Arrêt des élections de 1991 : objectifs et effets sur l'opposition algérienne

Le pouvoir militaire a instrumentalisé les islamistes qui se croyait à la veille de gouverner.
Le pouvoir militaire a instrumentalisé les islamistes qui se croyait à la veille de gouverner.

En décembre 1991 se sont tenues les premières vraies élections dans l’Algérie post-indépendante.

Les résultats ont surpris le monde entier : le FIS, un parti politique né des événements d’octobre 88, donc un bébé [1] par rapport aux partis comme le FLN et le FFS, les a remportées avec une majorité écrasante dès le premier tour déjà ! Le deuxième tour n’aura pas lieu ; une alliance issue du régime et de certains partis d’opposition a arrêté le processus le 11 janvier 1992 sous prétexte de vouloir sauver la république. Cette suspension définitive est par contre considérée par le parti gagnant et certains autres opposants comme un coup d’état. La suite est connue.

Questions : quels sont les objectifs réels derrière l’interruption du processus électoral ? Qui a raison : les "Janvieristes" [2] qui ont arrêté les élections, ou ceux qui ont appelé à aller au deuxième tour et à respecter coûte que coûte les résultats finaux du scrutin ? Et enfin que doivent faire les Algériens pour se débarrasser de ce système mafieux qui a érigé la terreur, la manipulation et la division en mode de gouvernance ?

Avant de répondre à ces questions, commençons par une analyse des conditions qui ont aidé un parti islamiste, qui montrait déjà des signes d’intégrisme, à rafler les voix des Algériens. Il y a certainement plusieurs facteurs, en corrélation ou pas, qui ont permis au FIS de se lancer sur la scène politique algérienne, de s’accaparer en un temps record des espaces d’expression, et de séduire une frange assez large de la société algérienne [3]. Tout d’abord, il y a cette volonté-là du régime militaire algérien de faire des islamistes un barrage à l’avancée démocratique menée depuis 1963 déjà par les berbéristes. L’activisme islamiste se limite à ses débuts aux universités et ce n’est pas un pur hasard ; c’est en fait de là que se ressourcent les mouvements berbéristes qui n’hésitent pas, par occasion, à sortir dans la rue. La SM [4] du régime a cultivé en les islamistes une telle haine envers les berbéristes qu’une première victime, un Kabyle nommé Kamel Amzal [5], est tombée à l’Université de Ben Aknoun. Depuis, le conflit entre les berbéristes, que la propagande du pouvoir décrit comme séparatistes et ennemis de l’islam et de l’arabe, et les islamistes qu’on a incités à défendre ces soi-disant constantes nationales, ne cesse de s’aggraver, parvenant même à affaiblir les berbéristes, qui doivent alors se battre sur deux fronts, ce qui a garanti au régime mafieux la protection contre le changement jusqu’à octobre 1988.

À partir de cette date, un vent de changement a déjà commencé à souffler sur le bloc socialiste menaçant d’écroulement pas mal de systèmes totalitaires. Le régime algérien devrait alors trouver une issue pour sortir indemne. Fort de ses experts en matière de tromperie et de manipulation des masses, il engage le pays dans des réformes dignes de celles-là qui ne s’observent que dans de grandes démocraties du monde. Ouverture de radios et de télévision publiques aux opposants ; création de journaux dits privés ; création de multiples associations à caractère politique ou social, etc. Mais dans tout cela, il y a un élément clé sur lequel le pouvoir mafieux compte pour assurer sa survie, et c’est un élément qui n’a suscité aucun doute chez les Algériens, pas même au sein de nos politiciens et intellectuels, malgré le fait que la constitution est claire à ce sujet : c’est la création d’un parti officiellement islamiste, le FIS, à côté d’un autre qui renvoie implicitement aux mouvements berbéristes, le RCD. Une bombe à retardement, qui détruira ensuite le rêve d’une Algérie démocratique, est ainsi mise au point.

En décembre 1991, on annonce enfin la tenue des élections. Pendant toute la durée de la campagne électorale, l’ENTV, l’organe officiel du régime algérien, multiplie les confrontations entre les partis islamistes et les partis laïcs. Mais les débats qui suscitent plus d’intérêts et qui bénéficient de plus de médiatisation, et ce n’est pas pour rien, sont ceux-là qui opposent le leader du FIS, Abassi Madani, au leader du RCD, Said Sadi. Connaissant l’attachement aveugle des Algériens à l’islam, le régime machiavélique tente de discréditer, à travers les réactions et les déclarations du RCD, tout le pôle démocratique [6]. Il a réussi à merveille, comme le montreront après les résultats du premier tour. Ainsi donc, le premier objectif préélectoral est atteint. Reste maintenant à affaiblir l’autre concurrent, le FIS, qui a jusque-là bénéficié de la "négligence intentionnelle" du régime pour le besoin de noyer les démocrates. Pour atteindre ce deuxième objectif, le régime usera de toute sorte de propagande et de manipulation. Ainsi, encouragés en plus par le cadeau qui leur a été fait aux élections municipales de juin 1990 [7], les islamistes du FIS multiplient les déclarations publiques dans lesquelles ils révèleront les changements radicaux, en quelque sorte les horreurs, qu’ils feraient subir à la société algérienne s’ils accédaient au pouvoir. Cette période a connu même des cas de violence envers les femmes non voilées, les fumeurs, etc. Les "moukhabarates" ont finalement rapporté à leurs maîtres l’heureuse et rassurante information selon laquelle le peuple algérien ne votera jamais pour de tels monstres, i.e. les islamistes.

