Rachid ne viendra plus. Bouteille, il te reste la mer. Et toi, l’ami, débrouille-toi avec ce soudain, absurde et long silence. Rachid ne viendra plus. Il n’était plus de rôle à la mesure de l’homme. Plus rien à dire, plus rien à frimer. C’était la dernière. Voilà un bout de temps que c’était la dernière. Personne pour lever les tristes rideaux sur cette putain de rade ! Rachid ne viendra plus. Il est mort. Comme tout le reste. Il restait bien nos soirs de putains désenchantées et le prochain souvenir de Boudjemâa, ce quelque chose de La Madrague qui faisait encore palpiter le coeur, le cœur, ce machin qui servait à Rachid pour consoler les hommes, qu'il portait, tendre et ingénu, comme celui d'un enfant, et qui lâche, bien entendu, au mauvais moment. Il paraissait souvent le cœur gros, Rachid, comme on dit d’un cœur gagné par l’excès de chagrin. Mais non ! Si triste que soit ce cœur lassé mais palpitant, le coeur à Rachid n’était ni gros ni lourd. Le cœur n’est jamais si lourd que quand il est vide. Rachid ne viendra plus. Il était cet homme qui regardait tomber le soir par la fenêtre et, dans les pénibles moments où La Madrague lui apparaissait si défraîchie et si hantée de faiblesse, il dégainait de ce courage singulier pour ressusciter la jeunesse dans les cœurs, l’amour, la jouissance de ce qui est noble et humain et rappeler à la tablée un devoir de jubilation, la vie n'est pas la mort, la mort, mes amis, si on ne la redoute plus, rend alors éternel chaque instant de notre existence à condition de bien le savourer. Une tournée, une ! Rachid ne viendra plus, mais le soir, dans le coin là-bas, sous la pénombre, il y aura toujours cette silhouette d'un temps immortel pour rire de nos accablements. L'acteur, souverain, sera alors devenu stèle sur la scène de nos illusions.

M.B.