Pétain, De Gaulle et nous

Aït Ahmed
Aït Ahmed

L’histoire des hommes dans sa plus large acception, quand elle ne bégaie pas, est faite de moments de ruptures et de révoltes contre l’injustice et le déni de toute sorte. Parfois aussi, elle est édifiée par des renoncements et des trahisons.

Dans un cas comme dans l’autre, les acteurs en scène sont aux antipodes les uns des autres. Les premiers, nouveaux et jeunes sont mus par la volonté de rupture des pratiques éculées, dépassées et vieillissantes. Ils ont pour seul horizon le changement par la rupture de l’ordre établi et l’avènement d’un ordre nouveau. Les seconds, en revanche, refusant de se plier à la dure loi du changement et de la dialectique de conflit générationnel, s’arc-boutent à des valeurs sclérosées, figées et fossilisées ; bonnes à ranger dans les musées du temps qui a passé. Têtus qu’ils sont, ils ne cèdent rien et sur rien ; prêts à pactiser, y compris avec le diable s’il le faut.

A l’image de ces deux personnages qui s’entrechoquent, De Gaulle, à Londres était le cri de désobéissance et de révolte d’un patriote qui a refusé la capitulation du maréchal Pétain devant l’ennemi nazi. Pétain, pourtant auréolé de la victoire de Verdun face à ce même ennemi, avait choisi de ternir et de brader l’honneur de son peuple et de tous ses combattants venus de toutes parts et de tous pays par millions pour faire barrage à la barbarie d’alors.

Tel est le long fleuve tumultueux de l’histoire humaine. Souvent les héros d’une épopée glorieuse, faute de quitter la scène au bon moment, se transforment, à l’automne de leur vie, en capitulards. Ainsi donc, il y aurait un âge pour tout. Celui de la bravoure et celui des défaites aux allures d’abdications, de soumissions et de forfaitures.

Ce bref rappel historique de l’un et de l’autre de ces deux personnages qui ont façonné, chacun à sa manière, le visage de la France d’aujourd’hui, conduit directement à établir un parallèle avec la scène algérienne d’hier et d’aujourd’hui. Aussi dans ce cas (l’Algérie), force est de reconnaître que les héros d’hier ont permuté dans leur évolution historique. Selon les cas, certains de ces acteurs ont, dans les meilleurs des cas démissionné pour laisser place à l’arbitraire, à l’injustice et à la déviation de toutes sortes. D’autres, dans le pire des cas, ont purement capitulé en se rendant complices de multiples forfaitures commises contre, d’abord les martyrs qui ont donné leur sang pour libérer ce pays et contre les générations postindépendance auxquelles ils lèguent pour seule perspective la misère et l’exil.

Ce triste constat conduit à revenir sur la décision incompréhensible que vient de prendre le leader du parti FFS, Hocine Aït Ahmed, celle d’appeler à soutenir un processus électoral dont les conséquences n’ont pour finalité que de passer à une deuxième république qui légitimera l’avènement d’un régime islamiste en Algérie. Il y a des tournants dans l’histoire qu’il faut savoir négocier pour y rester à jamais. Ce choix de Hocine Aït Ahmed est loin d’être le cas. Entré dans l’histoire de l’Algérie par la grande porte, il est sur le point de la quitter en sortant par la plus petite des interstices de celle-ci.

Comment comprendre cet édit venant de la part d’un homme qu’on dit avoir consacré tout son combat politique, pour ne pas dire sa vie, à des luttes démocratiques depuis sa prime jeunesse. Que reste-t-il de son cheval de bataille d’hier, ce principe sacro-saint d’une assemblée constituante, lui qui considère que la seule légitimité est celle du peuple qui consent de déléguer à ses gouvernants son pouvoir à travers des représentants légitimes et légalement élus ? Quid des slogans des années 1990 "ni Etat policier, ni république islamiste" ? N’est-ce pas que c’est contre ce même système et ses acteurs, ceux d’hier et d’aujourd’hui, qu’il a été amené, en 1999, à quitter, précipitamment, la compagne électorale au prétexte que les dés étaient pipés d’avance ?

Au nom de quelle real politique offre-t-il, aujourd’hui, son onction à un système qu’il n’a eu de cesse de combattre et de dénoncer et dont le mode opératoire (la fraude et l’intimidation, la cooptation) n’a pas varié d’un iota ?

