Algérie (dossier) 50 ans d'économie et de réformes (VII)

Hormis le pétrole, l'Algérie n'arrive toujours pas à diversifier sa production à l'exportation.
Hormis le pétrole, l'Algérie n'arrive toujours pas à diversifier sa production à l'exportation.

L’Algérie a connu avec la loi de finances complémentaire 2009 un nouveau cadre d’investissement régissant les étrangers qu’en est-il ?

En effet, les lois de finances complémentaires 2009/2010 ont profondément modifié le cadre juridique régissant l’investissement surtout étranger. Nous ne parlerons pas du secteur agricole dans la mesure où la nouvelle loi foncière de 2010 exclut tout étranger. Pour les autres secteurs, pour toute soumission, la préférence nationale a été portée de 15 à 25% selon le nouveau code des marchés signifiant que même si le cout est 25% plus cher pour la réalisation de tout projet, la priorité sera donnée à l’entreprise algérienne. Pour le commerce, la loi de finances complémentaire 2009 prévoit 30% au maximum pour les étrangers et 70% pour les nationaux. Concernant l’encadrement de l’investissement étranger dans les services, BTPH et industries y compris les hydrocarbures, le privé étranger doit avoir au maximum 49% et le local 51%. Par ailleurs, l’Etat algérien a introduit des changements entendant faire prévaloir le droit de préemption et que "toute transaction qui ne respecte pas les dispositions légales ne sera pas avalisée par les pouvoirs publics et sera déclarée nulle et sans effet".

L’Etat algérien se réfère à l’article 62 de la loi de finances complémentaire de 2009 qui stipule que "l'Etat ainsi que les entreprises publiques économiques disposent d'un droit de préemption sur toutes les cessions de participations des actionnaires étrangers ou au profit d'actionnaires étrangers". Le texte législatif stipule que l’effet rétroactif de la règle 51% et de 49% est susceptible d’être généralisé pour les opérateurs étrangers ayant investi en Algérie avant 2009 qui pratiquent l’extension. En vertu des dispositions de la loi de finances complémentaire 2010, toute augmentation ou modification de la structure de capital, et tout accroissement du nombre d’actionnaires de la part des entreprises étrangères détenant plus de 51 % des actions, seront contraintes de recevoir un ou plusieurs actionnaires des entreprises nationales à raison de 51% du capital. D’autres dispositions sont également prévues comme l’introduction dans les cahiers des charges des appels d'offres internationaux d’un engagement de l'entreprise étrangère soumissionnaire, que pour obtenir des contrats publics, les groupes étrangers devront dans l’avenir s’engager à investir en Algérie dans le cadre d’un partenariat avec une entreprise locale. Les cahiers des charges des appels d’offres internationaux doivent prévoir l’obligation, pour les soumissionnaires étrangers, d’investir dans le cadre d’un partenariat, dans le même domaine d’activité, avec une entreprise de droit algérien, dont le capital est détenu majoritairement par des nationaux résidents, à ne pas pratiquer la corruption et à se conformer aux lois algériennes en vigueur. La vente des participations des étrangers dans les sociétés algériennes rentrant dans le cadre du droit de préemption au profit de l’Etat, introduit dans la loi de finances complémentaire 2009, la cession de participations détenues par des étrangers ou au profit d’étrangers en Algérie sera subordonnée à la délivrance d'une attestation authentifiée par le notaire. En cas de délivrance de l'attestation, l'Etat conserve le droit d'exercice du droit de préemption tel que prévu par le code d'enregistrement en cas d'insuffisance du prix. Comme il y a lieu de signaler qu’en cas de cession se pose le problème de l’application des dispositions de la loi de finances 2009 qui stipule un taux d’imposition à 20% du taux de l’IRG applicable aux plus values de cession de la partie étrangère (article 47 de la loi de finances 2009), ainsi qu’un contrôle plus rigoureux des transferts de capitaux à travers la nouvelle réglementation des changes.