Ainsi donc, rassuré d’un côté par ses services secrets quant à l’incapacité des islamistes à peser lourd au scrutin, et réconforté d’un autre côté par sa large base constituée de ce qu’on appelle "la famille révolutionnaire" et ses satellites [8], le régime algérien organise les premières vraies élections de l’histoire algérienne dans l’espoir non pas de provoquer un changement du système bien entendu, mais afin de pérenniser sa présence au sommet du pays en toute légalité. Les résultats officiels du scrutin ont été un grand choc aussi bien pour le régime que pour les démocrates. Les calculs se sont avérés faux. Il faut agir vite et surtout pas seul.

La hiérarchie militaire, soutenue par des éléments de l’opposition "ultra-laïque", dont le RCD, se réunit d’urgence et décide d’arrêter le processus électoral. Cette décision a été justifiée par le souci des démocrates de préserver le caractère républicain de l’État algérien menacé par les islamistes. L’Occident, notamment les pays de la rive nord de la Méditerranée qui sont horrifiés par l’idée d’un Etat théocratique à leurs portes, saluent la décision "combien sage" des dirigeants algériens et de leurs alliés. Par contre, des voix parmi l’opposition laïque modérée, dont le FFS, se sont élevées contre le non-respect du choix du peuple. Pire encore, les militants du FIS, qui se sentent lésés, prennent les armes et, manipulation des services secrets du régime aidant, entraînent le pays entier dans des conflits armés interminables [9] ; conflits dont se sert encore de nos jours le pouvoir pour empêcher d’aller à tout changement du système.

Mais qui a enfin raison dans toute cette histoire ? Les initiateurs de la suspension des élections, ou les partisans de l’achèvement du processus électoral ?

Ce qui est indéniable est que si le FIS avait accédé au pouvoir, il aurait certainement nettoyé la scène politique algérienne de tout parti ou association qui ne soit d’obédience islamiste. Ces élections-là ne feraient en conséquence que remplacer une dictature par une autre. Ceux qui ont suspendu les élections ont donc bien fait ! Non. Comme nous l’avons dit supra, le FIS est un parti issu de mouvements islamistes créés, entretenus et manipulés par les services secrets du régime pour servir, au début, de déviateur du combat démocratique des berbéristes, et ensuite d’alibi pour l’arrêt des élections qui sauveront le système. Ce sont alors ceux qui ont défendu l’achèvement du processus électoral qui ont raison ! Là encore, c’est non.

En fait, en entraînant le FIS, déjà diabolisé, jusqu’à la victoire pour ensuite la lui confisquer, le pouvoir vise à créer une sorte de victime qui amènera la partie de l’opposition qui ne lui est pas acquise à se discréditer par elle-même. Cette combine est si ingénieuse que même un vieux routier de la politique comme Aït Ahmed ne s’en est pas aperçu. En multipliant, sur les médias nationaux et étrangers, ses déclarations en faveur du deuxième tour du vote, qui aurait porté les islamistes au pouvoir, le FFS n’a fait que détruire son image d’un parti démocratique. Et lorsqu’en 1995, soit aux débuts de la rébellion armée des islamistes, Aït Ahmed se réunit à Sant’Egidio [10] avec, entre autres, des leaders du FIS dissous en exile, une bonne partie de ce qui a resté de crédibilité du FFS est partie et l’on assiste depuis, au grand bonheur du régime mafieux, à des démissions en série de ses militants.