C’est à toutes ces questions que M Aït Ahmed est invité à donner des réponses pour dire ce qui a vraiment changé depuis ; dans quel sens et en faveur de qui. Osera-t-il le faire et pourra-t-il convaincre tous ceux qui ont de tout temps cru en lui ? L’énormité de la chose est telle qu’il est illusoire d’attendre une réponse à toutes ces questions à moins de se déjuger ou reconnaître sa compromission dans une entreprise aux prémices dévastatrices.

Même ses fervents soutiens, y compris ceux des personnalités politiques qui ont été acteurs du système sont désarçonnés par un tel revirement de sa part ; eux qui ont refusé de se compromettre dans une pseudo-entreprise de réformes, tant il est clair que de telles manœuvres dont les visées ne sont rien d’autres que maintenir le système en le pervertissant, encore, davantage. Le choix de Hocine Aït Ahmed peut s’avérer avec moins d’effets sur le peuple algérien dans sa globalité, tant il ne voit en sa personne qu’un Kabyle qui a combattu, en 1963 les armes à la main, l’Algérie (son pays). En revanche, pour ceux qui ont cru en lui et continuent de le faire (les Kabyles), l’addition sera lourde de conséquences.

Que dire de ces Kabyles et – à un degré moindre - et de ces Algériens qui refusent de voir en la personne de Hocine Aït Ahmed que le héros de la révolution et le chef de l’insurrection Kabyle de 1963 ? Ne sont-ils pas à l’image de ces Français d’entre les deux guerres qui s’obstinaient à ne voir en Pétain que la face éclairée de son visage, c'est-à-dire la victoire de 1918 à Verdun, alors que défilaient sous leurs yeux ébahis les troupes allemandes prenant d’assaut Paris, ses avenues, ses boulevards et ses rues. Peur de regarder la réalité en face, ils avaient longtemps occulté la face sombre de celui-ci, celle de la trahison et de la capitulation.

N’est-il pas venu le moment pour les Kabyles de bien ouvrir les yeux et regarder les choses en face sans crainte aucune de la vérité qu’ils découvrent, à savoir que les héros d’hier avec l’âge aidant, ne le sont plus. Au mieux, ils sont dépassés par les événements, au pire ils ont pactisé avec l’ennemi.

Entre De Gaulle et Pétain, il y avaient des Français qui s’interrogeaient sur la direction à prendre.

La Kabylie, hier comme aujourd’hui est à la croisée des chemins, à l’image de cette France des années quarante, conquise et vaincue. Les siens, comme les Français d’alors, s’interrogent sur leur avenir. Entre ceux qui ont trahi, ceux qui se sont complus et ceux qui se battent avec leur moyens, les Kabyles cherchent leur voie.

Sans flagornerie aucune et même si beaucoup reste à faire, l’image de la France de Pétain et celle De Gaulle, sied parfaitement à la situation que traversent la Kabylie et son peuple.

La Kabylie qui aspire à la liberté, la justice et la dignité pour son peuple est celle qui se trouve dans le camp des autonomistes dont les piliers sont le MAK et, depuis peu, le GPK. Pour les autres, les capitulards, le tribunal de l’histoire est impitoyable. Il les jugera comme ce fut le cas pour tous leurs semblables de tous pays.

Il reste, évidemment, ceux qui ont, à un moment ou un autre, dansé avec les loups, mais que la lucidité n’a jamais quitté quant à ce qu’ils sont véritablement. Eux aussi, le présent et le futur leur enjoignent de se rendre à l’évidence pour cesser de jouer à qui fera le plus peur à l’autre.

Hsen Nat Wadefel

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Commentaires (2) | Réagir ?

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sadek Oumasseoud

Tout comme Degaule qui de londres a appellé à la resistance, Ait Ahmed n'a jamais cessé de resister et d'exhorter les gens à "tenir bon" contre la dictature et ses soutiens !... les deux hommes se ressemblent donc.

Mais à vrai dire, toutes ces critiques qui visent Ait Ahmed n'ont qu'une seule explication:

Du coté des gros pontes, on craint le FFS plus que le FIS, parce que ils savent que le FFS est sur le chemin de la verité et la verité est la hantise de ces gens là !

" Je ne veux pas d'une societé ou d'une part il y a les maitres et de l'autre, des esclaves" (Ait ahmed)

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samir mehalli

toujours avec si elhocine