Le régime de la terreur et la hantise du peuple

Le pouvoir s'appuie sur un système policier qui empêche toute expression publique.
Le pouvoir s'appuie sur un système policier qui empêche toute expression publique.

Pourquoi n’appelle-t-on pas les choses ainsi en Algérie : terreur du pouvoir, soumission de la classe médiatique, politique, clientéliste et hantise de la terreur du peuple.

À la question : pourquoi le peuple algérien ne se révolte-t-il pas pour réclamer son droit et sa dignité de peuple libre ? Pourquoi ne se demande-t-on pas : le peuple algérien a-t-il peur ? Si tel est le cas de quoi a-t-il peur ? De qui ? Par quels mécanismes la machine de la terreur, exerce-t-elle son pouvoir dissuasif ? Pourquoi et comment on en est arrivé là ? Quel visage et quel nom mettre sur le coupable du traumatisme profond que subit ce peuple meurtri, trahi, avili jusqu'à sa néantisation ? Autant de questions qui nous permettront de mieux comprendre et de partager collectivement, consciemment, aussi bien la détresse de ce peuple que ses traumatismes les plus profonds et sa hantise la plus obsessionnelle.

Ces éclairages nous permettront certainement de mieux appréhender la nature profonde et mystérieusement occulte du pouvoir qui le terrorise, la nature de la relation symbolique ou institutionnelle qui les relie dans leur destin commun et de la manière la plus transparente. Si tel est le mal qui ronge le peuple algérien, pourquoi ne nous attardons pas sur cette foule de questions et rendons cet exercice nécessairement obligatoire et prioritaire dans nos interactions sociales, intersubjectives, médiatiques et politiques. Ce peuple ne mérite-t-il donc pas autant d’attention et d’intérêt, ou alors est-ce la terreur exercée par ce pouvoir qui est si tyrannique,  qu’elle fait "boguer" notre conscience et atrophier nos sens. Nous impressionner au point de nous rendre timide, de nous inspirer de la crainte et nous remplir de troubles. Produire tant d’effets sur nos esprits jusqu'à la confusion. Nous accabler tellement de soucis, jusqu'à nous faire souffrir moralement et nous plonger incessamment dans un sentiment de harcèlement et de persécution, terrorisés par la crainte de subir continuellement ses traitements cruels et inhumains. Nous réduisant à des victimes exprimant pudiquement notre douleur avec consentement.

Que ce pouvoir emploie cette terreur, en nous harcelant sans arrêt pour nous épuiser et nous faire vivre sous son joug pour briser toute opposition politique en nous et atteindre son but d’autorité, de contrôle et de domination, justifie à lui seul notre prédisposition à la soumission et de lui permettre d’exercer un ascendant moral sur nous, nous influencer et nous aliéner dans son charisme. Réconforté par notre tourmente dans la hantise de sa terreur, le pouvoir ne se considère pas redevable de transparence dans ses activités ou dans son fonctionnement. Que ça soit les communiqués, les sorties médiatiques de ses représentants, voire les actes institutionnels officiels,  ils résonnent le plus souvent comme un langage codé et hautement symbolique, adressé aussi bien à l'opposition, qu'à toute la société dans ses différentes composantes. Cette stratégie a pour finalité essentielle la création et la gestion d'un climat de terreur, pour dissuader toute entreprise audacieuse de contestation de son hégémonie politique. Quand les actes de langage, cyniquement performatifs, ou les actes institutionnels, grossièrement démagogiques, fausses reformes, fausses fraudes électorales, ne suffisent pas, il n'hésite pas à recourir à des actes de justice, en condamnant excessivement des contestataires, à des peines  exemplaires, à finalité dissuasive. Toutefois, il lui reste comme ultime recours, l'usage de la force brute. Pour cela, les services de sécurité sont systématiquement sollicités pour neutraliser toute violation d'un borderline, signifié implicitement par le pouvoir à la société et intériorisé par elle, sous la pression d’une terreur implicite. C’est sa façon de diriger politiquement la nation, d’une manière adroite et calculée. Cette manière ne se résume qu’à la violence politique, par la force brutale, la contrainte et la violence faite à la loi.