Lors du Conseil des ministres du 25 août 2010, ces mesures ont été étendues aux banques étrangères complétant l'ordonnance n° 03-11 du 26 août 2003, relative à la monnaie et au crédit. Il s’agit en premier lieu de mettre à jour les missions de la Banque d'Algérie par rapport aux progrès découlant de la modernisation du système financier, en la chargeant de veiller à l'efficacité des systèmes de paiements et d'émettre les règles les régissant, et en la mandatant pour garantir la sécurité des moyens de paiements autre que la monnaie fiduciaire. En second lieu, renforcer la sécurité et la solidité du système bancaire, par un suivi plus rapproché des banques y compris privées, pour s'assurer de la sauvegarde des intérêts de leur clientèle, et de la préservation de la stabilité monétaire et financière du pays. A ce titre, la Banque d'Algérie est habilitée notamment à demander aux banques et établissements financiers, toute information requise pour l'établissement de la balance des paiements du pays et de sa position financière, cela concernant particulièrement les mouvements de capitaux réalisés vers l'extérieur et à limiter les opérations réalisées par les banques et établissements financiers. En troisième lieu, les nouvelles dispositions prévoient d’intensifier la lutte contre toute fraude ou malversation dans les opérations réalisées par les banques et établissements financiers étrangers, notamment en ajoutant le délit de corruption aux motifs de prohibition de l'exercice de la fonction bancaire , mandatant l'Institution monétaire à promulguer des règles de bonne conduite et de déontologie applicables aux banques et établissements financiers.

En vue de renforcer la transparence dans les activités bancaires, l'Etat détiendra une action spécifique dans le capital des banques et établissements financiers à capitaux privés, grâce à laquelle il sera représenté dans leurs organes sociaux sans droit de vote. En quatrième lieu, il y a confirmation de l'application aux banques et établissements financiers de la législation nationale en matière d'investissements étrangers. Ainsi, il est prévu que toute future ouverture de banque ou d'établissement financier par un investisseur étranger sera conditionnée par la détention de 51% du capital par des actionnaires nationaux et en cas de cession d'une banque ou d'un établissement financier dont le capital est étranger, l'Etat jouit d'un droit de préemption ; enfin toute cession d'actions d'une banque ou d'un établissement financier devra être préalablement autorisée par la Banque d'Algérie. Par ailleurs, certainement suite au rapport de la banque 2009), le taux de profitabilité des banques étrangères ayant été d'environ 28% pour l’année 2008 (récupération du capital avancé d'environ trois années) encore que ce taux a été ramené 2009 à une moyenne de 24% alors que pour le cas de l'Europe, le taux de profitabilité bancaire est d'environ 12% (ce du moins avant la crise de l’endettement) et pour la Tunisie et le Maroc, de 15%, les nouvelles dispositions contenues dans la loi de finances complémentaire 2010 annoncent que hors secteur des hydrocarbures, des activités peuvent être soumises à une taxe forfaitaireassise sur les marges exceptionnelles d’un taux qui varie de 30% à 80, élargissant ainsi les dispositions qui étaient appliquées au niveau du secteur des hydrocarbures après l’amendement de la loi en 2006.

