"AQMI, l’industrie de l’enlèvement" : radioscopie d’un mouvement terroriste

La jaquette du livre.
La jaquette du livre.

Entretien avec le journaliste Serge Daniel, journaliste correspondant de RFI en Afrique et auteur de l’ouvrage publié aux éditions Fayard (France).

Quid d’Al Qaïda au Magreb islamique ? Toutes les réponses ou presque se trouvent dans AQMI, l’industrie de l’enlèvement de Serge Daniel, publié chez Fayard (France). Les différents enlèvements perpétrés par le groupe terroriste sont le point de départ d’un travail d’investigation qui remonte aux origines d’Aqmi pour ensuite, d’une part, en révéler les ambitions politiques et religieuses, et d’autre part faire état des stratégies mises en place ou à venir pour les contrer. Entretien avec Serge Daniel, correspondant de l’AFP et de RFI au Mali.

Le journaliste dévoile le vrai visage de cet amoncellement de katibat (cellules combattantes) et de saryat (petites katibat) qu’est Aqmi. "Avec un vernis idéologique, se signalant essentiellement par des enlèvements d’otages, qu’ils libèrent dans presque tous les cas contre une rançon, les combattants d’Aqmi ambitionnent au moins trois choses : devenir les maîtres incontestés du Sahara, du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, rendre la zone infréquentable surtout pour les touristes européens, et déstabiliser les pays, qui seront leurs déclarations, pactisent avec l’Occident", écrit Serge Daniel. Autre "rêve" d’Al Qaïda au Maghreb islamique : instaurer des Etats islamistes dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest. La qualité première de ce livre, très bien documenté, est peut-être sa clairvoyance. Quelques unes des problématiques qui traversent AQMI, l’industrie de l’enlèvement sont mises en exergue aussi bien par l’actualité en France – l’islamisme porté par des Français, comme Mohamed Merah – qu’au Mali, notamment avec l’apparition Ançar Dine, dirigé par l’ancien rebelle touareg Iyad Ag Ghali, qui souhaite l’instauration de la charia au Mali. Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), la rébellion qui sévit dans le Nord-Mali, s’est désolidarisé du mouvement Ançar Dine.

La France a-t-elle pris l’ampleur de la menace qui est prégnante aussi bien dans le Sahel qu’à l’intérieur de ses frontières, dites-vous dans votre livre ?

Oui. Cependant les autorités françaises s’avèrent très discrètes dans leur lutte contre Aqmi. Comparé au Américains, la force des Français dans cette zone est le renseignement. Les Français ont notamment fait du renseignement humain une priorité face à un mouvement qui a plusieurs visages. Il y a, par exemple, aujourd’hui des émirs aux yeux bleus : ce sont des Français ou des bi-nationaux qui sont aujourd’hui formés en Afghanistan.

Vous expliquez que l’enlèvement est un business pour Aqmi qui plonge les Etats dont les citoyens sont concernés dans un cercle vicieux parce qu’ils financent, avec les rançons, le terrorisme. Un retour en arrière est-il possible ?

Payer des rançons reste toujours d’actualité. Areva a payé 13 millions pour les trois otages libérés. Les Espagnols : entre 8 et 9 millions, les Autrichiens : plus de 2,5 millions d’euros, l’Italie, 2 à 3 millions d’euros...

Aqmi a un agenda politique : imposer des régimes islamistes dans les pays du Sahel. Les partis islamistes qui sont arrivés au pouvoir en Afrique du Nord après le printemps arabe constituent-ils un encouragement pour eux ?

Oui et non ! L’arrivée au pouvoir de ces partis est un échec pour Aqmi qui a toujours considéré que le pouvoir ne pouvait s’obtenir que par la force et la violence. Oui, parce que Aqmi sait rebondir. Ses hommes peuvent infiltrer ces partis pour prendre le pouvoir à la base, exactement comme à l’époque du GIA (Groupe islamique armé) en remportant par exemple des élections communales.

Quels sont liens qu’entretiennent Aqmi et Boko Haram ?

Boko Haram n’a pas fait allégeance à Al Qaïda contrairement à Aqmi. Mais Boko Haram fonctionne comme la lettre Y : une branche s’occupe de la situation intérieure au Nigeria – lutte pour imposer la charia et attentats - et l’autre branche a des rapports avec Al Qaïda, notamment pour la fabrication des bombes. Lorsque Boko Haram commet un attentat au siège des Nations unies au Nigeria, c’est un message envoyé à Al Qaïda pour les remercier de les avoir formés pour la conduite de cette opération. Cet attentat est tout simplement une manière de communiquer avec Al Qaïda. J’ai rencontré au Nigeria un responsable des services de renseignement qui a été clair : Boko Haram et Aqmi veulent prendre l’Afrique de l’Ouest en étau.