Le peuple, la multitude, la foule, cet ensemble de ceux qui composent les classes sociales modestes, sans privilèges, sans protection, qui, par crainte de subir la foudre de la répression barbare s’il venait à se révolter, se réfugie dans la soumission et se met dans un état de dépendance, disposé à obéir et à se soumettre. Entre la pulsion de retrouver sa dignité par la révolte et sa retenue, cette situation l’accule à vivre dans la crainte, dans un sentiment d’insécurité, source de névrose, dont il est conscient et qui provoque en lui ce déséquilibre psychique permanent, qui le mène jusqu’à l’autodérision extrême. Celle-ci peut aller jusqu'à l’auto-immolation ou la fuite suicidaire sur des embarcations de fortune vers une issue, dont il est conscient qu’elle est  incertaine. L’obsession, cette pensée qui s’impose à la conscience collective, dont elle ne peut s’en débarrasser, cette idée fixe, qui met le peuple dans cet état de panique permanente, le domestique et le rend servile, tout au plus le pousse vers ces actes irrationnels que sont l’immolation ou la harga.

La classe médiatique, politique et les réseaux clientélistes, qui gravitent autour du pouvoir central occulte, subissent à leur tour cette terreur, qui les accule dans une anxiété permanente, de peur de ne pouvoir supporter sans risque, toutes sortes d’attaques qui peuvent être dangereuses, aussi bien pour l’intégrité physique de leurs membres que pour leurs intérêts individuels et collectifs. Intimidée en permanence, effrayée par le poids de la pression, vivant dans l’inquiétude, aliénée dans cette terreur en cédant à une peur collective vague et incontrôlée, dont les contours sont indéterminés, cette tierce société, dans sa névrose collective, redoute et envisage comme dangereuse toute initiative pouvant contrarier les mécanismes à l’œuvre de cette terreur sans visage. À défaut d’être considéré comme une classe moyenne, intermédiaire entre un pouvoir occulte et une masse informe d’individus sans privilèges ni représentation, ce corps social est chargé d’assumer une parodie d’État, au détriment de tout ce qui dénote un caractère de dignité et de courage à ses membres, qui pourrait être comptabilisé au profit d’une personnalité indépendante et citoyenne. Cette absence de courage lui fait subir passivement toutes sortes d’influences contre productives, pour la construction d’un véritable État souverain. Tout semble fonctionner comme si les processus à l’œuvre dans la génération de cette terreur qui est au fondement de tout ce qui est structuré ou empêché de l’être et la hantise qu’elle induit, seraient une malédiction qui relève plus de la fatalité de notre histoire et de nos conditions présentes que d’une volonté concertée et maîtrisée.

La psycho-politique de la transition vers la modernité incriminerait dans notre cas les résidus des structures sociales patriarcales, comme obstacle structurel à toute possibilité d’émergence d’un Etat de droit, démocratique et moderne, fondé sur la citoyenneté et la liberté de conscience. Bien que le code de la famille et la permanence de l’allégeance au zaïm à la tête de toute organisation politique ou sociale attestent plus de la survivance de l’intégralité de l’édifice patriarcal que de simples résidus ; on le voit à l’œuvre avec l’exercice de l’autorité par Hocine Aït Ahmed, Abdelaziz Belkhadem, Ahmed Ouyahia ou de tout autre chef de parti politique ou d’organisation sociale. Responsable selon ses méthodes d’analyse, du piège de la boucle du statu quo dans lequel nous sommes enfermés, entre la pulsion du désir de libération et le reflux que provoqueraient  les résidus de ces structures sociales patriarcales dans lesquelles nous sommes inconsciemment aliénés. La fausse reforme, la fausse fraude, pour une vraie stratégie de la terreur, constitue la superstructure stratégique de la gestion de ce statu quo. C’est en cela, qu’après les législatives du 10 mai, l’Algérie s’est réveillée avec une gueule de bois, abasourdie, effarée, complètement stupéfaite, par un sentiment d’incompréhension total, qui ressemble à l’horizon incertain de l’obscurité lointaine qui fait contraste à la faible lueur qu’éclaire une nuit de pleine lune. On s’y attendait tout au plus à une reconfiguration conséquente de la façade démocratique, question d’avoir le sentiment que quelque chose a changé, et que le pouvoir aurait fait semblant d’écouter les doléances du peuple et qu’il s’est donné la peine de lui apporter satisfaction. Mais cela ne pouvait se passer ainsi, car la gestion de ce statu quo par la terreur ne pouvait s’accommoder de la restitution de la souveraineté au peuple, sous la pression et contre sa volonté, fusse-t-elle sous une forme illusoire.

