De Hassi Messaoud à Alger: l'inquisition contre les femmes seules...

Cherifa Kheddar, porte-parole de l' "OVIF"
Cherifa Kheddar, porte-parole de l' "OVIF"

Une mère et ses filles vivant à la cité Dergana, banlieue est d'Alger, accusées de prostitution, ont été victimes d'une expédition punitive par des habitants qui ont incendié leur maison. Il y a dix ans, les femmes de Hassi Messaoud avaient subi ce genre d'inquisition.

C’est sous la forme d’une brève passée inaperçue que cette information a été donnée diluée dans d’autres brèves par la presse nationale. Les faits se sont déroulés à Alger, en plein jour et en toute impunité : un groupe de jeunes de la cité des 480 logements à Dergana, dans la banlieue est d’Alger, a incendié, dans la nuit de lundi à mardi 6 mars derniers, la maison d'une femme habitant avec ses filles, pour de prétendus soupçons de prostitution. Des habitants auraient protesté, à plusieurs reprises, selon des témoins oculaires, auprès de cette famille qu'ils accusent d'avoir sali la réputation de leur cité. Constatant que leurs réclamations n'étaient pas prises au sérieux, ils ont fait sortir ces femmes de chez elles, avant d'incendier leur maison. Les services de sécurité qui sont intervenus après le forfait, ont arrêté les auteurs présumés de cet incendie.

Ainsi, des citoyens vigilants, veilleurs de bonnes mœurs dont ils se disent dépositaires, ont mené une expédition punitive contre leurs voisines de la cité pour le simple qu’il s’agit d'une femme seule, vivant avec ses filles, dont la moindre liberté de mouvement est surveillés par les "pasdarans" sans doute endoctrinés par la mosquée du coin. On imagine facilement comment ces "honorables" citoyens, qui se disent "salis" dans leur "honneur" ont osé une violation du domicile familial "sans homme", faire sortir la mère et ses filles sans qu’aucun voisin ne soit intervenu de peur d’être vu et compromis dans cette affaire qui risque de les éclabousser ainsi que leur famille.

Les "Frères vigilants" ( "FV" comme les qualifie Tahar Djaout) ont mis le feu à la maison, sans doute pour conjurer le mauvais sort et éloigner d’eux et des leurs la "salissure". L’inquisition menée par ces pseudo protecteurs est en fait le résultat direct des prêches incendiaires menés par des imams des cités dortoir, livrées à elles-mêmesr, contre les femmes seules considérées, à ce titre, comme des prostituées en puissance, surveillées à longueur de journées et traquées jusque dans leur intimité. De quel droit ces "bonnes consciences" douteuses s’érigent en châtieurs de prétendues "mauvaises moeurs"? La raison invoquée justifiant cette escalade de la violence envers des femmes sans défense est le soupçon de " prostitution » étant entendu que ce terme de "prostitution" désigne une femme seule, une travailleuse honnête, une jeune fille sans hidjab, une étudiante qui ose faire front aux agressions et autres chantages sexuels de la part de ceux-là même qui crient au sacrilège, défoncent la porte de cette mère de famille, s’octroyant le droit d’ériger le bûcher qui est dans leur tête.

Combien de faits similaires se sont produits dans ces cités où, en vérité, l’ennui, le chômage endémique, l’absence de toute infrastructure sanitaire et sécuritaire, génèrent ce type de violence "mâle" encouragée du haut des minarets ? Quelle citoyenne ayant vécu une tragédie similaire, victime de viols, de menaces, insultée, crachée à son passage dans une cage d'escalier ou dans la rue, oserait porter plainte au risque de se voir accusée de "prostituée" et mettre sa vie en danger ?

Ce qui s’est passé d’intolérable dans cette banlieue est d’Alger s’est produit il y a onze ans, en 2001 à Hassi Messaoud quand un imam fustige la présence des femmes venues des régions nord et ouest pour travailler dans les compagnies pétrolières comme femmes de ménage, cuisinières ou secrétaires, les accusant de facto de comportements "immoraux", surtout qu’elles se sont regroupées dans un bidonville, appelant la population "à chasser ces femmes fornicatrices;" C’est alors que dans le nuit sauvage du 13 au 14 juillet, vers 22 heures, des centaines de mâles prennent alors la direction du bidonville El-Haïcha. Une quarantaine de femmes du quartier sont agressées, rouées de coups, violées, mutilées et trainées nues dans la rue. Leurs maisons sont pillées et pour certaines, brûlées. La police n'arriva sur place que vers 3 heures du matin, sans pouvoir mettre fin aux violences puisque celles-ci se répètent la nuit suivante dans d'autres quartiers de la ville avant de s'étendre, les jours suivants, à la ville de Tebessa, plus au sud où des commerces détenus par des femmes seules furent saccagés et vandalisés. Inutile de revenir sur le bilan des victimes de cette chasse organisée et du comportement laxiste de la justice sur cette affaire et les coupables sont restés impunis à ce jour.

