Abdelaziz Bouteflika, entre discours et des réformes sans lendemains

Abdelaziz Bouteflika
Abdelaziz Bouteflika

"A vouloir perpétuer des comportements passés, l’on ne peut aboutir qu’à une vision périmée"

Comment ne pas se remémorer les promesses des dirigeants politiques algériens qui ont présidé aux destinés du pays au nom de la légitimité historique entre 1963 et 2012. Le président de la République dans son discours du 08 mai 2012 à certains opportunistes qui clamaient un quatrième mandat évoque pour ceux qui veulent bien l’entendre, la fin de "l’Etat de la mamelle, puis celle de la légitimité révolutionnaire". Cela signifie surtout que le pouvoir bienfaisant comme contrat politique implicite par les tenants du "socialisme de la mamelle" afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politique – et qui efface tout esprit de citoyenneté active , ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir où c’est la norme du droit et de la morale qui doit reprendre sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté.

En ce mois de mai 2012 le constat est amer : vieillissement des élites politiques issues de la guerre de libération nationale, obsolescence du système politique et enjeux de pouvoir internes, crise économique, sociale et culturelle et, enfin, contraintes externes de plus en plus pesantes ont abouti à l’absence dramatique d’une véritable stratégie nationale d’adaptation au phénomène total et inexorable que sont les mutations tant internes que mondiales. La conjonction de facteurs endogènes et exogènes a abouti finalement à une crise systémique d’une ampleur inattendue et à une transition chaotique qui se traîne en longueur depuis au moins 1986. En Algérie, l’observation lucide met en relief des partis débridés incapables de mobiliser et quatre sociétés civiles fondamentalement différentes et antagoniques, trois au niveau de la sphère réelle et une dominante dans la sphère informelle. Une société civile, interlocuteur privilégié des pouvoirs publics appendice du pouvoir se trouvant à la périphérie des partis du FLN/ RND/MSP qui, aux dernières élections législatives ont obtenus 13% de voix par rapport aux inscrits vivant en grande partie du transfert de la rente. Deuxièmement, une société civile ancrée franchement dans la mouvance islamiste formant un maillage dense. Troisièmement, une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement représentée peu structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et minée par des contradictions en rapport, entre autres, avec la question du leadership. On trouve une société civile extra Droit car lorsqu’un Etat veut imposer ses propres règles à la société, celle-ci enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner avec ses propres organisations, une société civile informelle qui n’était pas présente alors qu’elle contrôle 40% de la masse monétaire en circulation, contribuant à plus de 65% des segments des produits de première nécessité et employant une fraction importante de la population active. Sans l’intégration intelligente de la sphère informelle, loin des mesures autoritaires il ne faut pas compter à fonder un Etat de droit et aller vers une réelle dynamisation de la société.

Fuite des capitaux

La situation actuelle montre clairement (sauf à ceux qui vont dans l’autosatisfaction déconnectés des réalités sociales), une très forte démobilisation populaire due à ces signes extérieurs de richesses souvent non justifiées, la détérioration du niveau et genre de vie de la majorité de la population avec le retour à l’inflation , des réserves de change dépassant qui clôtureront à 205 milliards de dollars fin 2012 dues à des facteurs exogènes, n’étant pas signe de développement, grâce en grande partie aux hydrocarbures. Et comme le démontre les moins de 2% des exportations hors hydrocarbures en 2011, 70/75% des besoins des ménages et des entreprises étant importés (syndrome hollandais), un taux de croissance relativement faible tiré essentiellement par les dépenses publiques inférieur à 4 % entre 2007/2011, non proportionnel aux dépenses monétaires, les 80% des segments hors hydrocarbures étant eux mêmes tirés par la dépense publique, le programme de soutien à la relance économique 2004/2009, sans bilan, ayant été clôturé à 200 milliards de dollars et sur les 286 milliards de dollars programmé entre 2010/2014, 130 sont des restes à réaliser du programme 2004/2009 (mauvaise gestion, corruption, projets mal ciblés etc). Comme suite logique de la mauvaise gestion et de la corruption qui s’est socialisée avec certainement des fuites de capitaux importants, comme l’atteste la cotation du dinar algérien par rapport aux devises fortes sur le marché parallèle de 45/50% par rapport au cours officiel, des tensions sociales que l’on essaie de tempérer à travers une redistribution désordonnée de la rente avec le risque d’un hyperinflation à terme, le taux de chômage officiel ne reflétant pas la réalité assistant à la dominance des emplois rentes pour une paix sociale fictive.