Comment peut-on parler de fraude électorale, alors que 80% des électeurs potentiels n’ont fait aucun choix et qu’ils ont plutôt boycotté les élections ? Quant aux 20% restants, ils ne représentent, outre l’armée et les différents corps des services de sécurité et leurs proches, que les clients du pouvoir, ainsi que quelques irréductibles, qui sont complètement aliénés dans un nationalisme primaire, et dépourvus de toute conscience politique. Parmi ceux-là, ce sont surtout, ceux qui ont subi de plein fouet la campagne de dépolitisation de masse, orchestré cyniquement par le pouvoir depuis l’indépendance nationale et abandonnés à eux-mêmes, en végétant dans une conscience pré politique. L’argument de la fraude permet au pouvoir de déplacer le problème, car cela lui permet de dire que le peuple a voté tout en refoulant son rejet des conditions de préparation du processus électoral lui-même par le boycott. Car, c’est plus facile pour lui de nier la fraude, puisque l’on ne peut pas le lui contester à défaut d’une tierce instance d’arbitrage neutre. À la limite, il peut recourir au déni de fraude unilatéralement par le chantage et la contrainte. Le déni de ne pouvoir reconnaître au peuple son choix sur le rejet et la rupture avec le système dominant, à la lumière du déroulement de ces législatives par le boycott, est l’expression évidente du cynisme avec lequel ce pouvoir terrifie ses sujets. En lui imposant sa version des faits à laquelle il doit se soumettre ou s’exposer à une répression violente s’il vient à la contester. Auquel il faut rajouter le mensonge. D’abord, le mensonge sur les chiffres des résultats du suffrage, qui ne représentent aucune correspondance avec la réalité, telle qu’elle est sortie des urnes. Ensuite, le mensonge sur la crédibilité du déroulement du processus électoral que la CNISEL avait contrarié dans son rapport final, qui a fait sortir l’évidence de l’illégitimité de l’assemblée nationale. Sans effet, car, hors délais. Dans ce cas, le pouvoir fait prévaloir par méprise l’argument du fait accompli, puisque l’assemblée nationale était déjà installée officiellement.

Par le mensonge, le pouvoir a également réussi à piéger le FFS, dans le cadre d'un marchandage obscure, pour sa participation aux législatives, dont il n'a pas visiblement respecté l'engagement. Celui qui consistait à garantir des élections propres de manière à permettre un bouleversement du rapport au politique, selon l'objectif annoncé par le FFS, en visant à rendre institutionnel et visible le lien entre les institutions de l'État et les représentants du peuple, « mettre du mouvement dans le statut quo » comme il n'a cessé de le clamer pour justifier l'injustifiable. La stratégie du pouvoir à l’égard du FFS semble à priori viser deux objectifs complémentaires pour neutraliser définitivement ce gros parti, qui reste pour lui une véritable menace par sa radicalité et par son important ancrage dans la société. Le premier objectif consistait à ne lui laisser le choix que d'être discrédité par l'opinion nationale, par sa position de compromis avec sa participation au jeu électoral. En contrariant la position du peuple dans son rejet des fausses réformes et des conditions de préparation du processus électoral, imposées unilatéralement par le pouvoir contre sa volonté et qu’il a jugé insuffisantes.