Dans la lutte contre Al Qaïda, le Mali préconise une action commune des pays de la région sahélienne…

Une réponse intégrée du Mali, du Niger, de la Mauritanie mais aussi du Maroc et de l’Algérie, un pays qui a des moyens de lutter efficacement contre le terrorisme. Par exemple, le budget de l’armée algérienne est de 6 milliards de dollars par an, ce qui représente cinq fois le budget de la Mauritanie. Mais pour le moment, contrairement à Nouakchott, Alger rechigne à envoyer son armée au-delà de ses frontières.

Mais dans la lutte qu’elle appelle de tous ses vœux, le Mali aurait déjà commis un impair…

Le Mali est un pays où on ne refuse rien aux amis, surtout aux amis étrangers. En 2003, les autorités allemandes ont demandé à Bamako de négocier pour libérer des otages européens enlevés en Algérie et transférés au nord du Mali. Le Mali a accepté. A mon avis, ça a été une erreur car les pays, qui demandaient la médiation malienne, sont ceux qui accusent aujourd’hui le Mali d’être un entrepôt d’otages.

Vous expliquez qu’Aqmi bénéficie de complicités au sein des populations locales. Mais ce serait moins parce qu’elles partagent l’idéologie du groupe terroriste que parce qu’elles se sentent abandonnées par les gouvernements centraux…

Dans des pays du Sahel, ce n’est pas l’Etat qui soigne, c’est Al Qaïda qui donne des médicaments dans les zones les plus reculées, abandonnées par les Etats. Cela ne veut pas dire que les populations adhèrent à la philosophie d’Al Qaïda, mais elles se disent : "Ils ne nous font pas du mal, ils nous soignent, nous leur devons ça au moins". Par conséquent, la lutte contre Al Qaïda va de paire avec le développement. Penser le développement dans les régions du Nord-Mali où les populations sont nomades implique, par exemple, d’intégrer une dimension culturelle. Un ami nomade m’a dit un jour : "Vous, les sédentaires, pour par exemple acheter une maison, vous pouvez comme caution, mettre votre maison en gage. Nous, nomades, nous n’avons pas de maisons. Que pouvons-nous gager ? Notre troupeau ? Aucun banquier ne l’acceptera".

Le conflit dans le Nord-Mali est-il une aubaine pour Aqmi ?

Il ne faut pas faire d’amalgame. Les Touareg ne sont pas de nature islamiste. Mais dans les cellules combattantes d’Aqmi, il y a une un petit groupe dirigé par un Touareg et essentiellement composé de Touareg. Ce groupe a participé aux côtés des rebelles du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) à l’attaque d’un camp de militaire malien fin janvier dans la localité de Aguelok, située au nord-est du Mali. Des militaires ont été froidement abattus ou égorgés.

La situation politique en Libye a-t-elle favorisé l’expansion d’Aqmi ?

Toute la région a été déstabilisée. Il n’y a plus de soupape entre la Libye et l’Egypte. Kadhafi payait des gens pour éviter que cette zone soit une passoire. Si Kadhafi n’était pas tombé, il n’y aurait pas eu dans le nord du Mali une rébellion de cette ampleur.

La nature du mouvement, sa zone d’opération, le Sahel, et sa capacité à lever des ressources pour financer cette activité terroriste font d’Aqmi une organisation difficile à combattre. L’espoir ne semble pas permis à la lecture de votre livre ?

Il faut plus que de l’espoir, il faut de l’espérance. Quand on amène dix jeunes dans une katibat, on peut repartir avec entre 10-20 000 euros et un 4X4. Au bout de 45 jours de conditionnement, ils sont acquis à la cause d’Al Qaïda. La pauvreté fait le nid du terrorisme.

Pourquoi ce livre sur Aqmi ?

Un livre pour un journaliste est généralement le prolongement d’un article. C’est un dossier qui m’est familier. Depuis 2003, j’ai suivi les différents enlèvements, j’ai noué des liens avec les acteurs de ces affaires : médiateurs, policiers et diplomates qui ont accepté de me parler. En résumé, j’avais un carnet d’adresses et chacun avait envie de dire quelque chose sur Aqmi.

C’est dangereux d’enquêter sur ce mouvement terroriste ?

On essaie juste de faire son métier. Je sais que certains émirs d’Aqmi souhaitent me rencontrer, notamment Abou Zeid. S’ils me le demandent, j’irai à leur rencontre.

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (1) | Réagir ?

avatar
Raveh Aksel

C'est fou ce que l'on peut entendre de spécialistes ! L'Algérie rechigne à envoyer son armée au delà de ses frontières, c'est totalement faux ! Elle l'a fait en 1999, du coté nigérien, même si le résultat n'a pas été tellement important: sept terroristes tués ! Je trouve les vérités de ce journaliste pas du tout sérieuses !