À la lumière de ce qui a précédé, on peut dire que le régime militaire algérien a préparé son maintien au pouvoir depuis déjà la première révolte kabyle, celle du FFS en 1963. Le nationalisme arabe et ensuite l’islamisme ont été deux cartes utilisées par la mafia au commande de l’Algérie pour semer en la société algérienne l’ignorance, le fatalisme, le doute, la défiance, la haine, le racisme, la désolidarisation, la désunion et toute sorte de conflits qui fragilisent le peuple et favorisent sont assujettissement ou son impuissance. Ceci dit, ni le RCD ni le FFS, qui s’entredéchirent quotidiennement, n’ont honoré la Kabylie qui a été bien avant l’indépendance déjà à l’avant-garde de tous les combats démocratiques et de toutes les révoltes libératrices. Quant aux partis qui se ressourcent de l’arabo-islamisme, manipulés ou de leur propre chef, ils n’ont jamais cessé de vouloir s’imposer comme la seule alternative au régime mafieux actuel, et en agissant ainsi ils n’ont fait que provoquer des craintes et même du rejet en l’autre partie de l’opposition, ce qui a bien arrangé le pouvoir en place. Et pour finir, s’il veut se débarrasser de cette dictature et ne pas devenir l’otage d’une autre peut-être bien pire, que le peuple algérien sache choisir désormais entre la bonne graine et l’ivraie et qu’il sache également que tout ce qui brille n’est pas or.

D. Messaoudi

[1] Le même scénario burlesque d’un parti né mature se répète en février 1997 lorsque le RND a été créé. Ce parti a remporté une large majorité aux législatives du 5 juin 1997 !! (voir : Rassemblement national démocratique)

[2] Le terme de « Janvieristes » réfère aux officiers de l’ANP et aux civils parmi les fonctionnaires de l’État et de l’opposition qui ont décidé de rompre le processus électoral en janvier 1992. (voir : Que sont les janvieristes devenus ?)

[3] À une période donnée, le régime a intentionnellement cédé la mosquée, comme espace d’expression, aux islamistes et ce afin de préparer l’opinion nationale et internationale aux futures décisions et interventions des autorités. Ali Belhadj, un des durs du FIS, se faisait même filmer pendant ses prêches incendiaires. (voir : http://www.youtube.com/watch?v=iqNxrKBAGlo)

[4] Le général-major, Khaled Nezzar, n’a-t-il pas avoué dans ses mémoires cette complicité entre les islamistes fondamentalistes et le régime dans les années 70 et 80 ? (voir : L’anti-kabylisme du régime algérien)

[5] Kamel Amzal était un étudiant. (voir : Une pensée pour Kamal Amzal)

[6] On se souvient bien de la fameuse réponse du leader du RCD, Said Sadi, au leader du FIS, Abassi Madani, lors d’un face-à-face sur le plateau de l’ENTV : "Nous ne vous laisserons pas passer". Ce que Sadi ignorait alors c’est que le régime l’avait utilisé pour discréditer aux yeux des Algériens tous les Kabyles qui se disent démocrates. D’ailleurs, les récentes marches initiées par le RCD et le CNCD n’ont pas drainé des foules en raison de la présence des Kabyles dont on se méfie encore.

[7] Le FIS a obtenu dans ces municipalités 55% des communes, soit 853 des 1539 mairies. Se sentant fort, il commence alors, sous l’œil complice du régime, à introduire des éléments islamiques dans l’habillement des agents de l’État (la fameuse « chorta islamia »), dans l’environnement (la fameuse « baladiate X el islamia »), etc. Bref, tout indiquait qu’on allait droit vers un État islamique, ce qui constituerait après un alibi en faveur des Janvieristes.

[8] Il est tout de même inexplicable que le pouvoir n’ait pu sortir vainqueur de ces élections ; lui qui possède un large électorat constitué de militaires, de policiers, de gendarmes, de fonctionnaires de l’administration, d’anciens moudjahids, d’enfants de chouhada, etc., qui jouissent tous de privilèges en contrepartie de leur loyauté.

[9] Durant l’automne 2010, plus de 9000 soldats de l’ANP ont été mobilisés pour soi-disant nettoyer la Kabylie du terrorisme islamiste. La presse écrite a même rapporté que la tête du GSPC, Droudkel, ainsi que d’importants émirs islamistes ont été encerclés dans la région. Et à la fin de l’opération qualifiée de grande envergure, l’on annonce ce bilan maigre d’une poignée de terroristes, sans noms ni visages, abattus ! Droudkel n’en figure pas ; sa mission n’est pas encore terminée. (voir : Opération anti-terroriste d’envergure en Kabylie : Revue de presse)

[10] Étaient présents à cette réunion à côté d’Aït Ahmed, entre autres, A.Mehri, ex-SG du FLN et chantre de l’arabisme ; A.Ben Bella, ex-président algérien et chantre du baathisme ; A.Haddam, un des députés de l’ex-FIS qui n’a jamais condamné la violence des islamistes. (voir : Rome: le labyrinthe de la paix)

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Commentaires (9) | Réagir ?

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samidou

Le général Toufik et kabyle Ouyahia est kabyle, le directeur de Sonatrach est kabyle, le directeur de banque d’Algérie est kabyle, mêmé Boumediene est chaoui (amazigh)... etc, alors cessez de jouer cette carte de Kabyle, nous sommes tous des Algériens et nous voulons tous la liberté.

Vive l’Algérie unie, merde au pouvoir.

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ali Foughali

Le MAK vite !!!

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