La gérontocratie au pouvoir

Certes, les Algériens voient toujours les mêmes têtes sans bilans avec des permutations perpétuelles, comme si l’Algérie était stérile avec ce discours depuis 1970, on prépare la relève pour la jeunesse. Une personne née en 1962 a aujourd’hui 50 ans et peut être grand mère ou grand père. Encore que l’âge n’est pas toujours déterminant mais la mentalité culturelle du changement productif, pouvant trouver un jeune moulé dans le parti unique plus conservateur qu’un autre ayant dépassé les 60 ans. L’essentiel est de s’attaquer au fonctionnement de la société par de nouveaux mécanismes de régulation politiques, sociaux et économiques. Il est unanimement admis par les analystes sérieux, privilégiant uniquement les intérêts supérieurs de l’Algérie et non la distribution de la rente des hydrocarbures, qu’un changement de gouvernement, de ministres et de députés n’apportent rien de nouveau si l’on maintient le cap de l’actuelle gouvernance politique et sans apporter une cohérence et une visibilité à l’actuelle politique socio-économique. Les enquêtes des instituts de psychologie du travail internationaux montrent clairement que pour les managers économiques (PDG de grandes entreprises) ou des managers politiques (ministres) qu’au delà de cinq années, pour 75% de cas, 25% étant des femmes ou hommes exceptionnels-ils deviennent amorphes et incapables d’innovation, avec le risque de s’entourer d’une cour aussi stérile d’où le danger d’une inertie générale. Cela explique que souvent dans les grands pays démocratiques on limite les mandats présidentiels à deux.

Une "élite" soumise et rentière

Dès lors nous avons deux options : soit satisfaire les appétits partisans par une redistribution passive de la rente en maintenant l’actuel système politique, l’ancien parti du FLN des années 1980 éclaté en trois composantes, FLN-RND-MSP et la majorité de ces micropartis récemment agrées étant ces transfuges de ces partis et de 30 ou 40 ministères sans efficacité réelle, incapables de mobiliser et de sensibiliser, laissant lors d’émeutes les citoyens face aux services de sécurité, qui s’entrechoquent avec des confits de compétences ce qui ne peut que conduire à une déflagration sociale à terme. L’Algérie ne saurait invoquer sa spécificité face au printemps démocratique qui secoue le monde arabe et devrait méditer les nouvelles mutations politiques. Pour éviter les réformes du régime, certains dirigeants arabes se réfugiant dernière l’islamisme radical, le combat contre le terrorisme et invoquant la main de l’extérieur comme facteur de déstabilisation. Or ce sont des combats d’arrière garde, les Occidentaux les ayant abandonnés malgré leur servitude, dans la politique n’existant pas de sentiments mais des intérêts, à l’instar des anciens dirigeants tunisiens, égyptiens et récemment des actuels dirigeants yéménites, syriens et libyens. Avec l’avènement d’Internet qui modèle l’opinion et l’entrée des sociétés civiles, ces discours ne portent plus ce qui préfigure d’ailleurs une reconfiguration des nouvelles relations internationales prenant en compte les exigences de dignité et de liberté au niveau des populations du Sud. Certes le danger extrémiste source d’intolérance est réel mais l’on doit comprendre qu’en se réfugiant derrière le statu quo par le frein à la démocratisation avec une répartition inégalitaire des richesses et la corruption d’une certaine caste, que leurs comportements favorisent le terrorisme et l’islamisme radical et qu’ils en sont en grande partie responsables. Pour freiner cette démocratisation, l’exode de cerveaux massif des pays arabes et l’Afrique est souvent voulue par certain dirigeants, malgré certains discours de propagande à usage de consommation intérieure envers la diaspora, ne faisant presque rien pour retenir ce qui reste, vidant la substance de leurs pays. C’est que l’élite ne peut s’assimiler à un tube digestif mais aspire à conquérir des espaces de libertés par la participation à la gestion de la Cité.