Cet objectif a été atteint, car le FFS est désormais discrédité par l’opinion populaire, comme l’eût été le RCD par sa compromission avant lui. Le deuxième objectif visait à l’implosion du parti, en marginalisant ses militants les plus actifs et les plus irréductibles à la compromission. Ce deuxième objectif, déjà entamé, par l’émergence de deux discours contradictoires entre une partie de ses cadres et de sa direction et par la sanction de certains cadres parmi les plus actifs, y compris l’ancien secrétaire national Karim Tabbou, semble à ce stade de son développement irréversible. Car l’objet du conflit ne laisse aucun choix à la direction du parti, ou bien s’aligner sur la position des cadres « dissidents » et préserver son image devant l’opinion populaire ou alors disparaître en tant que parti d’opposition pour ne devenir qu’un satellite du pouvoir central, avec tout ce que cela implique comme discrédit. Parce que dans leurs discours, les cadres visés par cette « purge » dénoncent principalement une dérive politique du parti par sa normalisation, son alignement et sa complicité, par un deal avec les cercles du pouvoir. Le brouhaha que tente de faire la direction du FFS, en essayant de dissimuler, en la légitimant, une bourde politique, qui est sans égale, de toute autre faute politique qu'il aurait pu commettre en 50 ans d’opposition radicale au système, détourne le débat de son essence politique, pour le confiner à une chasse aux sorcières. C’est-à-dire, au lieu d’orienter le débat vers son enrichissement par les propositions de ses militants, démocratiquement, pour déjouer la stratégie du système, elle le confine dans une sorte de hargne donquichottesque contre toute opinion libre et indépendante impliquée par le devoir citoyen d'analyser et de formuler des propositions sur la sortie de crise induite par la participation du parti aux législatives. En s’entêtant dans sa position, la direction du parti est en train de se tirer une balle dans le pied.

Sous la justification de contribuer à mettre du mouvement dans le statu quo, en privilégiant le strapontin dans une assemblée d’enregistrement et en oubliant l’essentiel, qui est de rechercher à inventer de nouvelles formes et conditions de débat qui inaugurent la politique comme force de dé légitimation d’un pouvoir totalitaire, qui instrumentalise une démocratie de façade, la direction du FFS est en train de renforcer plutôt un système, qui a institué la terreur comme mode de domination. Prenant la destinée d’un peuple en otage, en le privant de ses droits élémentaires et de ses libertés fondamentales. 

Youcef Benzatat

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Commentaires (5) | Réagir ?

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mustapha ouahadda

Moi-même j'ai été tabassé par hama loulou, je me souviens et je me souviendrai toujours de ce moment là, il restera graver dans ma mémoire, c'est pourquoi je n'aime pas l'injustice! Cela dit, je n'aime pas juste l'injustice mais tout ce qui nuit l'être humain. En tant qu'algérien, réside au canada, et ce, dans le cadre de l'immigration. J'ai gagné au moins quelque chose en mettant à l'abri mes deux enfants, ils sont heureux! Si j'y suis resté dans ce pays (l'algérie) macabre là où il n'y a plus rien même pas un endroit où on pourrait se reposer tranquillement. J'aimerais bien que le Canada verdoyant, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, ressemble à mon pays, la numédie, l'algérie. Hélas, ces gens qui sont à la tête de tous les pouvoirs sont contre l'essor, contre la culture, contre le savoir, contre la vraie politique, contre la vraie économie basée sur des regles internationales. Je me demande si bouteflika se regarde dans la glace chaque matin lorsqu'il se rase. Parce que tout être humain sensé, il pense, il réfléchit! Je me demande aussi pourquoi est-il contre les débats contradictoires entre lui et ferhat mehenni, par exemple. Ferhat mehenni est un grand homme de valeur. Mustapha depuis canada.

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khelaf hellal

Vous voulez dire que le temps a fini par donner raison au RCD et que le FFS n'a pas tiré la leçon du passé en plongeant les yeux fermés dans un simulacre d'élections législatives auquel il a apporté toute sa caution jusqu'à servir d'alibi dans l'arnaque. Le RCD a bravé le régime de la terreur à la place de champ manoeuvre par temps de pluie lorsque les pantouflards et les tire-au-flancs sont restés au chaud dans leurs appartements à rêver de changement. Trêve d'amalgames dévastateurs ! Que voulons-nous au juste ? Nous ne faisons que dénigrer les meilleurs d'entre nous, ceux qui nous montrent l'exemple de l'action et de la lutte pour l'émancipation et le progrés de notre peuple. Nous n'avons jamais vu le déployement d'autant de moyens de la représsion policiére depuis la Bataille d'Alger disait Said Saadi durant les marches de la CNCD à Alger. Des personnes agées de la stature de Ali yahia Abdenour ont bravé les imtempéries pour venir battre le pavé pendant que d'autres complotaient dans le noir pour étouffer toute vélléité d' aspiration au progrés et à la liberté . Les jeunes manipulés se faisaient enrôler en baltaguias au service du pouvoir pour casser toute forme de soulévement. " Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ". L. Blum.

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