L’indépendance de l’Azawad est dans l’intérêt de l’Algérie

L’indépendance de l’Azawad est dans l’intérêt de l’Algérie

La position officielle et stratégique de l’Algérie sur le conflit de l’Azawad est intenable, inexplicable, injustifiable.

Depuis 40 ans, les diplomates algériens ont focalisé le Maghreb, l’Afrique et le monde entier sur "le principe du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui". Pourquoi donc ne pas l’affirmer aussi clairement et avec force pour le peuple touareg ? Pourquoi l’intégrité territoriale du Mali serait-elle plus "sacrée" que celle du Maroc ?

Rappelons que l’Algérie a déjà appliqué ce principe d’autodétermination en jouant le rôle de facilitateur pour l’indépendance de l’Erythrée (121.000 km² et 5 millions d’habitants), séparée de l’Ethiopie en 1993. Elle a également approuvé la scission du Soudan en deux Etats en été 2011. Ces deux exemples signifient que l’Afrique a cassé le tabou dogmatique sur "l’intangibilité des frontières africaines héritées du colonialisme", énoncé par la Charte de l’OUA à Addis-Abeba en 1963.

Un siècle de rébellion touarègue

Bien avant la création de l’Etat malien, le FLN était déjà en première ligne sur le front de la rébellion touarègue contre l’occupant colonial, entamée au début du siècle. Les moudjahidines avaient installé des bases de formation à Kidal et Gao. L’actuel président Abdelaziz Bouteflika avait lui-même participé à des collectes de fonds de soutien au FLN, auprès des tribus nomades, de Gao à Tombouctou.

C’est depuis Kidal qu’Ahmed Draia et ses troupes sont entrés à Tamanrasset, à la proclamation de l’indépendance en 1962, pour hisser le drapeau algérien dans les casernes libérées par les Français. Le problème de l’Azawad est un problème de décolonisation au même titre que celui du Sahara Occidental. La France coloniale avait rejeté la revendication d’indépendance des Touaregs qui refusaient d’intégrer leurs territoires à la Fédération du Mali, ainsi qu’à l’Etat du Niger.

Les chefs des tribus touaregs avaient dénoncé cette nouvelle colonisation par des Etats factices en écrivant au général De Gaulle en 1958. Ils commencèrent à s’armer et se révolter dès 1961. Une première insurrection eut lieu en 1962-1964. Les Touaregs subirent une terrible répression qui décima même leurs cheptels et les paralysa durant trente ans. D’autres rébellions d’envergure ont failli aboutir, en 1990-1992, 1994-1995, et 2006. Mais l’Algérie est toujours intervenue pour imposer un cessez-le-feu et conclure des accords qui n’ont jamais été respectés par Bamako.

Depuis le 17 janvier, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) mène une grande offensive, bien décidé cette fois à obtenir l’indépendance. Le président malien, Amadou Toumani Touré, a reconnu sur RFI, le caractère insoluble du problème touareg. Il affirme qu’il se tient "prêt à partir" en dépit de la situation qui prévaut dans le nord du pays: "Cela fait 50 ans que le problème du Nord existe. Nos aînés l’ont géré; nous le gérons et nos cadets continueront à le gérer. Ce problème ne finira pas demain."

La diplomatie algérienne, au lieu d’affirmer ses principes, adhère au diktat de la diplomatie française, qui traite l’Algérie comme un "sous-traitant" de la pérennité de sa politique coloniale. Le ministre français de la coopération, Henry De Raincourt, est venu à Alger affirmer son refus de l’autodétermination des Touaregs: "Nous soutenons la pérennité du processus engagé le 2 février dernier en Algérie entre le gouvernement malien et les Touaregs pour l’examen des moyens de parvenir à un accord dans le cadre de la sauvegarde de la sécurité et l’unité territoriale et la souveraineté du Mali".

Les intérêts stratégiques de l’Algérie

Sans la retenue que leur impose implicitement la position officielle algérienne, les rebelles sont capables d’aller jusqu’à Bamako. Ce statu quo du problème touareg ne peut plus durer et ne sert pas les intérêts de l’Algérie qui supporte depuis 50 ans à grands frais une aide humanitaire, un afflux permanent de réfugiés et d’émigrés clandestins, la contrebande de carburant, les trafics de drogue, d’armes, de cigarettes,…

A tout cela s’est ajouté une insécurité chronique et meurtrière qui s’est introduit et répandue dans tout le Sahara, au point d’anéantir une activité touristique prometteuse à gros potentiel dans le Hoggar, le Tassili et l’Ahnet. Ce qui doit maintenant inquiéter très sérieusement les décideurs algériens est la lourde menace qui pèse sur la quiétude de l’industrie pétrolière qui a commencé à se développer dans le Grand Sud.

Le champ gazier d’In Salah est déjà en activité. Les champs de Reggane, Timimoun et Adrar vont bientôt être lancés. De nouvelles découvertes importantes sont à prévoir jusqu’aux frontières maliennes et nigériennes. Un grand pôle industriel gazier et pétrolier va se développer dans cette région.

La peur d’une "contagion d’indépendance" qui obsédait des dirigeants algériens à propos du Sahara n’a pas lieu d’être. Après des décennies d’ignorance, de falsification, d’imposture, de propagande baâthiste, on sait maintenant que le Grand Maghreb est Berbère de Tanger à Tombouctou et de Tripoli à Tahoua. Aucun habitant du Sahara algérien n’a jamais eu l’ombre d’un soupçon de séparatisme.

La volonté de rupture avec Bamako est devenue une option radicale pour le MNLA. Un Etat indépendant dans l’Azawad représente une remise en ordre géo-démographique naturelle du Sahara qui a de tout temps constitué une zone tampon entre l’Afrique du Nord et l’Afrique sub-saharienne. Par contre, si l'Etat algérien persiste à ignorer le droit à l'autodétermination des Touaregs de l'Azawad, il se rendra complice d'un génocide qui aura de graves répercussions sur notre Sahara.

Dans une célèbre réplique du film Laurence d’Arabie, il est dit que "seules deux créatures peuvent vivre dans le désert : les dieux et les Bédouins".

Saad Lounès

Plus d'articles de : Maghreb

Commentaires (2) | Réagir ?

avatar
kheira benrahla

Oui très pertinente, rendons leur leur liberté et ne pas s'impliquer dans un génocide. Sinon c'est la catastrophe et dans ce cas là pourquoi défendre alors les Sahraouis ? j'espère que l'Etat algérien ne fera pas dans les deux poids et deux mesures.

avatar
akli ath laarat

Très pertinente analyse de M. Lounès à laquelle j'ajouterai qu'un Etat Azawad est l'unique garantie de la liquidation d'Aqmi (enfin, si l'intérêt de l'Algérie réside dans la liquidation d'AQMI, ce dont il y a lieu de douter).