La dynamique stationnaire des réformes

Aussi s’agit-il impérativement d’engager de véritables réformes structurelles non réalisées durant ces dernières décennies toujours différées du fait de rapports de forces contradictoires qui se neutralisent pour le partage de la rente des hydrocarbures. Elles seront douloureuses d’où l’urgence ‘une austérité partagée et d’une moralité sans faille de ceux qui auront à diriger la Cité. Ainsi sur le plan interne, s’agit-il d’engager les véritables réformes politiques, économiques et sociales, pour une société de liberté plus participative et citoyenne fondée sur des entreprises compétitives dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux, par la prise en compte de l’environnement et de la qualité de la vie pour un espace plus équilibré et solidaire qui doivent impérativement toucher : le système politique, centre névralgique de la résistance au changement et à l’ouverture, régime parlementaire ou présidentiel ; la justice par l’application et l’adaptation du Droit, la lutte contre la corruption se socialisant devenant un danger pour la sécurité nationale qui fait fuir les capitaux ; le système éducatif, centre d’élaboration et de diffusion de la culture et de l’idéologie de la résistance au changement et à la modernisation du pays ; le secteurs des hydrocarbures, source de rente et objet de tout les convoitises ; l’agriculture et une nouvelle politique de gestion de l’eau ; une nouvelle gestion des stratégies sociales et la mise en place de nouveaux mécanismes de régulations sociales devant revoir la gestion des caisses de retraite et de la sécurité sociale , les subventions ciblées devant dorénavant être budgétisées non plus au niveau des entreprises mais sur le budget de l’Etat ; la réforme du système financier est un préalable essentiel à la relance de l’investissement privé national et étranger, les banques publiques et privées étant au cœur d’importants enjeux de pouvoir entre les partisans de l’ouverture et ceux de préservation des intérêts de la rente, étant considérée, à juste titre, comme l’indice le plus probant de la volonté politique de l’Etat algérien d’ouvrir ou non l’économie nationale à la libre entreprise ; l’intégration de la sphère informelle car il est démontré à partir d’expériences concrètes, que selon les obstacles ou la rapidité de la construction d’une véritable économie de marché concurrentielle qui fait que cette sphère diminue ou s’étend. Cela pose d’ailleurs la problématique de la construction de l’Etat et ses nouvelles missions en économie de marché. C’est faute d’une compréhension l’insérant dans le cadre de la dynamique sociale et historique que certains la taxent de tous les maux, paradoxalement par ceux mêmes qui permettent son extension en freinant les réformes. Et enfin la place de l’Algérie dans la mondialisation, dont les impacts de l’Accord d’association avec l’Europe applicable depuis le 1er septembre 2005 et son éventuel adhésion à l’organisation mondiale du commerce (OMC) sa place dans le Maghreb pont entre l’Europe et l’Afrique son espace social naturel.

En résumé, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître le décalage qui existe entre les potentialités que recèle l’Algérie, et elles sont énormes, et le niveau de développement proprement dérisoire que le pays a atteint après plusieurs décennies d’indépendance. L’entrave principale au développement en Algérie trouve son explication en une gouvernance mitigée, provenant de l’entropie. L’Algérie qui traverse une phase cruciale de son histoire a besoin qu’un regard critique et juste soit posé sur sa situation sur ce qui a déjà été accompli et sur ce qu’il s’agit d’accomplir encore au profit exclusif d’une patrie qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d’une même ambition et d’une même espérance : un développement harmonieux conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale. Et la question est posée : devant assister à d’importants bouleversements géostratégiques mondiaux entre 2015/2020, le discours du président de la république du 8 mai 2012 se concrétisera t-il en acte pour un véritable changement démocratique, tenant compte de notre anthropologie culturelle, l’approfondissement de la réforme globale en panne loin de cette vision de pure dépense monétaire, en ce monde turbulent impitoyable où toute Nation qui n‘avance pas recule forcément, Est-ce un discours de rupture ou de continuité ? Car à vouloir perpétuer des comportements passés, l’on ne peut aboutir qu’à une vision périmée.

Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités Expert international en mangement stratégique

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khelaf hellal

Des réformes sans lendemains ni surlendemains, des belles paroles et des réformes gri-gri et stériles qui n'ont aucune chance d'aboutir sauf qu'elles ont cet effet de vous faire attendre, toujours attendre ce que vous avez déjà attendu depuis 13 ans jusqu'à rejoindre ceux ou celles qui sont passés de vie à trépas sans les avoir connues en attendant comme vous ce qui n'est jamais arrivé. Le seul espoir qui vous reste en fin de compte est d'attendre son tour à celui qui vous a fait attendre depuis ce temps pour enfin aspirer à des réformes sérieuses et des lendemains plus amènes.

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kamel ait issi

Durant tout un temps, je prenais ses gemissement pour des insultes, mais depuis un certain temps, j'en appercois le sens inverse... Mais je vais me contenter du populaire, c. a. d. la blague... Enfin, si vous etes court d'adjectif pour qualifier le mot discours evitant un surusage de vide, alors je vous propose RIGOLO... car pour etre vide, il faut necessairement avoir un volume, c. a. d. une forme... les bla bla bla de ce machin n'en ont jamais eu la moindre. De l'inconscience sans nom...

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