Ce mercredi 7 mars, à la veille de la journée internationale des droits des femmes, Cherifa Kheddar, porte-parole de "L’Observatoire des violences faites aux femmes" récemment créé. Pour la militante des droits des femmes, ce collectif de solidarité, l’"OVIF" s’impose comme moyen de prévention des violences contre les femmes mais il reste limité dans ses actions de surveillance, d’alerte et de dénonciation : "En 2010, une quarantaine d'associations se sont réunies après l'agression d'un groupe de femmes à Hassi Messaoud, en juillet de la même année. Il fallait se mobiliser car ce n'était pas la première fois [des agressions avaient déjà été commises en 2001, NDLR]. On a pensé à créer un collectif de solidarité avec les femmes de Hassi Messaoud."
S’exprimant sur le recul des droits de la femme en Algérie, la dégradation du niveau de vie des femmes en régions rurales, Cherifa Kheddar estime que "Toute la responsabilité incombe à l’État (…) Le Code de la famille consacre la minorité à vie de la femme (…)
Elle critique par ailleurs la loi relative à la participation de la femme aux assemblées élues adoptée lors des récentes réformes en désignant le chef de l’Etat : « Bouteflika a, de tout temps, fait un pas en avant et deux pas en arrière en ce qui concerne la promotion des droits de la femme. On n'a jamais vu, par exemple, plus de deux ministres femmes dans ses gouvernements

Pour sa part, l’avocat et militant des droits de l’Homme Miloud Brahimi, invité ce mercredi, de la Chaîne III, Radio nationale, a estimé que le combat des femmes pour la reconquête de leurs droits s’est essoufflé ces dernières années. "Il faut continuer à se battre, à dire les vérités. Les femmes doivent redoubler de dynamisme (…) Croyez vous que Khalida Toumi ou Louisa Hanoune ont besoin d’un tuteur pour évoluer?." Il a rappelé le rôle joué par les femmes durant la guerre de libération nationale et pendant les années quatre vingt dix dans la lutte contre le terrorisme et l’intégrisme.

La famille de Dergana chassée de chez elle avant de voir sa maison souillée et brûlée, les femmes de Hassi Messaoud ignorées par la justice, ces faits ne pas de faits-divers mais sont des signes irrésistibles de l’inquisition islamiste qui reprend du poil de la bête au moment où les imams de l’ex-Fis redoublent leur vindicte contre les droits des femmes et, à ce titre, sont appelés à prêter "voix forte" au scrutin législatif du 10 mai.

R.M

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Commentaires (15) | Réagir ?

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khelaf hellal

Je corrige mon orthograghe ci-dessous : "... Un peu comme le Tartufe de Molière qui se plaignait hypocritement de ce dont il n'aurait pas voulu s'en priver personnellement : " Cachez-moi donc ce sein que je ne saurais voir. " ".

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khelaf hellal

Pour moi, la prostitution de la femme, ce sont les hommes qui l'ont créée et lui ont donné l'occasion d'exister. Et comme de faux-dévôts ils sont aussi les premiers à la frapper d'anathème et la punir un peu comme le Tartuffe de Molière qui se plaignait hypocritement de ce qu'il n'aurait pas voulu s'en priver: " Cachez-moi donc ce sein que je ne saurais voir " ce sont donc des religieux frustrés qui souffrent d'un déficit de libido ou d'une sexualité désaxée qui s'empressent de condamner la prostitution de la femme qu'ils ont créée eux-mêmes par leurs dogmes et leurs interdits (la yadjouz) d'un autre âge. A la place des plaisirs payants ils vous suggèrent quand ils ne peuvent pas payer la solution des jouissances forcées comme l'on fait les intégristes islamistes en agressant et en enlevant les filles et les femmes des dechras pour en jouir et en abuser dans les djebels.

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