglantes allant de la prise de la Bastille jusqu’aux guerres intestines dans les villes de la province et dans les frontières, revient à la restauration de la royauté mais dans le cadre de la monarchie parlementaire – pour être plus précis, disons la seconde restauration à partir de 1830 - et l’Europe est à la révolution industrielle. Les manufactures parisiennes et celles dans les grandes villes se transforment, petit à petit, en usine de fabrication en masse. La technologie entraîne la transformation des minerais dont essentiellement le fer en même temps que le fulgurant développement du métier à tisser pour la production du tissu domestique en série, en vêtements et accessoires d’intérieur, l’agriculture se met à se mécaniser et le chemin de fer fait son apparition qui donnera la possibilité du transport rapide des personnes et des biens. Mais cet extraordinaire essor économique est en flagrant manque de matières premières et d’espace vierge pour le revigorer.

Qu’à cela ne tienne, les Barbaresques en détiennent pour plus qu’il n’en faille. Et justement où en était-elle l’Algérie, ou pour dire plus exact, les affaires de la Régence ? D’abord cette période assiste à la décadence de l’Empire ottoman ; la Grèce, confortée par une gigantesque aide occidentale, accède à son indépendance, l’Egypte s’autoproclame une souveraineté autonome et les pays des Balkans se libèrent petit à petit du joug de la Sublime Porte. Et paradoxalement celle-ci entreprend de faire face à la volonté expansionniste de la Russie grâce au coup de main du Royaume-Uni et de la France, matérialisée sur le terrain deux décennies plus tard au cours de la guerre de Crimée. En contrepartie, très fort payée, le Royaume-Uni s’empare de l’Egypte et la France envahit l’Algérie et la Tunisie.

L’Histoire du propice à la Science et la raison du plus fort

Il fut se conter l’anecdote du coup d’éventail reçu en pleine gueule par un consul de France parce qu’il aurait réparti irrespectueusement au dey Hussein à propos d’un remboursement de dette. Cette évènement, authentique ou imaginé, aura été enseigné dans les manuels d’Histoire durant plus d’un siècle, de génération en génération, aussi bien en France, en métropole et dans les colonies, qu’en Algérie après l’Indépendance. Jamais une lecture critique n’a été proposée aux élèves algériens depuis 1962, dans tous les systèmes pédagogiques inhérents à l’enseignement de l’Histoire leur expliquant les tenants et les aboutissants réels de l’idée même de l’annexion des territoires de la Méditerranée du sud, propices à la main basse sur les matières premières et sur les vastes étendues capables d’absorber les attributs de la Révolution industrielle. Le psychologique prenant le pas sur le concert de l’économie politique, la vision sur les causes du fait colonial, dans le monde en général et de tout temps, et en Algérie en particulier au moment du départ des Turcs, a toujours fait parti d’un discours de classe au pouvoir, aux commandes des colonies libérés, qui n’oseront jamais admettre, par exemple, que la veille de juillet 1830, l’Algérie géoéthnique d’aujourd’hui, du port d’Alger à Bordj Badji Mokhtar et du dernier village à l’est de Annaba à l’ultime lieu-dit à l’ouest de Maghnia, était à peine une vue de l’esprit dans le sens d’un concret schématisant la consistance d’un Etat.

La farouche résistance des humbles

C’est justement durant cette période de cinquante ans, à partir de l’invasion en 1830 – en vérité depuis très longtemps envisagée et programmée, il suffisait simplement de choisir le moment de la faiblesse la plus démontrée de la force de riposte de la soldatesque ottomane - jusqu’à 1879-1880, que va se mettre en route et se réaliser le tracé administratif de l’Algérie, pendant le temps duquel, ici et là, de grandes révoltes se mettent en œuvre contre l’occupant, orchestrant les méfaits les plus ignobles et affreux sur des populations civiles contraintes à prendre les armes pour défendre leur dignité, leur mode de vie et leurs territoires. Dont la plus grande et la plus poignante fut celle de cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et Cheikh Ahaddad qui mit sur le pied de guerre des centaines de milliers de Kabyles, vers la fin de l’année 1870, et qui se solda par une riposte féroce, dans l’histoire mondiale de la répression, de la part de l’armée coloniale, jusqu’en 1872, après la tombée de Cheikh El Mokrani, la reddition de cheikh Ahaddad et la capture de Boumezrag. Des dizaines de milliers de Kabyles furent répartis de force dans des camps d’internement et beaucoup furent déportés dans le Pacifique en Nouvelle-Calédonie. Tandis qu’il se met en place une entreprise d’expropriation sans précédent ayant pour but l’assise définitive des colonies de peuplement, à travers laquelle maintes familles kabyles se résolvent à l’expatriation ou à leur établissement dans les régions montagneuses.

La leçon de l’Histoire

Moins d’une décennie plus tard, les contrés considérées comme militairement sous contrôle, il ne reste, désormais, qu’à procéder à régenter sur place par les relais civiles depuis le Gouvernorat général. La littérature s’habitue à accepter, alors, l’appellation "Algérie" par une adjonction de suffixe au mot "Alger" pour désigner dans le même sens toutes les étendues du grand port méditerranéen, de la manière de faire "Tunisie" à partir de "Tunis", un autre grand port sur la rive sud du Berceau de la civilisation. Le français est décrété langue officielle de l’Administration civile et militaire et le colon ne va dispenser que cette langue dans ses écoles, dans le premier comme dans le second collège.

Pour éviter de faire une offense aux historiens du mérite et de l’honnêteté au travers d’un article de presse évènementiel, l’avis est de terminer par dire que la promulgation de la fête nationale française pour la journée du 14 juillet a, pour ainsi dire, coïncidée avec une des consécrations les plus prestigieuses du point de vue de la domination des forts sur les faibles – encore que la France avait perdu l’Alsace-Lorraine dans la guerre de 1870 contre Bismarck – mais d’un tout autre point de vue, d’une lourde leçon d’humiliation des nations qui se soucient mieux de la pérennité de vacuité traditionnelle qui renie le progrès, la modernité, seule entité capable de défense contre autrui malveillant. Juillet pour juillet, il faut consentir, ici, une amnésie provoquée, comme les médecins le feraient dans un coma artificiel qui préviendrait la douleur, sur les cinquante années de gouvernance oiseuse algérienne afin de tenter avec certainement des générations moins naïves qui ne veulent pas deviner un autre demi-siècle d’imbécillité.

Nadir Bacha

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