Si ces mesures permettent de relancer l’outil de production, cela serait une bonne chose mais dans un environnement concurrentiel, se renforcer sur soi étant une utopie néfaste. L’ex-ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements en 2009 se proposait de créer "treize champions nationaux" implantés dans des secteurs aussi divers que la pétrochimie, la pharmacie, la sidérurgie ou le transport aérien, qui devaient naître de la fusion de plusieurs entreprises d'un même secteur, publiques ou privées, y compris des PME. Or, pour faire face à la concurrence, on ne doit pas oublier que le facteur déterminant est la demande et non pas seulement l’offre vision mécanique de l’ancienne culture bureaucratique. Afin de repositionner l’Algérie dans le marché mondial, l’on ne devrait pas se limiter seulement au simple dispositif législatif. L’action concrète et surtout réaliste devrait concerner l’élaboration de la stratégie des filières, déterminer les filiales, les moyens et les instruments pour ces filiales, le rôle de l’Etat, du secteur public, privé, les services publics et faire des efforts dans la formation et la recherche développement. Or, le document portant stratégie industrielle n'a pas donné de calendrier précis pour le lancement de ces nouveaux fleurons ni précisé les moyens dont ils disposeront. Par ailleurs, si la mesure de taxation des surprofits, en principe, est possible au niveau des hydrocarbures à l état brut et semi brut, non pas pour les produits finis, cela est rendu plus difficile, voire impossible, pour les autres secteurs dont le taux de profit est très fluctuant au niveau du marché international qui devrait être la référence. Aussi, le risque avec la faiblesse de la régulation et de la planification stratégique d’ensemble, de compétences est d’aboutir à des actions bureaucratiques et à des marchandages, facteur de corruption. En outre, les mesures de rachat par l’Etat algérien avec droit de préemption posent problème lorsqu’une société est cotée en bourse et qu’elle cède non pas la totalité mais des ventes d’actions partiellement, pratique quotidienne au niveau des bourses mondiales. Bien que le segment télécommunication soit régit par une loi spécifique promulguée avant les lois de finances 2009/2010, le conflit entre l’opérateur égyptien Orascom Télécom et le gouvernement algérien depuis plus de deux années en est la démonstration. En principe, une loi est rarement rétroactive sauf si elle est plus avantageuse que l’ancienne, principe du droit international. Aussi convient-il de se demander si ces mesures sont opérantes ? Les contraintes internationales sont toujours là : l’innovation interne est faible ; la plupart des entreprises publiques et privées fonctionnent avec des inputs importés. C’est que l'Algérie semble avoir du chemin à faire pour pénétrer dans les arcanes de cette nouvelle économie. Dans la pratique des affaires tant locales et surtout internationales et les différentes réévaluations des projets dans tous les secteurs avec les partenaires montrent clairement qu’il ne suffit pas de signer un contrat sans maturation mais de bien suivre son cheminement, impliquant un management stratégique et une moralité sans faille des négociateurs.

Le problème posé après toutes ces mesures est donc le suivant : l’Algérie est-elle caractérisée par une bonne gouvernance, un bon management stratégique des entreprises et une amélioration du climat des affaires ? Les entreprises locales profiteront-elles de cette situation de rente pour pousser à une meilleure intégration et combien d’entreprises publiques et privées locales ont-elles des laboratoires de recherche appliquée digne de ce nom y compris Sonatrach ? Et cette innovation ne suppose-t-elle pas à un environnement assaini et un renversement des échelles de valeurs récompensant le travail et l’intelligence, loin de simples mesures monétaires et d’une distribution passive de la rente ? Certes, tous les pays protègent leur production nationale grâce à l’Etat régulateur stratégique en économie de marché pouvant détenir des minorités de blocage dans des segments stratégiques à ne pas confondre avec le retour à l’Etat gestionnaire de l’ex-économie soviétique comme le montre les décisions récentes de bon nombre de pays développés, mais d’une manière ciblée et ne décourageant pas l’acte d’investissement y compris étranger. De plus en plus d’experts algériens préconisent de lever ce voile juridique 49/51% de peu d’efficacité économique et de mettre en place un autre indicateur d’appréciation beaucoup plus significatif qui est celui d’une balance technologique et devises positives. Car en donnant une préférence de 25% c’est accroitre le taux de profit local (rentes de situation) qui se répercutera dans le coût final amoindrissant les avantages comparatifs pour l’exportation et pénalisant les consommateurs locaux avec la hausse des prix.

Abderahmane Mebtoul, professeur d’universités

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