Khamsin s’na barakat

Boumediene présente ses unités pendant l'été de l'indépendance.
Boumediene présente ses unités pendant l'été de l'indépendance.

En ce 5 juillet 2012, j’errais sans repères dans les rues d’Alger, hagard, quand soudain ! me vint à l’esprit le souvenir de ce même jour, il y a cinquante ans.

J’avais six ans. L’âge où tous les sens sont à vif. L’âge où l’on a envie de tout entendre, tout savoir, tout voir et tout vouloir. Vouloir transgresser toutes les lignes de démarcations auxquelles on est astreint. Ce jour-là ! n’était pas un jour comme les autres. Ce jour-là il y avait autour de moi une agitation inhabituelle, sans pareille. Le monde était sens dessus dessous. Ma perception du temps et de l’espace habituels en était affectée par cette soudaine irruption massive de la population dans les rues. Même les femmes étaient présentes en nombre. Sans voiles. Il n’y avait pas de barbus non plus. Presque tous les habitants du village étaient dehors. Je prenais soudainement conscience que l’on étaient plus nombreux que je croyais à habiter notre village. Et certainement, il y en avait autant dans les autres villes et villages. Et certainement, aussi heureux que les miens. Les gens gesticulés dans tous les sens, leurs cris de joie portaient très loin. J’étais parmi eux, frayant mon chemin, noyé dans un paysage sonore, telle une symphonie de bonheur. Les gens étaient heureux et ils me le communiquaient. Cela me rassurait et leur joie me contaminait. Ce jour-là par Boumediene, je ne le revis plus. Je ne connaissais que le nom de ce monstre. Sa terreur se voyait sur l’inhibition de la joie après ce jour-là, que jadis manifestaient les habitants de mon village. Le bonheur que j’éprouvais avait disparu dans les abîmes de la cupidité. Cinquante ans plus tard, je suis encore là ! hagard, errant dans les rues de la capitale, sans repères et sans pouvoir revivre ce jour de bonheur, qui est resté enfui à jamais dans ma mémoire. Les années venant, me firent comprendre que mon peuple avait accédé à son indépendance. Il avait conquis son autodétermination, grâce au courage et a l’abnégation de valeureux martyrs sacrifiés pour notre libération. Pour un temps, car le monstre était revenu subitement sous un autre visage et avait mis brutalement fin à mon rêve.

Mais ce jour du 5 juillet 2012 je repris espoir grâce au souvenir du courage et de l’abnégation des valeureux martyrs, qui ont combattu les forces d’occupation coloniale à mains nues. Grâce à la commémoration de leur détermination, avec laquelle ils ont été jusqu’au bout de leur rêve impossible. En combattant la quatrième puissance mondiale avec leur seule force d’aspiration à l’autodétermination, jusqu'à leur anéantissement. Et dans leur anéantissement, ils ont été jusqu’au bout de leur rêve : la libération du territoire qu’ils ont légué après eux. Le souvenir de leur combat à l’occasion de ce 50e anniversaire de l’indépendance provoqua un sursaut de dignité chez mon peuple, qui a fini par renverser le cours de l’histoire. Il se dressa comme un seul homme, en brandissant le même slogan sur toute l’étendue du territoire : 50 ans barakat. Il arracha les 50 000 emblèmes disposés dans les rues de la capitale, et dans toutes les autres villes et villages, il fera de même. Il défilera avec les emblèmes frappés du croissant et de l’étoile, dessinés par le sang des martyrs, en brandissant partout le même slogan : 50 ans barakat. Plus rien n’a pu arrêter ce sursaut de dignité. Même pas les matraques, les balles, les tortures, les massacres de masse, les enlèvements et disparitions des meneurs ou d’anonymes martyrisés pour l’exemplarité. La lâcheté des despotes qui ont exploité la victoire des martyres s’est intensifiée en terreur devant un peuple sans armes, et plus qu’elle s’intensifia, plus la détermination du peuple dressé comme un seul homme doubla d’orgueil et le slogan devînt plus puissant et plus clair, répété partout en cœur : Khamsin s’na barakat. La violence du monstre déchira l’ardeur des premiers arrivés, mais ne parvint pas à endiguer le torrent de l’indignation. La solidarité aidant précipitera les derniers hésitants dans la scène de la libération. Les feux d’artifices qui ont été disposés pour leur aveuglement et les troupes folkloriques qui ont été dressés pour leur abrutissement volèrent en éclats. Le monstre recula ! revint à la charge ! recula encore plus une deuxième fois. Plus qu’il recula, plus l’ardeur du peuple redoubla de férocité. Plus que le peuple redoubla de férocité, plus sa détermination s’intensifia. Il fera reculer de plus en plus loin le monstre, jusqu’à sa fuite vers ses protecteurs. La bonne nouvelle se répondit partout comme une traînée de poudre. Le monstre a fui ! cria la foule en délire.

Le souvenir de l’indépendance submergea les esprits et tout le peuple se mit à fêter la victoire. La deuxième victoire sur le monstre. Celle d’hier, par les aînés et celle d’aujourd’hui par nous-mêmes, dont on s’enorgueillit jusqu'à l’extase. On aura dorénavant deux commémorations à fêter, tous les 50 ans. Le despote de l’Ouest ne viendra plus nous humilier avec son cynisme, en s’adressant au monstre avant sa fuite, ironiquement : «Je voudrais me féliciter pour vos efforts continus dans la construction d’un État stable et dynamique pour le peuple algérien cinquante ans après avoir recouvert l’indépendance.» Et le despote de l’Est, non plus, ne viendra plus ricanant à la face de notre malheur «le gouvernement et le peuple algérien se consacrent à l’édification du pays.» On aura tourné au ridicule ces autres prédateurs mangeurs de peuples. Leur sarcasme se joindra à celui d’Alliot-Marie, pour effacer à jamais leur humanité de la face de la terre. Soudain je trébuchai sur les pieds d’un policier en faction, se tenant dans la discrétion. Il brandit sa matraque vers mon visage, menaçant.

Si ce n’était pas la fête de notre indépendance, je t’aurais ensanglanté espèce de gueux me lança-t-il dans la face. Puis me pria de déguerpir. Je déguerpis tout en restant agrippé à mon rêve éveillé. Je l’avais pourtant fait fuir, le monstre. Dans mon rêve. Entêté, je persiste à prendre mon rêve pour la réalité. J’étais déjà heureux de l’avoir fait fuir. Même si cela n’était pas la réalité. Fière je redressai la tête et avancé vers un groupe de jeunes courroucés. Ils m’interpellèrent et me prièrent d’aller avec eux. Ils étaient aussi heureux que moi. Ils avaient fait le même rêve. Nous croisâmes d’autres jeunes gens aussi heureux que nous. Nous nous assemblâmes jusqu'à ce que nous formions une foule déterminée à rêver et à porter le rêve jusque dans la mémoire des martyrs…

Youcef Benzatat

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Commentaires (5) | Réagir ?

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zahir azzoug

Vous parlez d'indépendance ! Notre pays est en régression continue ; pas de soins pas de médicaments, car nous faisons toujours recours à cette France, sans oublier les retards de réalisation de tous les chantiers...

Et on ose parler de... istiqlal, YAKHI !

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oziris dzeus

Le rêve s'est transformé en cauchemar par la grâce des démons du clan boutef&co. 50 ans de gabegie ça suffit.

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